Gilardi, sans commentaire
Sur l’échelle des morts qui comptent, le commentateur sportif ne doit pas monter bien haut, loin du chanteur à barbe ou de l’acteur à texte. Pas grande plume pour célébrer une voix du ballon rond, alors que...
Thierry Gilardi est mort. Dit comme ça, le genre de nouvelle qui ne laisserait guère de trace entre quelques rodomontades pékinoises, y aller ou pas, et inélégances politiques, collaborer ou pas. Mais Thierry Gilardi est mort, c’est un événement en soi : une voix du sport qui s’éclipse soudain, se tait sans crier but à la veille du 100e match de la rose de David Beckham. Une voix du foot presque aussi sonnante que celle de Thierry Roland, la beauferie en moins, la rigueur en plus.
C’est quoi un bon commentateur ? Un gars qui hurle tous les deux centres en retrait ou un type qui insulte l’arbitre tunisien qui ferait mieux de rentrer chez lui commenter l’amical de son quartier ? Aucun des deux mon cher Jean Michel, et pas non plus ce mélange de mièvrerie pleurnicharde façon service public, qui voit dans tout passement de jambe un geste de ballet et dans chaque sourire en coin une preuve de respect. Un bon commentateur sportif c’est d’abord un journaliste, ensuite un journaliste qui quand il commente un match ne parle que du match (et du jeu télévisé pour gagner un écran plasma, bien sûr) et enfin un esprit assez fin, voltigeur et roublard pour accompagner dans ses ironies dribblantes un Platini des grands soirs. C’était tout cela Gilardi, celui qui forma le plus beau duo du foot de Canal+ avec Platini dans les soirées Ligue des Champions. Une certaine classe et un certain humour, parce que si le football n’importe que peu et ne pèse rien, il n’en reste pas moins un argument de poids pour précipiter le bonheur des uns ou regonfler le malheur des autres.
Alors, bien sûr, on pouvait très bien ne pas connaître Thierry Gilardi, et considérer sa disparition comme une sorte de non-événement comme il en survient quelques dizaines par jour, sur la route ou ailleurs, sans que quiconque ne s’en trouble. On peut très bien estimer qu’il y a certaines fariboles bien plus lourdes de sens que cette absence soudaine, et irréversible. Evidemment, cela s’entend. Mais il n’empêche qu’au moment de donner le coup d’envoi du faux match amical entre une équipe de France privée de certains cadres et une équipe d’Angleterre privée d’Euro, il y a fort à parier que siégera au Stade de France une émotion rare, épaisse et unique comme peu de pertes peuvent en provoquer. Parmi les 80 000 spectateurs qui prendront place dans l’enceinte de Saint-Denis, aucune n’ignorera le nom de Gilardi, presque tous pourront être à même de dire un mot gentil pour lui, à la caméra ou sur des banderoles. Et beaucoup démontreront combien le commentateur soudain sans commentaires était « populaire », sinon « irremplaçable ». Jean-Michel Larqué, lui, restera dans sa mesure habituelle, dans sa réserve sans doute feinte, et fera le boulot, comme d’habitude.
Loin du Stade de France, loin des écrans de publicité, ceux qui conchient le football assureront leurs congénères bornés que tout cela n’a aucune importance, que la mort d’une crise cardiaque de celui qui était aussi à ses heures perdues vice-président du Stade Français ne mérite pas trois lignes dans un canard digne de ce nom, que le ballon rond c’est pour les cons. Chanson bien connue, qu’on nous ressort après chaque défaite humiliante, après chaque penalty raté, chaque élimination d’un rien, chaque poteau carré. Air triste et lassant de ceux qui n’ont rien compris à ce qui fait toute la beauté du sport, de celui-là en particulier, universel et simple, bête et parfois méchant, aliénant et ridicule, j’ai nommé le football. On ne s’improvise pas commentateur sportif, on ne s’invente pas Thierry Gilardi, on l’est ou on ne l’est pas. On l’est ou on commente le patinage artistique. Le commentateur sportif, cet étrange animal, pétri de plus de mauvaise foi encore que le journaliste politique qui à chaque but marqué, ou raté, feint l’extase ou le dépit, mieux que bien des sociétaires de l’Académie française, comme s’il y croyait vraiment, comme si cela comptait pour quelque chose dans l’avenir du monde, en tout cas du sien, en tout cas du nôtre.
Thierry Gilardi était de ces acteurs-là, qui n’assistera pas ce soir à la résurrection de David Trézéguet. Comme quoi, mon cher Jean-Michel, un grand attaquant ne meurt jamais.
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