I’m not a man, I am Cantona
Dans
la bande annonce du prochain film de Ken Loach, Looking for Eric, le footballeur, par une tirade arrogante qui se termine en rires croisés, lance « Je ne suis pas un homme, je suis Cantona ». Cette phrase symbolise bien le personnage mythique qu’Eric Cantona s’est créé, sur et en dehors des stades, et qui lui assure une longévité éternelle tant dans le cœur des fans que dans les clips publicitaires, ces deux pôles s’autoalimentant, se renforçant mutuellement. Eric Cantona est un sportif boulimique de publicité, mais ce n’est pas simplement à ce titre qu’il est unique. Le prodige brésilien Pelé, dans les années soixante-dix, en signant chez la dream team américaine des Cosmos de New York, s’est illustré comme la première grosse machine à promotion publicitaire du football international. Le roi Pelé apparaissait souvent dans les journaux et stades américains pour la promotion de produits divers et variés. Plus récemment, Zinedine Zidane a été moqué pour sa boulimie publicitaire, ses multiples contrats avec des sociétés d’assurance, marques sportives ou alimentaires. Là où Pelé et Zidane n’ont fait qu’honorer des contrats publicitaires, Eric Cantona a été bien plus loin ; il s’est créé un personnage et en a alimenté la vie. A travers la publicité, il a tout autant vendu des produits que fait sa propre promotion.
Cantona, homme de théâtre
Pour bien comprendre la cohérence d’Eric Cantona dans ses choix d’acteur de publicité, il est nécessaire de bien comprendre ce qu’a été le joueur de football, durant sa carrière à Manchester United, le club anglais qu’il a marqué à vie et grâce auquel il a laissé une marque indélébile dans l’histoire du championnat d’Angleterre. En 2005, Cantona a été élu meilleur joueur de l’histoire de la Premier League anglaise. Beaucoup ont marqué plus de buts que Cantona, se sont montrés meilleurs athlètes, plus impressionnants dribbleurs. Indéniablement, si Eric Cantona a marqué la mémoire anglaise, c’est avant tout pour son panache. Il s’est comporté sur les terrains comme un comédien, un homme de théâtre, apportant au jeu et à ce qui l’entoure, une toute nouvelle dimension de spectacle.
Après
un but magnifique, qui compte parmi les plus impressionnants de l’histoire, au lieu d’exploser de joie par une course effrénée à travers le terrain, au lieu de haranguer les supporters, comme n’importe quel joueur l’aurait fait à sa place, Eric Cantona fait le choix de la théâtralité. Il se pose en seigneur au milieu du terrain, comme inébranlé par sa prouesse. Il fait demi-tour, bombe le torse et démultiplie par cette fausse sobriété son triomphe.
Personnage de théâtre, Cantona l’est tout autant lorsque, face aux journalistes, il commente l’un de ses faits de violences sur un supporter. Loin des habituelles excuses bredouillantes, Cantona s’illustre par
cette métaphore : « Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est parce qu’elles savent que des sardines vont être jetées à la mer ». Cette allusion grinçante à la frénésie médiatique autour de son mauvais geste porte son personnage de guerrier arrogant et littéraire au sommet.
Le parachèvement publicitaire
En partant de cette base, Cantona cultive le mythe en publicité autour des mêmes éléments : arrogance, théâtralité, panache. Alors qu’un footballeur lambda, au firmament de sa gloire, profite de son succès précaire pour accomplir des missions publicitaires pour lesquels il se met au service d’un produit, Cantona, dans une continuité naturelle, cultive son mythe, vend des produits tout en cultivant sa propre marque ;
lui-même.
La recette est toujours la même : une gestuelle appuyée, des phrases déclamées, pour un discours très second degré, humoristique. A chaque nouvelle réalisation, le discours est parsemé d’auto-citations. A la fin de la publicité
Laguna/Renault, Cantona lance un « Aurevoir » très appuyé, qui est l’une de ses punch-lines et qui fait écho à une autre publicité, tournée pour Nike quinze ans auparavant. Si l’on doit affilier la carrière de Cantona à celle d’une marque en particulier, ce serait évidemment la célèbre multinationale à la virgule que l’on choisirait. Aujourd’hui, Nike est le maître incontesté de la basket. Fin des années 80, début des années 90, l’entreprise n’était que le challengeur d’Adidas. C’est en s’appuyant sur des figures de proue historiques comme Jordan pour le basketball et Cantona pour le football que la marque s’est affirmée comme la plus vendeuse. Nike a su donner à Cantona l’opportunité de développer son personnage au travers de publicités qui ont fait beaucoup parler d’elles, par leur sens aigu de la provocation. Dans la publicité
Apology, Eric Cantona feint de s’excuser quant à ses débordements dans les stades…
La relation qu’entretiennent Cantona et Nike s’inscrit sur le très long terme, du fait de cette complicité historique, mais aussi et surtout du fait du talent de Cantona pour gérer sa propre image à travers les décennies.
Maitrise de l’image, durabilité de la marque
Dans une émission anniversaire de Canal Plus, célébrant les 40 ans du joueur, Eric Cantona expliquait être passé du métier de footballeur à celui d’acteur par passion, et pas par nécessité pécuniaire. L’ex-joueur est en effet rentier et s’est assuré un confort de vie suffisant pour pouvoir décider sans contrainte de ses activités médiatiques. La durabilité et l’efficacité du personnage publicitaire s’explique avant tout par cette maitrise. Aucune publicité, dans la carrière de Cantona, n’a utilisé le footballeur à contre-emploi. Chaque publicité réalisée répond au cahier des charges du footballeur : virilité, assurance et arrogance, le tout étant désamorcé par l’autodérision du personnage.
Dans le maelström continu des stars du football slalomant dans le monde médiatique, Eric Cantona détonne par sa maitrise et sa cohérence, qui font de lui l’une des plus grandes figures de longévité publicitaire.