Internet et présidentielle 2007 : au coeur de l’activisme politique en ligne (3)
Quel a pu être l’impact d’internet sur les choix électoraux en 2007 ? Voici le troisième et dernier article consacré à l’analyse des données d’enquête recueillies auprès de 1 522 visiteurs du site www.election-presidentielle.fr à l’issue du scrutin présidentielle.
L’expérience de ces deux scrutins invite toutefois à dissocier les contextes référendaire et présidentiel. En 2005, les Français, invités à se prononcer par une réponse simple (« oui » ou « non ») ont été exposés à une information dont ils ont suspecté, à juste titre, le manque d’impartialité. Les règles régissant la campagne référendaire dans les médias audiovisuels (principales sources d’information politique des Français) desservaient en effet les partisans du « non », le temps de parole étant pour l’essentiel réparti au prorata du poids électoral des formations politiques représentées au Parlement. Les principaux partis s’étant prononcés en faveur du traité constitutionnel, les tenants du « oui » bénéficiaient en toute logique d’une exposition médiatique supérieure à ceux du « non » principalement issus de formations politiques minoritaires. Dans ce contexte bien particulier, internet a offert une tribune précieuse aux tenants du « non » leur permettant ainsi de gagner en visibilité et de toucher les électeurs en quête d’informations sur le traité constitutionnel européen.
Pour l’élection présidentielle, l’application des principes d’équité puis d’égalité entre les candidats déclarés puis officiels garantit l’expression des différentes sensibilités politiques dans les médias audiovisuels. Dès lors, ce qui faisait la force d’internet en 2005 n’apparaissait plus de façon aussi évidente deux ans plus tard. L’exposition aux arguments du « non » à la télévision et à la radio en 2005 pouvait aisément relever de l’exploit ; internet offrait alors une source d’information alternative à moindre coût et à condition d’y avoir accès. Il en fut autrement pour l’élection présidentielle, internet étant dépouillé d’une partie des atouts qui avaient pu être les siens lors de la campagne référendaire face aux autres sources d’information.
Pour autant, internet apparaît désormais comme l’une des premières sources d’information politique pour une proportion significative d’électeurs (près de 10 millions si l’on se réfère aux données de l’enquête post-électorale réalisée par l’Ifop pour le CEVIPOF et le ministère de l’Intérieur). Nul ne peut donc négliger ce média et l’un des défis de ces prochaines années consistera à identifier clairement quelles peuvent être les éventuelles répercussions d’un recours à internet comme source d’information sur le choix des électeurs au moment de voter.
Internet favorisant l’expression d’un plus grand nombre de sensibilités politiques, on pourrait en effet s’attendre à ce que le degré d’activisme politique sur la toile se traduise par une hétérogénéité accrue des votes. Pour vérifier cette première hypothèse, nous avons étudié la dispersion des votes d’un groupe d’internautes à un autre classés selon leur degré d’activisme politique au cours de la campagne présidentielle. Toutefois, les résultats observés s’avèrent sensiblement comparables d’un groupe à un autre. A eux seuls, les trois candidats arrivés en tête au premier tour recueillent près de 78 % des suffrages dans le groupe où l’activisme a été le moins élevé et 79 % là où il a été le plus fort. De même, les cinq premiers candidats totalisent 85 % dans le premier groupe et 88 % dans le second, soit un différentiel marginal de 3 points. Ces résultats amènent à penser que la visibilité accrue dont auraient pu bénéficier sur la toile les « petits » candidats auprès des internautes ne leur a par permis d’engranger davantage de suffrages. Ceci pourrait notamment s’expliquer par le fait que, comme nous l’avons vu précédemment, les internautes les plus actifs politiquement sur la toile sont aussi ceux exprimant l’intérêt le plus élevé pour la politique. Compte-tenu de leur fort degré de politisation, ces électeurs sont aussi ceux dont les orientations politiques sont les plus solides et les moins à même d’être influencées par le déroulement de la campagne électorale.
Faut-il en conclure qu’internet n’aurait eu aucun impact perceptible sur le vote au premier tour de l’élection présidentielle ? L’activisme politique semble en effet se traduire par une concentration des votes au moins comparable à celle observée à l’échelle de l’ensemble de l’électorat. On observe toutefois d’importantes variations d’un groupe d’activistes à un autre concernant les scores obtenus par chacun des trois premiers candidats. Le score de François Bayrou s’avère en effet d’autant plus élevé que les internautes ont manifesté un activisme politique fort au cours de la campagne présidentielle. A contrario, Nicolas Sarkozy obtient davantage de suffrages parmi les internautes les moins actifs. La proportion de votants pour Ségolène Royal apparaît quant à elle comparable dans chacun des trois groupes constitués. La candidature du leader centriste aurait donc bénéficié d’une « prime électorale » sur internet.
Pour vérifier cela, nous avons cherché à savoir s’il existait un lien entre le vote des internautes au premier tour de l’élection présidentielle et leurs pratiques politiques sur le web à l’occasion de la campagne. Compte-tenu de la taille de l’échantillon et du nombre élevé de candidats en lice, cette analyse n’a pu être menée que pour trois d’entre eux : Ségolène Royal (442 électeurs), François Bayrou (373 électeurs) et Nicolas Sarkozy (319 électeurs).
Fait particulièrement intéressant, les électeurs ayant porté leur suffrage sur la candidature de François Bayrou sont aussi ceux qui revendiquent le plus fréquemment l’utilité d’internet pour faire leur choix électoral. Ainsi, le score de corrélation enregistré entre l’utilité d’internet et ce vote indique que la probabilité de voter pour le candidat du centre s’avère d’autant plus élevée que les électeurs interrogés estiment qu’internet leur a été utile pour décider quel serait leur vote. Les électeurs de François Bayrou se distinguent nettement de ceux de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Ainsi, aucun lien de corrélation n’émerge entre l’utilité d’internet et le vote pour la candidate socialiste et le candidat soutenu par l’UMP, les électeurs de ce dernier revendiquant parallèlement l’utilité de la télévision pour leur prise de décision.
Le fait d’avoir utilisé internet pour s’informer sur l’élection présidentielle, rechercher des informations sur les candidats et leur programme peut donc expliquer en partie le vote de certains électeurs pour François Bayrou. Ceci concorde avec la dynamique de campagne observée en sa faveur sur la toile. Son positionnement anti-establishment à l’encontre les médias audiovisuels n’est d’ailleurs pas sans rappeler la stratégie des tenants du « non » lors du référendum constitutionnel européen de 2005. Toutefois, si ces indices laissent à penser que François Bayrou a nettement plus bénéficié d’internet que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, les scores de corrélation observés s’avèrent relativement faibles et doivent être interprétés avec prudence. D’autres éléments expliquent probablement avec davantage de poids le vote en faveur de François Bayrou, le recours à internet n’étant qu’un facteur parmi d’autres ayant pu contribuer à sa dynamique électorale.
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