Grand concours du roman écrit à la truelle
Vous rêvez de publier ce roman qui fera enfin de vous l’être respecté riche et célèbre que vous avez toujours été intérieurement, mais que, par bête jalousie, les autres se refusent à voir ? Les moyens de communications modernes n’ont pas de secret pour vous et, en outre, vous avez horreur de faire des photocopies ? Alors les lignes qui suivent vont peut-être changer votre vie...
Comme vous le savez sans doute, la famille Bouygues (les deux frères Martin et Olivier, maintenant que papa Francis a passé l’arme à gauche) est depuis des décennies honorablement connue pour encourager le développement des Arts et de la Culture sur notre bonne terre de France.
Cette prestigieuse mission ne date pas d’hier, souvenez-vous : déjà, en 1987 les modestes maçons rachètent à l’Etat la première chaîne de télévision pour en faire le temple de l’érudition et du raffinement que l’on sait. Mais le fait d’avoir hissé la petite lucarne à un niveau d’exigence encore jamais atteint ne suffit pas à ces insatiables défenseurs de la culture pour tous.
Un jour, lors d’un conseil d’administration particulièrement soporifique, Martin lève subitement les bras en l’air et s’exclame : « Et si nous lancions un grand concours de roman ? » Tout le monde autour de la table se tourne alors vers le trublion tout en fronçant les sourcils, tandis que son frère Olivier traduit à haute voix l’opinion générale : « Mais ça va nous rapporter quoi ? » Olivier forme alors un rond avec la bouche, regarde ses ongles, passe un doigt nerveux entre le col de sa chemise et son cou légèrement moite puis écarte les mains en signe d’impuissance... L’incident est clos et la séance se poursuit.
Mais peu avant midi, au moment où tout le monde s’apprêtait
à descendre à la cantine (il y avait ce jour-là spaghetti bolognaise), Martin
pousse à nouveau un cri : « Attendez ! Le roman... Le roman du
concours... Y aura du SMS dedans, et même du langage chat ! Ca
sera dans le règlement ! Obligatoire ! On organise le tout en passant
par la fondation Bouygues Télécom, et on se fait au passage un maximum de
pub ! Alors qu’est-ce que vous pensez de ça ? »
Présentée ainsi, l’idée séduit aussitôt les administrateurs
et il leur apparaît bientôt comme une évidence que la création littéraire en
France a bien besoin de soutien. C’est vrai, il y a eu quoi depuis Balzac, en
fait ? Pas grand-chose. Heureusement que Bouygues est là pour redonner à
notre pays la place qu’il mérite dans le paysage littéraire mondial.
Aussitôt décidé, aussitôt mis en branle, le grand concours
voit le jour...
Il faut reconnaître que les Bouygues ne font pas les choses
à moitié : publication du lauréat chez Calmann-Lévy, prix de 10 000
euros... Obscurs, mais talentueux auteurs, ici se joue votre destinée
littéraire ! D’autant qu’il suffit
d’envoyer par mail un simple document word et le tour est joué !
Afin de remplir le fameux document, étudions ce que dit le
règlement du concours : « Peut concourir toute œuvre de fiction
inédite, écrite en langue française, et dont le langage SMS et des messageries
instantanées constitue un élément déterminant de la trame narrative. Tous les
genres sont acceptés : roman psychologique, roman d’amour, drame social,
comédie de mœurs, roman policier, science-fiction, à l’exclusion du genre
pornographique ou érotique » (j’ajouterais pour ma part le roman
historique).
Certes le délai (31 août 2007) paraît un peu court pour se mettre à la rédaction d’un roman, même bourré de séances de chat et de texto abscons. Mais avec le talent qui vous caractérise, ce n’est pas vraiment un problème. Et puis pour la trame, il vous suffit de reprendre Les Liaisons dangereuses et de remplacer les lettres calligraphiées par des écrans plats.
Attention toutefois : Martin et Olivier ne sont pas nés de
la dernière pluie, et le règlement stipule expressément que « l’Auteur
doit faire preuve de qualités d’expression littéraire et de créativité ».
D’ailleurs, pour prouver que tout cela n’est pas de la
rigolade, on apprend sur la page web dédiée que l’événement a pour but, entre
autres, d’assurer la « promotion de la langue française ».
Tro dla bal !
Pour une prochaine édition, et pour rester dans le même
esprit, nous suggérons aux frères Bouygues de promouvoir les arts du spectacles
en organisant, par exemple, un concours de pets.
Toutes les infos : http://www.animations2.bouyguestelecom.fr/mecenatlitteraire/
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