Le Canard enchainé, oiseau de malheur pour l’Elysée
Ce mercredi encore, l’hebdomadaire satirique a de quoi cancanner (« faire coin-coin », pour les non-fans de Chasse&Pêche). En dévoilant le salaire de Christine Boutin, les impudiques journalistes du Canard Enchainé ont semé la zizanie dans le gouvernement, et prouvé une fois de plus leur indépendance politique.
Le volatile empile les années. Crée en 1915, il est le second plus ancien périodique français, derrière le bleuâtre Figaro. Pourtant, malgré leur âge, ses ailes de papier ne brassent pas que de l’air ; les articles imprimés sur celles-ci sont peut-être les seules à faire réellement réagir les politiques. Car ce journal fait autorité. Depuis sa création, de nombreuses affaires ont été dévoilées dans les colonnes rouges et noires, et toutes ont eu leur écho, ont fait renoncer de nombreux élus à leurs privilèges. A son tableau de chasse, le Canard peut afficher les plus grands scandales politiques du vingtième siècle, qu’il a lui même mis au jour. Les férus d’histoire, voire les quelques-uns qui potassent leur manuels en vue du bac’ reconnaitront certains pontes de l’arnaque fiscale ou du pot de vin, dans cette liste pas du tout exhaustive :
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l’affaire Maurice Papon
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l’affaire des diamants de Bokassa (avec VGE)
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l’affaire du sang contaminé
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l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris avec notamment Jacques Chirac
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l’affaire Jean Tibéri
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l’affaire Hervé Gaymard, avec son duplex de 600m² payé par … l’état.
Cette dernière affaire, datant de 2005, peut avoir pour écho celle d’Estrosi, d’il y a seulement quelques semaines, accusé une fois encore par l’hebdo de cumuler inutilement plusieurs appartements de fonction. Le gouvernement, craignant désormais les vagues que peuvent provoquer les pavés jetés dans la mare par le canard, a immédiatement invité les journalistes pour une petite visite guidée des logements d’Estrosi, montrant qu’il n’y avait pas anguille sous roche. Cependant, sans se laisser intimider, le journal a surenchéri en ridiculisant la supercherie évidente de cette conférence de presse.
Mercredi donc, c’était au tour de Christine Boutin, ex-ministre du logement (-fous), de se faire épingler en deuxième page. On y apprend qu’elle toucherait, en plus de ses indemnités retraite de députée/conseillère générale (qui s’élèvent tout de même à plus de 8000 €), la bagatelle de 9500 €, en tant que chargée de mission sur « les conséquences sociales de la mondialisation ». Ça fait cher l’exposé d’ECJS... Mais puisqu’il s’agit normalement d’un travail de groupe, elle dispose également d’un cabinet et de quatre collaborateurs.
Le scandale révélé, les caleçons des intéressés se sont vite salis, et tout le monde s’en est donné à cœur-joie toute la journée. Le journaliste Jean-Michel Aphatie en a profité pour passer un gros savon à Madame Boutin en direct sur Canal + (ce qui lui vaut d’ailleurs de nombreuses critiques). Le lendemain soir, jeudi, sur France 2, elle annonçait déjà l’abandon de son salaire et la poursuite de sa mission à titre « gracieux ». Peut-être attendait-elle qu’on l’applaudisse, bien qu’un rapport de plus ou de moins...
La fameuse Une de cette semaine (crédits photo : Magazine Rubikon)
Par ailleurs, on peut se douter que de telles révélations à répétition dérangent le pouvoir. La croustillante anecdote de la « watergaffe » en 73 en est la preuve, lorsque la DST avait tenté une nuit d’installer des micros au siège de la rédaction pour en savoir plus sur les informateurs, alors que les agents déguisés en plombiers furent surpris en flag’... (plus d’infos wikiesques ici)
Ni dieu, ni maître ?
Malgré tout, le Canard enchainé ne penche pas plus à gauche qu’à droite, ne s’est jamais vraiment montré vindicatif, méchant. Le ton des articles reste majoritairement bon-enfant. Il cumule environ 500 000 exemplaires vendus chaque semaine, remarquable vu l’état de la presse française, garde une très bonne position dans les ventes... quoique toujours derrière Paris Match et Télérama, ’faut pas rêver.
Lors des plus grandes affaires, on a même pu noter certains pics de vente, avec 1,2 millions d’ex pour Papon, 900 000 pour les diamants de Bokassa.
Ces jolis chiffres permettent au journal de rester un de derniers indépendants financièrement, à tel point qu’il résiste encore et toujours à l’envahisseur publicitaire, refusant catégoriquement le moindre encart de réclame,vivant uniquement de ses recettes.
Bien loin de l’ambiance au mythique « Le Monde ». Actuellement sur-endetté, il est sur le point de perdre son indépendance, d’être racheté par le trio Bergé-Pigasse-Niel. Ce qui n’est d’ailleurs pas du tout au goût de Sarkozy, qui dans son grand projet de contrôle des médias a indiqué qu’il préfèrerait voir Lagardère racheter le quotidien. Dites-donc, cet Arnaud Lagardère ne serait pas cet ami intime du chef de l’état, lequel le considère comme son « frère », et qui possède déjà Paris-Match, Elle, le JDD, La Provence, Europe 1 & 2, CanalSat, Hachette, Hatier, Grasset, Larousse etc... ? Pas très beau tout ça, mais je parierais que le Canard de la semaine prochaine en parlera, et bien mieux que moi ! :).
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