La téléréalité est en train de toucher aux sommets de l’odieux
C’est l’escalade. Depuis Loft Story 1, premier coup de pioche inoffensif dans le roc de la téléréalité, les boîtes de prod’ françaises ont continûment gravi un à un les échelons vers toujours plus de vulgaire.

Premiers de cordée, tous les shows censés récompenser l’exercice de compétences, notamment les nouveaux télécrochets modernes : car qui dit vainqueur par talent, dit aussi éliminés par manque de talent. Et c’est ainsi que de voyeurs de seize rats de laboratoires enfermés dans un grand appartement on est devenus voyeurs au rire gras des casseroles vocales de malheureux candidats en quête éperdue de célébrité rapide.
Pire : on a voulu aussi tester la capacité de candidats à surmonter leurs peurs ou à jouer les Rambos modernes. Alors, devant Fear Factor, nous sommes devenus des violeurs de l’intimité, nous repaissant goulûment des phobies d’autrui. Devant Koh-Lanta, nous avons regardé des pauvres malheureux obligés d’ingurgiter des gros vers, des testicules de mouton, ou, dernière facétie en date, des tarentules vivantes, poils et pattes compris.
Nous avons aussi vu des couples se déchirer, se tromper, exposer à la lueur des flammes les détails intimes de leur couple, leurs espoirs déçus, leur tristesse et leurs larmes. Et ça nous a plu. Dans la même veine, on nous a servi en guise de dessert d’autres candidats chargés de lutter pour préserver un secret, par nature fermé à la divulgation, dernier joyau de l’indissolubilité de l’homme dans le collectif. Et pourtant, on a proposé à certains de se dévoiler pour les plaisirs d’un jeu et pour le son argentin de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Certains de ces ex ont fait leur rédemption. La plupart sont retournés à un anonymat qu’ils n’auraient jamais dû quitter, qui avec regrets, qui sans. D’autres continuent éperdument à écumer les soirées people, pensant être devenus un des leurs, avides de monnayer leur vie sans chercher à vraiment la remplir. D’autres enfin s’en sont extraits, ont gagné avec un brin de talent d’autres reconnaissances, musicale, artistique ou médiatique. Pour autant, ils resteront toujours marqués par la macule de la téléréalité.
Voici quelques jours, Loana, plus grande « star » de la téléréalité à la française, a été hospitalisée, sans doute pour cause d’agression physique à son domicile. Titres des journaux tabloïds, couverture filée (et cousue de fil blanc ?). Voilà un scoop. Comme si désormais, tout dans sa vie devenait événement : sa manducation des cerises, ses entorses de la cheville, ses sourires disgracieux, etc. Traquée à tout jamais : comment celle qui a accepté qu’on la filme en train de vivre enfermée, qu’on pénètre au plus profond de son intimité (sans mauvais jeu de mots), pourrait-elle avoir autorité pour réclamer un droit à la vie privée et un droit à l’oubli ?
Hors de France, le déchaînement du vulgaire, du salace et de l’odieux, est encore bien pire. Aujourd’hui, une ancienne star de la téléréalité britannique, Jade Goody, vit les derniers mois de sa vie. Sa bataille contre le cancer semble perdue. Oh, ne nous attendrissons point trop : jusqu’au bout, elle aura joué à fond la carte de la téléréalité. Celle qui a toujours assumé le fait de monnayer sa vie, monnaie aussi sa mort : son cancer lui aura permis d’assurer à ses deux fils un solide héritage qui leur permettra de grandir plus confortablement qu’elle-même. En Espagne, le sommet du vulgaire a été atteint. Un couple de candidats à la version ibérique de Pékin Express, a été sommé d’abandonner. Motif ? Le candidat masculin, âgé aujourd’hui de trente ans, a assassiné ses parents quand il avait 15 ans.
Qu’y a-t-il de plus paradigmatique de cette forme de télévision qui conduit à la déshumanisation par le cloisonnement, la destruction de l’instinct grégaire par le concept des éliminations endogènes au groupe, et l’abandon de toute dignité, que d’avouer en direct avoir commis l’acte qui par essence vous exclue le plus de la communauté humaine : le meurtre ?
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