Kid Nation : des enfants dans le bocal de la télé-réalité
Annoncé pour le 19 septembre aux Etats-Unis, Kid Nation, cet énième reality-show soulève une importante contestation, due essentiellement au fait que ce sont des enfants qui sont dans le bocal, en bêtes de foire, et pas en raison du véritable abus de confiance que constituent, dans leur quasi totalité, les reality-shows.
Bref résumé : l’action se situe à Bonanza, un village du Nouveau-Mexique dont le nom évoque une série télévisée américaine des années 60. Le cadre ressemble à un décor de Western et les enfants sont, soi-disant, livrés à eux-mêmes, avec toutefois des psychologues pour « éviter les débordements ». Que font-ils pendant ces quarante jours d’isolement ? Ils mènent une vie de petits fermiers avec toutes les contraintes qu’elle implique : cuisine, nettoyage, soin des animaux, etc. Le travail est tel, pour des enfants qui n’y sont pas préparés, que certains craquent avant la fin du tournage. L’amusement tourne parfois à l’aigre quand l’activité devient imposée et répétitive. Les enfants sont séparés en quatre classes : travailleurs, cuisiniers, commerçants et « upper class », arborant des couleurs différentes pour éviter la confusion. Mais on peut changer de statut social quand on réussit certaines épreuves. Tout se passe par vote des enfants et le gagnant du jour remporte 20 000 dollars. Dans l’esprit des producteurs, ce microcosme est censé donner une image de démocratie.
L’émission n’étant pas encore diffusée, on ne peut se fier qu’aux extraits et à la publicité pour se forger une opinion ainsi qu’à la teneur des plaintes qui ont été déposées par les parents des bambins. Ces plaintes portent essentiellement sur la négligence de l’encadrement, le travail des enfants (payés 5 000 dollars chacun tout de même). Les syndicats du cinéma dénoncent le rôle déguisé d’acteurs qu’on a imposé aux pensionnaires, et évoquent des textes écrits par la production à lire, des scènes à jouer et rejouer. Personne ne se pose pourtant le problème du rôle qu’on fait tenir aux enfants dans cette affaire.
Une société cloisonnée
Le principe du reality-show est de séparer la société en catégories pour n’observer qu’un spécimen de cobaye. Le critère est souvent l’âge (Kid Nation de 8 à 15 ans), mais on a pu voir aussi d’autres critères encore plus discutables comme le surpoids (Big Diet en Allemagne), la séduction (Loft Story 2001, 18 à 30 ans) et pourquoi pas bientôt une anomalie physique, la cécité, la surdité, pour être assuré d’un solide dénominateur commun. La production doit s’inspirer du dicton : « qui se ressemble s’assemble » et, sûrement influencée par la biologie et sa propension à classifier, met en observation l’échantillon le plus cohérent possible. Dans le cas présent, elle crée même des sous-catégories sociales, avec une classe dirigeante, une classe de travailleurs (dont, étrangement, ne font pas partie les cuisiniers) et de commerçants peut-être destinés à jouer le rôle de classe moyenne... avec les cuisiniers.
Un thème porteur
Les reality-shows fonctionnent par thèmes. Le premier Loft Story de 2001 était axé sur les relations amoureuses, il y eut ensuite la vogue des shows aventuriers ou il s’agissait de survivre dans un milieu naturel, voire hostile. Où le procédé devient malhonnête, c’est quand il prétend à l’objectivité pour faire passer son message (si basique soit-il), quand il prétend à l’aléatoire alors que les candidats sont toujours choisis très précisément, presque scientifiquement. Il faut savoir que le sujet des conversations entre les cobayes est le plus souvent décidé à l’avance. Dans certains cas, comme celui qui nous occupe, des pans entiers de textes sont écrits et joués par les enfants. Il existe donc une idée de départ pour lancer l’émission et le rôle du réalisateur est de lui accoler les événements qu’il aura glanés au fil des heures d’enregistrement, et même davantage cette fois-ci puisqu’on est en présence d’un véritable scénario. L’exemple de Kid Nation souhaite montrer que les principes de démocratie sont ancrés en chacun de nous, dès la petite enfance, et qu’ils prédominent, malgré tout, quand un petit groupe est livré à lui-même dans une communauté autarcique. Le microcosme de Bonanza donne un résumé de société, avec un groupe dominant, un groupe dominé et des hypothétiques passages de l’un à l’autre, plébiscités par l’ensemble de la communauté.
La lassitude de la fiction
A une époque où chacun peut voir sur son téléviseur des milliers de fictions chaque année, les producteurs ont pensé que la référence à la réalité ouvrait de nouveaux horizons. Ce n’est pas nouveau, souvenez-vous du slogan des bandes annonces depuis les années 60 : « a thrue story ». Malheureusement, ce qu’on diffuse n’est qu’une parodie savamment orientée de ce qu’on veut faire passer pour du réel. L’objectivité des prises de vues n’a plus cours quand on dispose de 26 caméras et 50 micros (Loft Story I) et donc qu’un choix drastique de la représentation et du son est opéré en aval. Si l’on en croit les extraits, Kid Nation franchit encore un palier supplémentaire en présentant des images déjà montées de plans soigneusement alternés qui impliquent un découpage préalable. Nous ne sommes plus dans la (fausse) caméra de surveillance, mais dans des procédés cinématographiques garants de l’efficacité émotionnelle. Ce reality-show ne se donne plus la peine de faire semblant, il nous dit « on fait du cinéma, mais du cinéma vrai, instinctif ». Les enfants et leur légendaire candeur en sont la plus convaincante démonstration.
Le direct a lui aussi disparu dans Kid Nation. On sait que l’expérience (le tournage) a eu lieu au printemps dernier et qu’il n’est plus question de « temps réel » qui paraissait pourtant un des principes de ce genre d’émissions : le téléspectateur, tenu en haleine devant son écran, espérait qu’un événement allait survenir et qu’il en serait le premier témoin.
Le nouveau reality-show est-il arrivé ?
Techniquement, le reality-show est donc revenu aux principes du cinéma : scénario, découpage, prise de vue, montage. D’un côté le procédé est plus franc puisqu’on ne cherche plus à vendre un réalité synchronique, mais je doute que ce soit la franchise qui ait inspiré ce renouvellement du genre. Je crois davantage que l’on cherche à faire passer pour de la spontanéité des idées longuement mûries dans les bureaux de la production. Que l’image, sans se priver cette fois des moyens du cinéma qui ont fait leurs preuves, serve à abuser le monde des téléspectateurs en jouant sur la corde d’un pseudo-réalisme. Il ne serait pas excessif d’avancer que Kid Nation utilise habilement des enfants pour glorifier des valeurs morales auxquelles le monde des adultes est si fondamentalement attaché et qu’il cherche même à promouvoir... et ceci malgré les dérives déjà constatées dans l’histoire contemporaine.
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