La mutation nécessaire de la presse quotidienne d’information
Force est de constater que la presse d’information fut prompte à proposer des versions web de ses quotidiens “papier”. Elle a su s’adapter à la première vague du web dès la fin des années 90 en définissant un modèle, qui, il est vrai, eut peine à trouver son équilibre mais reste toutefois attrayant pour les lecteurs. Sans doute, les quotidiens en ligne cherchent-ils, aujourd’hui plus que jamais, à établir un modèle pérenne, tant du point de vue économique qu’éditorial. Le New York Times représente sans conteste la plus belle réussite en matière d’accessibilité de l’information. Le format est rapide, pratique, varié, à la fois sérieux et divertissant, en d’autres termes parfaitement adapté à la lecture sur écran. Tous les quotidiens en ligne s’y essaient de manières plus ou moins heureuses. En France, Le Figaro a récemment mis en ligne une version rajeunie assez élégante. Celle du Monde remplit son rôle, sans plus. Libération vient de lancer une nouvelle variante, chargée et confuse. En Angleterre, le site de la BBC semble vouloir maintenir un modèle vieillissant, même s’il fût pendant 5 ans un exemple de clarté. L’exercice est difficile.
Depuis quelques temps, l’émergence des nouveaux usages du web, essentiellement fondés sur la collaboration active des utilisateurs à la production de contenu, remettent directement en cause l’existence même des sites d’information tels que nous les connaissons. Le modèle qui semblait avoir atteint un semblant de maturité tremble déjà sur ses bases. En effet, des expériences nouvelles en matière de services d’information bouscule un équilibre fragile et difficilement atteint. Agoravox représente bien sûr une initiative exemplaire en matière d’informations produites par la communauté des internautes. Mais d’autres services basés sur des modèles mixtes attirent chaque jour de plus en plus utilisateurs. Wikio, par exemple, est un agrégateur d’information qui assemble dans un même flux les actualités publiées par les grands quotidiens internationaux et les billets produits par les internautes eux-mêmes. Les nouveaux portails d’informations personnalisables tels que Google (le plus populaire) et Netvibes (le plus récent) impliquent de la part des utilisateurs un nouveaux rapport à l’information. Dans un flux d’informations agrégées, l’identité du journal perd tout à coup de son importance. L’utilisateur s’intéresse avant tout à la teneur de l’information plutôt qu’à son éditeur. Et lorsque les fils d’actualités des quotidiens se mêlent, sans distinction, aux articles rédigés par des internautes indépendants, le modèle défendu par la presse quotidienne explose.
La qualité première des services issus du web collaboratif réside dans le phénomène de masse qu’il engendre. Les réseaux sociaux fonctionnent autour du regroupement de très larges communautés d’utilisateurs. L’information est produite grâce à des participations multiples. La collaboration de masse permet l’augmentation à la fois de la quantité et de la qualité des contenus. Dans le cas de Flickr, service gratuit de partage de photos, comme dans celui d’ Agoravox, l’interaction permanente entre utilisateurs au sein d’une large communauté stimule la créativité et à la production d’information de qualité. A l’inverse, les quotidiens d’information reposent sur le travail d’une petite équipe de journalistes, chacun étant expert dans son domaine et n’établissant pas, ou peu, d’interaction avec les lecteurs. C’est donc deux méthodes radicalement opposées qui cohabitent aujourd’hui dans la sphère de la production d’information.
Parallèlement, les réseaux sociaux orientés sur le partage de vidéo connaissent en ce moment un tel essor qu’on peut supposer que ces nouveaux usages s’étendront au domaine des services d’information dans les toutes prochaines années. Dans peu de temps, les Wikio et autres Google News proposeront, à l’instar des Podcasts, des fils d’informations vidéos produits par des millions d’utilisateurs répartis dans le monde entier. Ceux-ci viendront enrichir en permanence les flux d’actualités de séquences vidéos, plus rapidement et plus largement que les meilleures équipes de reporters professionnels.
Dans un contexte qui tend vers une démultiplication exponentielle des sources d’information, les quotidiens en ligne, mais également les agences d’informations, vont devoir effectuer une véritable mutation afin de s’adapter à un marché dominé par une nouvelle génération d’utilisateurs-producteurs. Ils devront varier leurs sources en intégrant la participation directe des internautes, préférer les travaux d’analyses et de réflexion à une actualité “fast-food”, varier les formats en proposant des versions multi-supports, inventer un nouveau rapport à l’actualité, etc. A cette condition seulement, les versions numériques des quotidiens pourront séduire les lecteurs pour plusieurs années encore.
Mais que doit-on penser alors de l’avenir des versions papier des quotidiens d’information ? A l’aube d’une période où les flux vidéos d’actualités seront produits en permanence par des millions d’utilisateurs, quelles alternatives dignes d’intérêt les quotidiens papier pourront-ils offrir à leur lecteurs ? Leur avenir est peut-être déjà écrit noir sur blanc car une technologie réellement novatrice est actuellement en plein développement : l’encre ou papier électronique et les écrans souples ultra-légers. L’encre électronique permet d’obtenir un affichage aussi net que celui de l’encre traditionnelle tout en permettant l’interactivité d’un ordinateur, le tout s’affichant sur un écran souple. Le dispositif (en test au sein du quotidien hollandais De Tijd) permettra d’afficher toutes sortes de contenus numériques sur quelques dizaines de grammes de plastique pliable. Dans quelques années à peine chacun pourra transporter dans son sac un écran souple de la taille d’un tabloïd affichant en temps réel tous les flux d’informations auxquels il aura souhaiter souscrire.
L’observation des nouveaux usages collaboratifs et des technologies de l’information nous apprend que l’avenir de la presse quotidienne d’information passe entièrement par le web. Il est vraisemblable que ces bouleversement imminents ne laissent pas indemnes, à leur tour, les rédactions des journaux télévisés qui, plus que quiconque, rechignent à remettre en cause un modèle ayant depuis longtemps dépassé la date limite de validité.
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