Handisports : des jeux non-vus
La polémique n’en finit pas d’handicaper la rentrée sportive de France Télévision taxée d’ostracisme au prétexte qu’elle ne retransmettrait pas les jeux paralympiques de Londres avec la même assiduité que les jeux de ce bel été.
Les chiffres sont impitoyables (ou pitoyable, c’est selon) : 307 heures de direct pour les olympiques sur les antennes de France 2 et 3, les fleurons du groupe contre 55 minutes de résumé quotidien pour les paralympiques et quelques retransmissions sur France Ô (que celui qui connaît par cœur le canal lève le doigt).
Pourtant on ne peut nier un engouement certain pour les paralympiques ouverts hier par la Queen elle-même. On ergotera sur le fait que pour la circonstance elle n’a pas sauté en avion avec son parachute mais après tout cela aurait été méprisant de montrer à son âge qu’elle en était capable face à des types en fauteuils ou mal-voyants.
Les spectateurs attendus pour encourager les 4 200 athlètes (10 000 pour les olympiques) concourant pour les 503 médailles (contre 962) sont de 2,5 millions.
Mais alors que fait la police des médias ? Pourquoi ne pas imposer purement et simplement à France Télévision la retransmission de cet immense événement planétaire ?
On pourrait imaginer que ces heures d’antenne cannibaliseraient les prestigieux programmes de rentrée prévus pour incendier les audiences et faire du service public une BBC bis. Le rêve…
Mais non la réalité est plus triviale que ça. France Télévision ne diffusera pas les paralympiques parce que tout simplement le monde s’en fout. Oui, je sais ce que je viens de dire est politiquement très incorrect et loin de moi l’idée de dévaloriser ces athlètes hors du commun et leurs exploits mais les faits sont têtus.
Passons sur la couverture de ces jeux dans l’Equipe, un excellent baromètre sur la place de chaque sport dans la société : résultat une demie page par jour.
Oui, le public s’en fiche comme du ball-trap, du pentathlon moderne, du hockey sur gazon ou du water polo aux JO d’été qui n’ont pas davantage de couverture médiatique pendant l’olympiade. Mais pourquoi tant d’indifférence ? Tout simplement car il y a trop de différences.
Les épreuves sont illisibles
La cause en revient essentiellement aux épreuves elles-mêmes. Si les jeux olympiques ont su mettre en scène des moments forts et attendus (100m sur piste et dans l’eau, handball, basket etc), les paralympiques peinent à accrocher l’œil car ils sont tout simplement illisibles. Or le téléspectateur sportif est un être basique : un sport, une épreuve, un champion, point-barre. Ce qui est loin d’être le cas pour les paralympiques. Rien que pour les finales du 100m sur piste en athlétisme, pas moins de 15 finales sont au programme. Car pour mettre les athlètes sur un même « pied » d’égalité, les fédérations ont créé autant de catégories que de handicaps, pondérant de surcroit par des degrés dans l’invalidité. Quatre catégories donc : infirmes moteurs cérébraux (5 grades), sportifs en fauteuil (4 grades), malvoyants et non-voyants (3 grades), et amputés (3 grades). A noter que les handicapés mentaux ne sont pas représentés dans cette épreuve. Les épreuves sont codifiées de telle manière que vous ne retrouviez pas vos petits : un concurrent en T11 a une vue quasi-inexistante. Il court avec un guide. Un concurrent en T13 a en revanche une vue suffisante pour courir seul. Et un sprinteur à qui il manque une jambe ne courra pas contre celui qui en a deux mais qui n’a qu’un bras.
Cette complexité devient d’ailleurs souvent sujette à caution. Un athlète amputé au niveau du genou est-il plus ou moins valide que celui amputé au niveau de la cheville ? Chaque handicap est par définition différent de celui de son voisin. Chaque prothèse ou engin aussi. Prenez les fauteuils par exemple : certains valent plusieurs milliers d’euros. Ce sont des véhicules de haute-technologie. Plus l’athlète est en fonds et meilleure sera sa machine. Injustice. Les podiums sont d’ailleurs tellement disputés qu’ils sont aussi discutés. Sans parler des cas de tricherie avérés (10 des 12 basketteurs champions olympiques espagnols dans la catégorie « déficients mentaux » ne l’étaient pas), 15% des athlètes furent reversés après réclamation dans une autre catégorie avant les épreuves aux paralympiques de Pékin.
Télégénie discutable
Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses en matière de télévision, la télégénie de certains sports reste à discuter : essayez donc pour voir de rester devant votre poste en regardant un match de goalball - un sport pour déficients visuels qui courent après des ballons à clochettes pour les envoyer dans de grands filets dressés sur la largeur du terrain - ou de pétanque gréco-romaine en fauteuil (boccia).
Le comble de l’ironie finalement est qu’à force de vouloir faire des personnes handicapées des héros ordinaires, on finit par les isoler dans leur différence (ou catégorie) pour mieux les enfermer dans leur handicap. A cet effet, l’universalité du sport devient discutable.
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