Faut-il les labels de qualité sur Internet ?
Je m’étais inquiété dans un précédent billet de la recrudescence des émissions de télévision portant sur les "dangers d’Internet" (la dernière en date, un "Ça se discute" de Delarue intitulé "Comment échapper aux surprises d’Internet"). Il est en effet à la mode de dépeindre le Réseau comme un espace de non-droit où l’on tombe sur un pédophile au premier clic dans un forum de discussion. Ce déchaînement médiatique a toutefois parfaitement préparé le terrain pour les projets de réglementation qui fleurissent depuis quelques mois. Qu’est-ce qu’on nous propose pour réguler les contenus circulant sur la Toile ? La labellisation.
Il faudrait, selon certains, créer des labels de confiance qui ne seraient délivrés qu’à des sites Web et des prestataires techniques (FAI, hébergeurs de sites et de blogs, etc.) qui respectent des principes déontologiques. Un décret créant une "commission de déontologie des services de communication au public en ligne" est par exemple dans les tuyaux. Cette commission aurait pour fonction d’accorder, ou de retirer, différents labels de qualité à des entreprises du domaine d’Internet. Un hébergeur de blog pourrait, par exemple, se voir supprimer son label si ses clients publient des contenus ne respectant pas "la dignité de la personne humaine". Rien à redire s’il s’agit de lutter contre les images pédophiles ou les textes appelant à la haine raciale. Mais le périmètre d’action de cet organe gouvernemental est trop flou pour garantir qu’il ne sera pas utilisé pour punir indirectement les sites déplaisant aux autorités. En l’absence de garde-fou et de recours contre ses décisions, il est dangereux de donner un blanc-seing à une commission dont tous les membres sont nommés directement par le Premier ministre...
Une autre tentative d’introduire une labellisation d’Internet apparaît dans le rapport intitulé "La presse au défi du numérique", rendu il y quelques jours au ministre de la Culture et de la Communication (télécharger le rapport en PDF). Les experts responsables de cette étude, Marc Tessier et Maxime Baffert, suggèrent d’introduire des labels pour "promouvoir une information francophone de qualité et s’assurer que le basculement de l’audience vers le numérique ne se traduit pas nécessairement par un appauvrissement des contenus et un foisonnement d’informations douteuses et non hiérarchisées". En d’autres termes, il faudrait créer une élite des publications en ligne qui, parce qu’elles respectent certains principes déontologiques (indentification de l’auteur, mention des sources, etc.) communs aux journalistes professionnels, serait recommandée comme une source fiable d’information. Le rapport explique que, pour que cette labellisation n’apparaisse pas "comme une tentative de contrôle (...) du Réseau", il serait préférable que l’octroi des labels soit géré par les acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire par des représentants des médias. Mais l’analyse de Tessier et Baffert, bien qu’elle aborde la question du "journalisme citoyen", semble surtout vouloir remettre à la baguette les "professionnels" de l’information. Quand elle conseille une "hiérarchisation" des contenus sur le Net, il va de soi que les grands médias doivent rester en haut de l’échelle.
Au-delà de ce vieux débat entre publications "citoyennes" et journalisme professionnel, c’est l’idée même de labellisation qui pose problème. Lorsque le New York Times ou Le Monde ont été créés, ils n’ont pas eu besoin de label pour imposer leur crédibilité. Ils ont démontré la fiabilité de leurs informations sur la durée et non en quémandant des bons points à une commission. Pourquoi en irait-il autrement des publications en ligne, même des plus petites ? Au même titre qu’on accorde peu de crédit à un tract non signé distribué dans la rue, les internautes ne sont pas si stupides qu’ils prennent pour parole d’évangile les propos du premier blogueur venu. Mais si ce blogueur a établi sa marque au fil des années, s’il a prouvé sa capacité à vérifier l’information et son sens de la déontologie, pourquoi aurait-il besoin d’un quelconque label ?
L’univers des médias s’est développé sans avoir recours à la labellisation, et les journalistes ont toujours été méfiants envers ces certificats de bonne conduite. Il serait aberrant de ressortir des cartons ces méthodes d’un autre temps pour les appliquer aux nouveaux médias.
Julien Pain
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