Le Monde, directeur de la pensée ?
Si on enlève la sauce, Jean-Marie Colombani, pour le Monde, avant le premier tour, invite les lecteurs à écarter François Bayrou et, avant le second, à choisir Ségolène Royal.
Ce quotidien, parfois contestable, toujours irremplaçable, s’est engagé, avec cette double démarche, sur un chemin dangereux.
D’une part, je ne suis pas sûr que la crédibilité du journal gagne à être ainsi directement reliée à une injonction politique, même formulée avec une apparente suavité et un équilibre feint. Qu’on le veuille ou non, la préférence pour Ségolène Royal risque de laisser accroire que l’information au sujet de Nicolas Sarkozy sera biaisée, même si la réalité dément cette crainte. L’honnêteté du Monde ne devrait même pas pouvoir être soupçonnée.
D’autre part, citoyen, lecteur passionné, je n’ai nulle envie de me voir subtilement guidé sur les bons chemins de la pensée par un directeur qui ne se contenterait plus d’offrir la meilleure information possible mais aurait l’ambition de se vouloir, de se rêver plus haut que son rôle et son statut, déjà éminents.
Je suis d’autant plus rétif à cette volonté d’influence, à cette aubaine d’un immense et pluraliste lectorat dont on cherche à profiter en tentant de l’unifier sous une bannière partisane que l’argumentation développée par Jean-Marie Colombani, au soutien de son analyse, ne me paraît pas décisive, au moins sur le plan de la politique pénale.
Celle-ci, il est vrai, n’a droit qu’à un court paragraphe. C’est tout à fait normal au regard des multiples problèmes auxquels un candidat doit se confronter pour offrir des réponses plausibles à la société qui va le juger par l’élection. Tout de même, pour être rapide, l’aperçu judiciaire mériterait d’être exact.
Il ne suffit pas d’énoncer que Nicolas Sarkozy nous " promet " une marche arrière pour démontrer la réalité de celle-ci. On sent l’ambiguité du processus intellectuel qui fait que Jean-Marie Colombani a décidé de prétendre acquis ce qui, au mieux, est encore en débat, au pire, est erroné. Cette marche arrière résulterait de quoi ?
A bien lire, seuls seraient mis en cause les peines planchers et le recours à l’automaticité des peines. Force est de relever que les premières, pourtant largement et injustement honnies durant la campagne par les tenants d’une justice plus soucieuse du pluriel social que de la transgression singulière, n’ont pas été dénoncées par Ségolène Royal lors du débat l’ayant opposée à Nicolas Sarkozy. Ainsi, cette mesure qui serait intolérable a laissé de marbre la candidate du camp qui la pourfend. Cela rassure les démocrates sur la portée du procès fait aux peines planchers dont il aurait été souhaitable de préciser, par ailleurs, qu’elles ne concerneraient pas l’ensemble des parcours correctionnels mais seulement des processus gravement itératifs.
Le principe qui se trouve à la source de ces peines controversées ne me choque pas. Je ne trouve pas scandaleux, dans des situations strictement défines, de préserver le juge de la tentation, qui est trop souvent une facilité de l’esprit, une commodité de l’âme et une complaisance du magistrat, d’édicter des sursis probatoires, des sanctions tièdes et molles quand la réalité des délits et du casier judiciaire exigerait une autre vigueur, une rigueur différente. Les peines planchers reviendraient ainsi à instaurer un juste milieu, au sens propre, entre la liberté du juge qui peut devenir erratique et sa caporalisation qui serait insupportable. J’ajoute que l’infinie subjectivité judiciaire et les diversités choquantes qu’elle suscite sont assez moquées par les citoyens pour que ces peines planchers n’apparaissent pas comme un moyen privilégié de remettre de la cohérence dans un système où parfois elle fait défaut.
Dans ces conditions, la pétition de principe selon laquelle Il y aurait " une marche arrière" sous l’influence de Nicolas Sarkozy, et un abandon de la réinsertion, bref une offense à la philosophie de la personnalisation , ne recueille pas du tout mon assentiment. Elle ne correspond pas à l’examen lucide et impartial de ce qui est soumis à l’électeur.
Plus sérieusement, elle vise à créditer la personnalisation à outrance, coeur du système pénal et sa fierté au moins abstraite, de magnifiques conséquences et de substantiels résultats. On sait ce qu’il en est. Le passé plaide contre elle, le présent ne la valide pas davantage. L’avenir devrait s’orienter vers une autre direction. Il me semblerait, en effet, plus pertinent d’examiner, plutôt qu’une personnalisation qui a trouvé ses limites, une objectivation des infractions. Quitter le champ mouvant et volatil des intimités pour l’appréhension claire et nette des actes, sur le plan pénal, permettrait un plus grand consensus judiciaire, une moindre incompréhension citoyenne.
Puis-je donc, avec une infinie modestie, me soustraire à la poigne à la fois délicate et ferme du Directeur de pensée, presque de conscience, que veut être Jean-Marie Colombani ?
Que le Monde continue de faire réfléchir le citoyen, qu’il ne prétende pas lui dicter sa conduite. On ne doit pas vouloir domestiquer un lecteur libre.
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