Experts de plateaux, lanceurs d’alerte : les communicants du catastrophisme
Ils sont partout, dans chaque émission, et sont devenus une sorte de porte-parole d’une communauté qui nous fait fantasmer. Cette communauté, c’est celle des « experts ». Outre le regain de succès populaire observé concernant le domaine de l’expertise dans les séries télé, nous avons vu l’émergence au cours des dernières années d’un petit phénomène médiatique. L’invitation de l’expert sur un plateau est devenue un incontournable du talk-show. D’abord divertissant, celui-ci est volontiers devenu politique, généraliste, économique. Des émissions comme « C dans l’air » « Mots croisés » ou « Des paroles et des actes » sont le symbole du recours à cette autorité intellectuelle, et parfois morale.
Les super héros de la télé
Elle n’est ni scientifique, ni même organisée, et pourtant, elle agit comme une caste, cette communauté des experts, chacun se référant aux pairs qu’il connaît et se renvoyant invitation sur invitation. C’est ainsi que chaque discipline voit intervenir un et un seul expert. Xavier Rauffer dès qu’on a besoin de quelqu’un pour donner des chiffres sur la criminalité. Philippe Even pour chaque problème de santé. Dominique Reynié, assume lui le rôle du politologue de service (sans qu’on sache bien ce qu’est le métier de politologue). La critique n’est pas nouvelle.
Dans « experts en tout, experts en rien », Mathias Reymond décortique cette pratique télévisuelle, expliquant que les experts, ne se contentant pas d’être spécialistes d’un domaine, les abordent tous, avec le même panache. Ils ne sont jamais pris de court sur quelque sujet que ce soit. On en vient à se demander si l’expert n’est pas en réalité un champion de la rhétorique et du débat, meilleur communicant que chercheur, capable de transmettre des idées davantage que de les trouver.
Ce n’est pas eux que nous aimons mais leur défaitisme
A l’heure où de nombreux scandales émergent via des lanceurs d’alerte dans des domaines aussi proches de nous que l’alimentation, la santé, ou l’environnement, nous sommes face à un paradoxe. Nous détestons nous faire dicter notre conduite par des « Cassandre » qui n’en savent pas forcement plus que nous, mais en même temps, l’attrait pour le catastrophisme et le besoin de se rassurer l’emporte toujours sur notre esprit critique.
Cette fascination du pire est un des mécanismes sur lequel l’expert peut jouer pour asseoir son crédit. Il n’est jamais aussi intéressant que quand il nous parle de malheurs à venir, de crises en préparation, de désespoir et de fin d’une époque. Qui se souvient de Claude Allègre en tant que ministre, de son action ? Et quand celui-ci nous dit que tout va bien et que le réchauffement climatique n’est pas prouvé, avons-nous envie de tendre l’oreille ? N’est-ce pas trop optimiste pour être exaltant ?
Pascal Boniface est allé assez loin dans la dénonciation de cette caste, dans son ouvrage « Les intellectuels faussaires ». Il démontre, point par point, que des figures comme Bernard Henry-Lévy ou Caroline Fourest n’hésitent pas à jouer de positions ambiguës pour amener le lecteur ou téléspectateur à se joindre à leurs avis. Ils passent du statut d’experts à celui d’idéologues, tout en se défendant toujours d’en être, comme si faire de l’idéologie était l’infamie ultime pour une personnalité médiatique.
Doit-on pour autant faire notre autocritique, et jeter les avis des « sachants », pour écouter notre instinct de citoyen ? Rien n’est moins certain. Le pouvoir de l’expert, c’est qu’il intervient dans des champs qui ne sont pas tous empiriquement analysables.
Expert ou scientifique ?
Un expert en psychologie, en géopolitique, ou un historien fait-il de la science ? Peut-il revendiquer avoir une parole sûre, fiable, vérifiable par un processus expérimental ? Il est pourtant souvent très écouté, par les éclairages qu’il nous donne sur notre quotidien. L’expert médical, lui, inspire la méfiance, la défiance, sauf quand il est dans la critique. Il est figé dans une institution qui nous semble sclérosée, pourrie de l’intérieur par des conflits d’intérêt, sans même que nous nous demandions si nous ne plaquons pas sur son discours nos propres peurs.
Quand l’expert médical critique le système sur un plateau, alors il est courageux, digne de confiance. Mais c’est le seul cas de figure où il peut espérer s’imposer. Un scientifique qui dirait aujourd’hui « il n’y a aucun problème avec la viande de cheval », quand bien même aurait-il personnellement analysé l’essentiel des échantillons, serait au mieux raillé, au pire rétrogradé au statut de communicant à la solde de Findus.
Pourtant lorsque le spécialiste discret sort de sa tanière, et ose faire appel à notre part de rationalité, nous intimant d’écouter davantage l’avis de ceux qui ont fait 15 ans d’études sur un sujet précis, mais ne sont pas montrés à la télé, alors nous balayons d’un revers de main sa parole. Et c’est là le drame de l’expertise quand elle devient médiatique. Les critiques nous paraissent fondées parce qu’elles percent à la lumière par le courage d’un seul homme, qui se dresse seul contre son corps professionnel. Une fois passé à la télévision, l’expert n’est plus un simple scientifique, il est déifié. Jeanne d’Arc contre le rat de la laboratoire : le combat est perdu d’avance pour celui qui n’a pas accès à l’opinion publique via les médias.
Le marketing de la critique à la télévision
Nous voulons croire en la sainteté du dénonciateur du système. En réalité, nous sommes incapables de percevoir que ce porte-parole, souvent auto-promu au rang de héraut, peut représenter des intérêts qui lui sont propres, et nous induire sur des fausses pistes qui seront impossibles à défaire par ceux qui restent dans l’ombre. Rappelons-nous les OGM et l’affaire Séralini. Qui s’intéresse encore à ces questions, deux mois après ? Le processus expérimental du professeur Séralini a été démonté point par point par la communauté scientifique, intellectuellement invalidé, mais que reste t’il dans nos souvenirs médiatiquement fabriqués ? Des doutes, des peurs des questionnements. Et l’idée que de toute façon, tout ira mal.
Le vrai problème actuel est au final aisément résumable. L’expert discret, qui oeuvre dans l’ombre auprès d’un tribunal, d’un laboratoire ou d’une université, n’est pas crédible. Il a rendu un avis sur une affaire en cours ? Impossible il doit y avoir des pressions quelque part, parce que nous ne le connaissons pas. Le communicant, lui, exposé au grand jour, mais qui n’a guère le temps de travailler en profondeur les sujets, est celui que nous suivons volontiers. Peu importe qu’il s’approprie en deux semaines un sujet que d’autres ont exploré durant des années.
Il est peut être temps de faire fonctionner notre esprit critique, et de faire davantage confiance aux travailleurs de l’ombre qu’à ceux qui s’exposent sur les plateaux. Ce serait ainsi à nous, spectateurs, de faire basculer la balance, d’accorder plus de crédit à nos chercheurs, et de nous rendre compte que ce n’est pas parce qu’ils sont silencieux sur un sujet, que celui qui a l’audace de venir l’exposer à forcement raison. Au final, l’expert de plateau n’est-il pas un simple journaliste paré de beaux atours ?
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