La décadence des humoristes : la prostitution publicitaire
La peopolisation imposée par le système libéral qui est condamné d’en faire le maximum pour vendre du rêve à la populace atteint des sommets depuis le début des années 2000. Aucune catégorie n’échappe à ce passage obligé. Mais, il y a pire que de s’afficher sur les pages people des torchons comme Gala ou Closer, il y a la prostitution publicitaire.
Une des catégories qui a poussé jusqu’au bout cette logique de prostitution au profit du grand capital financier est celle des humoristes stars. Fini le temps des irrévérencieux à la Coluche, des provocateurs à la Desproges, aujourd’hui, les rares qui se distinguent du lot finissent par tourner leur veste pour faire du chiffre et « manger ».
Mais faut-il tout faire pour « manger » ?
Faut-il baisser son pantalon pour augmenter ses « revenus » ?
L’exemple type qui peut servir de cas d’école poussé à son extrême est celui de Jamel Debbouze. Jamel était, à la fin des années 90, le jeune des banlieues qui a réussi en partant de rien. Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention à Jamel et lui reprocher de réussir et de quitter le milieu de la misère des banlieues. Aujourd’hui, il vit certainement mieux qu’avant, fréquente d’autres milieux et c’est tout à son honneur. On n’a pas le droit de critiquer sa vie privée, « ça ne nous regarde pas » comme diraient Les Inconnus. Mais on a pleinement le droit d’analyser son revirement et ses apparitions publiques.
Avec l’arrivée du stand up, il a lancé des jeunes dans le bain en les sortant des banlieues. Il n’arrête pas de répéter partout qu’il a dépensé énormément d’argent sans attendre de retour pour faire vivre ce projet du Jamel Comedy Club.
Mais cela justifie-t-il la piètre campagne de publicité en association avec Nescafé (1) ? Déjà, le produit qu’on nous expose n’est pas en relation directe avec Jamel. L’association ne marche pas. A moins qu’on veuille déstresser les jeunes de banlieues en leur refourguant du café, on peut croire que la campagne de pub se trompe de cible.
Capture d’écran du site : tout y est, chaque détail est pensé au millimètre près...
Ceci dit, Nescafé ne peut pas se lancer ainsi sans avoir étudié de près la catégorie de clients ciblés. Ainsi, on cible les jeunes bobos dont les parents peuvent se permettre d’avoir une machine à café dernier cri à la maison. Un de ces sketchs qui tourne autour de la tecktonik le confirme : on vise les boutonneux de 13-16 ans pour les habituer au café et de préférence de la bonne marque (Nescafé) pour se faire ainsi non pas dix clients occasionnels mais « un client pour la vie ».(2)
Si on commence à en consommer dès l’adolescence, c’est clair qu’on ne voudra plus s’en séparer. Donc, cette pub ne se permet pas d’associer le café à Jamel, mais au contraire d’intégrer Jamel au café ! Ici, le produit devient plus puissant que la star qui le présente. En plus, elle fait bouger l’image de Jamel qui n’est plus le jeune dans lequel se reconnaissent les banlieusards. Son image se boboïse. Il devient l’icône des bobos ados qui boivent des cafés comme les grands et qui dansent de la tecktonik comme des débiles ayant reçu un électrochoc.
La qualité des sketchs présentée dans ces vidéos manque d’originalité et, pire, frise le pathétique.
Le premier sketch est une parodie d’une pub qui existe déjà (celle de Richard Berry et le yaourt) et on sait très bien que les parodies ratées sont le début de la fin. Le troisième est une parodie aussi d’une pub de Coca Cola. Chacun crée sa propre musique. On peut parier que ce refrain qui a dû sortir en trois minutes d’improvisation (donc non travaillé) va servir d’hymne à des hordes d’adolescents décérébrés...
L’humour ne se fait pas sur commande et si on n’est pas intimement convaincu par ce qu’on fait, le résultat s’en ressent. On observe bien sur ces images que Jamel n’est pas persuadé par ce qu’il tourne. Il le fait pour « manger », mais pas plus. Cette prostitution publicitaire n’est pas un cas isolé et presque tous les humoristes actuels y passent.
Je peux bien comprendre que les humoristes doivent manger. Tout ce beau monde n’a pas une activité régulière qui lui permet d’assurer ses arrières. Peut-être est-ce là le signe d’une faiblesse psychologique des stars d’humour ? Ont-ils peur de se retrouver du jour au lendemain sans rien et, du coup, il faut faire tout et n’importe quoi pour se protéger contre les jours où ils ne seront plus rigolos ? (Or c’est déjà le cas pour certains d’entre eux.)
Cette crainte dans l’état actuel des choses est injustifiée puisqu’une fois qu’on y est (de l’autre côté de l’écran), on n’en sort plus grâce à des tournées sur les plateaux télé de promo.
Ce qui nous amène au deuxième type de prostitution : la tournée des plateaux télé ou radios pour vendre.
De plus, ce sont toujours les mêmes qu’on voit : on a l’impression d’être dans ce film avec Bill Murrey où, chaque fois qu’on allume la télé, on voit les mêmes têtes sur les mêmes émissions. Il n’y a plus d’innovation. Il n’y a qu’à regarder l’émission d’Arthur où les invités se forcent à rire pour trouver drôle des séquences que le même Arthur a dû montrer trente fois en deux ans. Se succèdent alors les mêmes personnes qui squattent le PAF depuis vingt ans pour certains.
Le pire pour leurs fans seraient de découvrir cette vérité amère que seul Ardisson(3) a eu les couilles de révéler : certains perdent leur âme d’humoriste, du coup, ils ont recours à des "nègres" qui leur écrivent les blagues. Eh oui ! Même le vieux de la vieille Chabat y a recours ...
L’humour entre dans la consommation et pour consommer il faut des décérébrés... donc des ados !
Cette prostitution promotionnelle fait qu’on entre dans l’humour de consommation. Un autre spécimen qui illustre bien ce cas est Michael Youn. Je l’avoue, il y a sept ans, quand j’étais ado, Le Morning Live me faisait rire. Mais depuis, j’ai évolué, j’ai vécu des choses dans ma vie. Quand je regarde en arrière : je vois que ces gags était stupides, voire pas drôles. Mais j’en garde un bon souvenir parce que j’étais ado et, du coup, je voulais faire ce qu’il faisait (courir tout nu le cul à l’air).
Or, aujourd’hui, en 2007, Youn fait toujours les mêmes choses !!!!
Son pitoyable groupe de Fatal Bazouka sort des placards du Morning Live ! Il a repris les mêmes recettes qu’il a utilisées pour exploser l’audimat à son époque pour les appliquer ailleurs. Aucune évolution dans l’humour et pourtant ça fonctionne ! Ça marche pour les ados d’aujourd’hui et j’espère que les adultes qui aimaient Youn, il y a sept ans, s’en rendent compte : c’est devenu de l’humour de consommation.
Mais, le pire, c’est que Youn lui-même s’en rend compte. A moins d’être sans scrupules, les fois où Youn pète les plombs (4) à la télé montre qu’il est (était ?) en conflit avec ce qu’il fait...
Ces conflits ne sont pas propres à Youn, mais à toute la profession des people. Et pour remédier à ces conflits internes, les stars essaient de trouver un autre moyen pour apaiser leur conscience et moins péter les plombs...
Coluche a, malgré lui, lancé la grande déresponsabilisation des people en leur donnant l’occasion de faire mieux pour les pauvres. Le système des Restos du cœur était censé être transitoire pour montrer que l’Etat peut mieux faire. Or qu’est-ce qu’on observe ?
C’est devenu une grosse machine médiatique pour people.
Evidemment, les plateaux repas servis aux plus démunis sont très utiles dans la réalité des faits. Le travail que font les bénévoles qui n’attendent pas de passer à la télé pour le faire est plus qu’indispensable. Mais tout ce travail est détruit par Les Enfoirés qui est devenu le rendez-vous des stars qui veulent expier leurs péchés ...
Mais pourquoi alors nos humoristes médiatiques pètent les plombs en direct comme Michael Youn ?
Parce qu’ils se croient obligés de le faire. Evidemment, ils ne sont pas obligés ! Ils peuvent dire à n’importe quel moment stop et, pour cela, il faut avoir des couilles et assumer ses positions.
Pourtant la survie existe si le talent est là !
Il n’y a qu’à regarder les derniers spectacles de Dieudonné(5). J’ai même envie de dire que plus on va à contre-courant du système, plus l’humour est de qualité. Dieudo avec ses derniers spectacles (à regarder de toute urgence) atteint des sommets ! C’est peut-être à cause de la disparition de cette pression qui fait que les humoristes ont peur de tout perdre du jour au lendemain.
Pour terminer sur une note positive, les humoristes et artistes de tous genres ne sont pas morts. Ils existent. Il faut gratter pour les trouver, ne pas rester végéter devant sa télé. Mais sortir pour aller à leur rencontre. La gloire ne les intéresse pas : je pense notamment à ces intermittents du spectacle pour qui la création n’a pas de prix.
Que vaut le confort matériel si on vend son âme au diable ?
Nombreux sont ceux qui font le choix de vivre sans confort matériel (à moins de 1 000 € par mois). Mais tout ceci disparaît le jour où ils voient leur œuvre présenté au public. C’est dommage que dans ce pays, on n’encourage pas plus la création et ces gens-là : car le travail d’artiste est plus subtil et plus difficile que celui d’un people qui gagne 1 000 € par jour.
Je conclus sur cette citation de Linda Fiorentino « A Hollywood, on traite les acteurs comme des meubles dont la valeur est calculée sur l’argent qu’ils rapportent aux autres. Pour moi, c’est la meilleure définition de la prostitution ».
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(1) faites un rapide coup d’œil ici http://www.ladolcegustodejamel.com/, ...... C’est fait ? C’est pitoyable n’est-ce pas ?
(2) A voir le documentaire de Pierre Carles sur « dominos pizzas ». http://www.dailymotion.com/video/x1ntsi_pierre-carles-dominos-pizza_business
(3) Canard enchaîné. 28 novembre p. 5. "Thierry Ardisson confesse avoir recours comme d’autres animateurs télé à des « nègres » qui lui écrivent blagues, saillies, mots d’esprits destinés à être placés - tout à fait spontanément - en cours d’émission [Libération 24/11]. « Au début, leurs vannes, j’arrivais pas à les sortir, c’était pas moi, alors je ne m’en servais pas. »
Et puis, un soir chez Drucker, Ardisson retrouve dans la bouche d’Alain Chabat les saillies qu’il n’a pas utilisées : « Ma femme m’a dit : il est quand même drôle ce Chabat ! Alors, je me suis forcé et j’ai appris à déclencher des rires. » [...]’’
(4) Lien vidéo http://www.dailymotion.com/video/x8avq_michael-youn-chez-fogiel_events
(5) Voir article sur Dieudo et la pensée unique sur ce même blog.
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