Indiana Jones : une séquence inoubliable
Le 4e « Indiana Jones » de Spielberg arrive sur nos écrans et la promo bat son plein.
Dans un bavardage qui s’étire sur 4 pages dans le dernier numéro de L’Express, le réalisateur nous parle de lui et de la saga. Quelques lignes sont consacrées à une courte séquence du premier, Les Aventuriers de l’arche perdue (1981). Le héros est poursuivi dans une foule. Elle s’écarte et, devant lui, à 20 mètres, surgit un Arabe magnifique, enturbanné, armé d’un cimeterre qu’il agite de façon experte et menaçante. Il veut manifestement en découdre et barrer le chemin. Indiana Jones le regarde d’un air ennuyé, dégaine son colt, vise l’autre – toujours aussi loin, en attente du combat singulier – l’abat et s’éloigne sans un regard.
Cette scène m’avait choqué et je la revois dès qu’il est fait référence à Indiana Jones et à Spielberg. Je la trouve à la fois insupportable et révélatrice. Ma réaction étonnerait le réalisateur et le journaliste car aucun n’y voit manifestement ce que j’y ai vu.
Spielberg décrit complaisamment les raisons qui ont écourté la séquence. Harrison Ford, après 4 heures de tournage avait quelques soucis de santé et il fallait le laisser se reposer et, pour cela, écourter la scène. La solution – élégante – était donc de se débarrasser rapidement de cet Arabe belliqueux. Un mort dans un film d’action est-ce vraiment grave ? Cette fois-ci la manière m’a scandalisé car elle révélait un mépris total. Ce n’était qu’un insecte inopportun dont on se débarrasse d’une chiquenaude, sans y penser. Mon étonnement, par la suite, s’est accru de n’avoir jamais entendu ou lu une remarque allant dans le sens de ma réflexion. Télérama – ce média tellement bien pensant – ne s’en était pas ému quand l’occasion lui en avait été donnée, il y a quelques mois : les raisons cliniques de la scène avaient été expliquées. La même scène et la même explication ont été fournies sans plus de réaction du journaliste dimanche soir au 20 heures de France 2, dans l’entretien avec Spielberg et Ford.
Spielberg n’est pas un innocent. Ses films d’aventures, de guerres, d’histoires, de fiction portent toujours un message et il connaît la valeur des images, lui qui dit, à propos de La Liste de Schindler : « Je savais quel impact un film pouvait avoir ». Il prétend aussi faire des films pour ses enfants. Pourtant, il est indifférent à l’influence que peut avoir le spectacle d’un homme qui se fait tuer comme on écrase un moustique sur leur appréhension du monde.
Il y a bien plus derrière cette apparence. La qualité des protagonistes donne à la scène une valeur symbolique. Pour l’apprécier à sa juste dimension, inversez les rôles. L’Arabe, sobrement vêtu, tue avec la même désinvolture un Américain ou un Israélien dans la foule. Le film étant le même, aussi bien fait, aussi populaire et distribué dans le monde entier. Imaginez le scandale, l’horreur, le tollé !
J’éprouve un malaise et une colère. On peut en dire beaucoup. Ce film, déjà lointain, préparait, avec d’autres et entre autres, les esprits à ce qui allait se passer vingt ans plus tard. Le grave est que vous habituez les esprits dans votre pays à considérer les autres – ici les Arabes – comme des gêneurs sans valeur, potentiellement dangereux, à éliminer sans y penser. Vous donniez le feu vert à toutes les bavures qui ensanglantent les populations civiles quand vous partez faire la guerre en Irak.
C’est également se préparer à des représailles car la haine de ceux que l’on méprise de la sorte devient inexpiable. Ils n’auront de cesse de se venger. Les dix secondes de trop de ce film l’ont rendu dangereux car emblématique dans les deux camps.
Dorénavant Spielberg, pour moi, est cet Américain qui s’autorise, sans remords, sans conscience, ce genre de scène. Est-ce du mépris, du racisme, de l’indifférence, une absence de sensibilité, de discernement, de réflexion ? Cela réduit à peu le portrait édifiant que l’on veut nous vendre.
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