L’émotion et non la réflexion
L'indignité télévisuelle
La société du spectacle macabre
Les récents événements qui ont sidéré le pays ont été savamment orchestrés par des médias qui ont basculé depuis quelques années dans une logique de spectacle. Le mot est, hélas, terriblement en décalage avec la réalité dramatique des faits ; il fait même injure aux victimes ainsi qu'aux acteurs, mais c'est ainsi qu'il faut nommer les choses.
Des caméras et des micros pointés avidement vers le malheur, faisant de la mort et de la douleur leur fonds de commerce car, commerce il y a, dans un système où tout finit par rapporter de l'argent pourvu qu'on soit dépourvu de conscience. C'est la triste réalité d'une course à l'audience qui n'a d'autre but que de vendre du temps d'antenne à des plus margoulins encore.
L'information en continu, c'est d'abord la confiscation de la capacité de chacun à prendre le temps de la réflexion et de la distance face à l'immédiat d'une violence folle. Il faut, à tous prix, placer le téléspectateur ou l'auditeur en état de stupeur, le prendre dans les filets tendus par des journalistes qui ne remplissent plus leur mission mais les tiroirs-caisses de leur employeur.
Alors, ils occupent l'antenne, répètent inlassablement les mêmes informations, montrent sans modération des images souvent vides de sens mais pas de sensations. Faute de victime sanguinolente, le gyrophare d'une ambulance portera son content de frisson. Les mêmes images sur toutes les antennes, les mêmes commentaires sur toutes les ondes et, s'il n'y a pas encore de quoi faire monter la mayonnaise de l'effroi, les micros-trottoirs vont pousser tout un chacun à sombrer dans l'apocalypse.
La fonction explicative est rejetée au second plan ; c'est d'abord la monstration qui importe pour donner corps au sensationnel. L'individu moderne ne croit que ce qu'il voit, ne s'émeut que dans le bain de sang, ne compatit que s'il est directement impliqué dans l'aventure. Montrer c'est faire de celui qui regarde un voyeur, un monstre qui aura pour seule excuse de partager émotionnellement le sort des victimes.
Toute cette mayonnaise qu'il s'agit de faire monter n'a d'autre résultat qu'une incroyable réaction primaire. La raison laisse place à un maelström de bons sentiments et de bien plus vilains, de pensées charitables et de réactions virulentes et primaires. Tout est fait pour que le cœur et les tripes supplantent le cerveau. C'est pitoyable !
Mais que faire alors ? Rien ne sert d'attendre la moindre inflexion des médias : ils ne peuvent sortir de cette logique lamentable dans laquelle ils sont englués. C'est à chacun de nous de nous interdire de céder à ce réflexe archaïque du regard. C'est à chaque individu porteur de conscience de sortir de ce piège abrutissant tout en avertissant ceux qui y succombent de la folie qui les menace.
Ne pas regarder c'est faire le pari de la compréhension en allant chercher ici où là les quelques supports qui échappent au délire du voyeurisme malsain et vide de contenu. J'ai, quant à moi, fait depuis de longues années, le choix de France Culture pour trouver la nourriture spirituelle qui remplace le gavage primitif des autres machines à émotion. C'est quand une majorité de gens échappera au réflexe de l'écran ou de l'onde de choc, que nous parviendrons à une maturité citoyenne.
Ainsi éviterons-nous le pire de la télévision, l'étalage des réactions primaires, la mine de tous les responsables qui se bousculent devant les caméras pour récolter des points de satisfaction. Ainsi ferons-nous le choix des commentaires intelligents au lieu des propos niaiseux des grands supports ; certes, grands par l'audience mais minuscules par l'esprit.
Nous avons tous notre part de responsabilité dans l'abaissement du niveau, dans la perte des repères, dans l'effondrement de la capacité d'analyse. Parce que l'image n'apporte rien, faites donc le choix de l'ignorer, pour enfin aller à l'essentiel. La réflexion importe bien plus que cette émotion factice et fugace.
Intelligemment vôtre.
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