L’Auvergnat se meurt…, L’Auvergnat est-il mort ?
« L’oubli drape les morts d’un second linceul » écrivait Lamartine. Un second linceul qui risque de faire définitivement disparaître dans la poussière de l’Histoire des médias Louis Bonnet, fondateur de l’hebdomadaire bien connu des bistrotiers de la capitale : L’Auvergnat de Paris. Car le journal emblématique des bougnats est en état de mort clinique. Placé en liquidation judiciaire, L’Auvergnat de Paris a cessé de paraître. Et sans doute ne se relèvera-t-il pas de ce nouveau coup...
Chaque semaine, la bande de routage déchirée, on allait de commune en commune, en quête de nouvelles des amis, des oncles et tantes, des cousins restés au pays. De Picherande (Puy-de Dôme) à Nasbinals (Lozère), en passant par Paulhaguet (Haute-Loire) ou Cheylade (Cantal), on y glanait ceci :
· Madame Delcros a récolté un cèpe de 1,2 kilo dans le bois d’Anglard.
· Louis Jouvente a racheté le tracteur John Deere de Jeannot Marty en remplacement de son vieux Massey-Ferguson.
· Nathalie Batifoulier, la fille des fermiers du Breuil, a obtenu son permis de conduire à sa 2e tentative.
· Daniel Lescure a vendu Napoléon, son taureau reproducteur salers primé à Paris, à un négociant d’Aurillac pour un élevage argentin.
· Madame Bompard est rentrée de Clermont, où elle était hospitalisée pour un ulcère à l’estomac. Elle est bien fatiguée.
Des restaurateurs et des limonadiers – les fameux bougnats – qui trouvaient dans L’Auvergnat de Paris, sous forme d’articles et de petites annonces, toutes les informations utiles sur le marché de l’emploi dans leur secteur d’activité, sur les fournisseurs de café et de percolateurs, ou sur les nouveautés législatives et réglementaires. À tel point que presque tous les restaurants, brasseries et bistrots de la capitale étaient abonnés à l’hebdomadaire, y compris ceux qui étaient tenus par des patrons non-Auvergnats. « Un auxiliaire indispensable », m’a dit un jour le rabelaisien Robert Cointepas, patron… angevin de la Taverne Henri IV, un bar à vins réputé du Pont-Neuf.
L’émergence d’internet, les difficultés corrélatives de la presse, la baisse des recettes publicitaires, et la dilution progressive du sentiment communautaire ont porté des coups très rudes à L’Auvergnat de Paris. Il est bien loin le temps où l’on pouvait discuter du pays dans les confortables bureaux du 13 boulevard Beaumarchais, au cœur de ce Paris des Auvergnats dont la place de la Bastille et la rue de Lappe constituaient l’épicentre, à l’image du Montparnasse des Bretons. Après une première grave alerte en 2004 et l’adoption dans son titre du logo CHR (annuaire des cafés, hôtels et restaurants), l’hebdomadaire, de nouveau en difficulté, a été repris en juillet 2008 par Yvon Mézou, président de la holding professionnelle Bistrots & Comptoirs. Le nouveau patron a tenté de revenir aux fondamentaux, et notamment à la forte empreinte identitaire qui a marqué l’histoire du journal durant des décennies de gestion par Louis Bonnet puis ses héritiers. En vain : devant l’accumulation des pertes (300 000 euros par an), L’Auvergnat de Paris a déposé le bilan le 23 juillet 2009. Le 6 août, il était mis en liquidation judiciaire par le Tribunal de Commerce de Paris.
Désormais, le vieux journal de Louis Bonnet, compagnon fidèle des bougnats depuis… 127 ans, ne répond plus. Et aucun air de cabrette ou d’accordéon, aussi joyeux soit-il, ne pourra faire passer cette désolante nouvelle : L’Auvergnat se meurt…, L’Auvergnat est mort !
* Les premiers débitants de boissons vendaient de la limonade dans les rues de la capitale, d’où leur nom de « limonadiers ». Un nom qui a survécu à l’avènement des bistrots, et désigne aujourd’hui aussi bien le tenancier d’une buvette que le patron d’un… bar à vins !
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