France télévisions à Pékin, médaille d’or de l’émotion... et de l’ennui
Les JO sont la plus prestigieuse des compétitions sportives. Certes, il y a le dopage, la politique, le fric, la récupération des athlètes, mais le spectacle est toujours présent, avec son cortège d’émotion, de suspense, de prouesses physiques et techniques. Un tel événement mérite une couverture médiatique exceptionnelle. Mais autant le reconnaître d’ores et déjà, France télévisions n’a pas été à la hauteur si on en juge par les prestations de nos journalistes du service public ces cinq premiers jours. Voici en quelques mots une appréciation d’un citoyen dépendant de France télévisions parce qu’il a choisi de ne pas payer d’abonnement pour regarder les autres chaînes.
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Obsessionnel et identitaire. Le mot est un peu fort, néanmoins, il caractérise bien le trait principal de la couverture médiatique des JO par France télévisions. Nos journalistes n’ont d’yeux que pour les athlètes français et, par voie de conséquence, les épreuves faisant l’objet d’une diffusion sont celles où l’on voit les Français en lice alors qu’une sélection toute particulière a été effectuée sur les disciplines dans lesquelles les Français ont des chances de médaille, comme notamment en cyclisme sur piste (à voir prochainement), en escrime, CK, aviron, judo, natation et... Dieu merci, l’athlétisme sera, on le pense, diffusé en intégralité, bénéficiant de son statut de discipline reine des JO, même si les chances françaises sont réduites à la portion congrue. Pour l’instant, ce sont les champions français, médaillés ou recalés, qui occupent la place médiatique. D’où une vision tronquée de ces JO avec des épreuves intéressantes, mais écartées du programme concocté par la rédaction des sports, faute de présence française suffisante. Autant dire que le téléspectateur friand de belles épreuves s’ennuie ferme. Le temps d’antenne est proprement gaspillé par la production. On s’ennuie à regarder des épreuves de qualification en natation, à voir descendre des canoës alors qu’un simple flash suffirait pour signaler la qualification d’un de nos compatriotes. Les pitreries de nos journalistes et leurs commentaires sont affligeants de banalité et, parfois, de bêtise. L’incompétence est parfois au rendez-vous. Mieux vaut rire de ce commentateur ricanant sur la facilité à commenter le tir à l’arc alors que, deux minutes plus tard, la Française fut éliminée face à l’Allemande après que le score à égalité eut été rectifié d’un point. Et les téléspectateurs d’envoyer des SMS pour demander l’explication et notre fonctionnaire de la télévision publique de s’avouer désemparé et de faire appel aux téléspectateurs pour donner l’info, non sans avoir payé 35 centimes d’euros et le prix du SMS pour dépanner nos professionnels du sport. Ajoutons à cela le passage en boucle des faits jugés marquants et la coupe de l’ennui est pleine. Dix fois les larmes de Laure Manaudou, ça finit par lasser. France télévisions ne retransmet pas les JO, mais les stories des champions français à Pékin. Le monde n’existe plus. Seules les épreuves mettant en scène les Français sont montrées. Réflexe patriotique, nationalisme, narcissisme ? Ou tout simplement chauvinisme ? Quoi qu’il en soit, cette tendance au repli entre soi marque puissamment la couverture médiatique des Jeux par une équipe fonctionnant quasiment de manière tribale, journalistes, sportifs unis dans la grande famille.
Emotions. Larmes, exclamations, déception, mais quand même formidable… émotions, ce mot est prononcé des dizaines de fois par nos journalistes. De l’émotion, que d’émotions, partagées et nos journalistes sont devins en la matière, par tous les Français. On est tous champions, la France pleure, de joie quand l’or est là, de peine, quand l’échec advient. La télévision veut donner de l’émotion. Sans doute pense-t-elle que, sans émotion, une retransmission est insipide. Il faut s’enivrer d’émotion au contact de l’écran. Des JO sans émotion c’est pour le téléspectateur comme une fête sans alcool. Sans émotion, le spectacle est fade. Notons que l’émotionnel fait perdre la raison et qu’à certaines occasions les spécialistes en oublient les points de règlement et même le déroulement du jeu si bien qu’on a cru ce mercredi matin que Steeve Guénot était sorti en seizièmes. Ah que d’émotions qui justifient qu’on repasse en boucle ces émotions. D’autant plus qu’on peut en consommer sans modération. Vous pouvez conduire après avoir vu les JO, vous soufflerez peut-être dans l’alcotest, mais pas dans l’émo-test.
Résultats et enquête. Laure Manaudou a échoué. C’est une catastrophe nationale. Comme si un avion s’était écrasé ou une tribune effondrée, avec des morts. En ces cas, on cherche la boîte noire, on convoque les experts ; les officiels font des communiqués, les journalistes à l’affût des moindre indices pour comprendre, interrogeant les gens, les témoins, les experts, menant leur propre enquête à côté de l’investigation technique et juridique. Le cas Manaudou est traité de la même manière. La presse veut savoir, comprendre, pourquoi la médaille attendue n’est-elle pas arrivée ? Chacun y va de son explication, et la story de Laure de passer dans le telling des médias. On aura même vu un C dans l’air spécial Manaudou avec une psychiatre du sport ce mercredi 13 août. A quand un psychiatre des médias pour éclaircir ces dérives ? En vérité, pas besoin d’éclaircissement. Les JO sont entrés, comme l’action politique, dans la culture du résultat. Et ce n’est pas un cadeau pour les fédérations qui, en 2012 à Londres, se demanderont s’il ne faut pas arriver avec des tocards plutôt qu’avec des médaillés potentiels. Car tel est le revers de la médaille qui n’arrive pas. Ce sont les emmerdes qui arrivent, les médias et l’opinion s’en mêlent.
Au final, ces JO auraient pu être passionnants ou du moins intéressants. Mais, pour l’instant, je n’ai éprouvé qu’un ennui entrecoupé de quelques séquences finales méritant le détour. Un ennui que j’ai vite conjuré en lisant le Capital de Marx, disponible en poche. France télévisions nous offre une vision étriquée de ces Jeux, traduisant le reflet des tendances dans la société, émotion, investigation, résultat, sentiment national, repli sur soi… et aussi, sans doute, incompétence et médiocrité des professionnels de l’info et de ces consultants qui, souvent, n’ont rien à dire. Les passionnés de la télévision et du reportage n’ont qu’à s’abonner aux chaînes payantes. C’est certain, Eurosport a bien mieux couvert ces Jeux. Pourquoi France télévisions n’a-t-elle pas utilisé ses deux chaînes en simultané pour couvrir plus largement les Jeux ? Peu importe. Tout cela n’est pas bien grave. Au vu des tensions géopolitiques à venir. Jeudi 14 août sur mon agenda, je note, deux finales d’enfer en natation. Je lorgne une fois et, après, je ferme le poste pour éviter les dix rediffusions de l’exploit réussi ou manqué.
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