Le Petit Prince du OFF
La politique entre ON et OFF
A l’insu, sans doute, de son plein gré... A moins qu’il eut, le petit prince, un moment de naïveté sur l’auto-censure et la probité médiatiques, ou bien, simplement, de lâcher-prise. Nous n’en saurons pas plus. Sinon que l’image et le propos sont là.
Des exemples existent, ces derniers temps, favorisés de surcroît par le travail du Net, qui exposent crument la différence sensible entre le discours politique officiel des uns et des autres et leur raccourcis ou attitudes semi-privées. On se souvient, dans le genre, des remarques de Nicolas Sarkozy, sur le plateau de France 3, avant l’interview, scène édifiante diffusée par Rue89. Ou bien de la vidéo de Ségolène Royal, judicieusement portée à notre attention à l’orée des présidentielles, où La Madonne entendait veiller à réformer le scandaleux temps de travail des enseignants.
Sans doute doit-on voir en de tels phénomènes (y compris manipulateurs) l’émergence d’une nouvelle forme de médiatisation, à la fois sauvage, diagonale, minoritaire. Sauvage parce que la distinction entre le propos privé et le propos public est niée, diagonale parce qu’échappant aux mises en scènes préméditées, minoritaire parce qu’appartenant d’abord au net – ou aux petites chaînes télévisuelles – et n’accédant à la pleine lumière qu’à la condition de trouver dans ces sphères une caisse de résonance inouïe. Le Net, en un mot, reste minoritaire face à la puissance millionnaire de diffusion directe des Journaux Télévisés. Il convient de ne pas trop fantasmer sur sa puissance de propagande. Néanmoins il agit, exhibe, montre.
Pauvre Manu ! Il était bien certain, à son corps défendant, qu’il avait trouvé là de quoi nous fournir un joli buzz. Les questions de couleurs de peau, ça paye... Quelques-uns, d’ores et déjà, au PS, dans sa propre citadelle, ont exigé des explications et une condamnation émanant directement de la Première Secrétaire.
Je vois en cela deux sortes de considérations :
1. L’ambiguïté du propos de Manuel Valls qui peut donner lieu à deux lectures.
a- La première, qui risque fort d’être majoritaire, et qui explique d’ores et déjà que quelques bouches fassent crachats, verra dans de tels propos l’expression d’un racisme, ou d’un mépris, en tout cas. On veut du blanc, quoi, et l’on en a assez de ce qui ne l’est pas. Mais cette lecture est superficielle, naïve. Elle ressort de cette tendance qui est la nôtre de faire tête de jivaros de tout cerveau qui fait le constat d’un problème à la fois social et ethnique en ce pays. On finit par voir du racisme un peu partout, à tout propos et égards. Et d’autant plus que le thème est médiatiquement porteur, exaltant à la fois les bonnes volontés anti-racistes, et les fils, effectivement réels, de la haine ethnique.
b- La seconde inversera la lecture. Elle est le système de défense du principal intéressé dans l’interview, qui suit la diffusion des images. Le petit prince signifiait simplement, par-là, qu’il refusait la ghettoïsation, qu’il voulait un Evry ’’black, blanc, beur’’, etc. Qu’il n’acceptait pas que cette ville soit réductible à des quartiers identifiables à une couleur ou religion, au communautarisme de misère ou d’auto-suffisance spirituelle. Ecoutez attentivement la vidéo, qui n’est pas de bonne qualité sonore. N’y a-t-il pas un brin d’ironie dans la manière dont l’intéressé dit : « des blancs, des white, des blancos » exactement comme d’autres parlent de « nègres, de noirs, de blakos » ? Comme si le discours ethnique se retournait sur lui-même, se mordait la queue. Remarque d’homme politique qui en a vu d’autres, à mon avis, et qui traite finalement la question au ras-des-pâquerettes, il est vrai, mais sans exprimer autre chose que le constat que sa ville n’est pas encore idéale, de ne point rassembler sur les marchés ’’fromages blancs, blakos, et beurs.’’
Je précise, ayant pris l’habitude des malentendus, que je ne cherche par-là nullement à me faire l’avocat de Manuel Valls et du PS. Je rappelle simplement, aux lecteurs, qu’il y a deux lectures.
2. La question, plus générale, des nouveaux rapports introduits dans le système de la douce propagande médiatico-démocratique par la brouille de la distinction entre le off et le on, le propos privé ou public. Le off révélé est bien sûr une pierre dans le jardin des cérémonies réglées, celles qui nous ont jadis donné une image des Mitterrand, Chirac, Jospin bien différente de la réalité humaine de ces êtres – à moins que l’homme politique finisse par devenir une caricature vivante de sa propre marionnette politique, ce qui semble être, il est vrai, son destin...
Le off est ce danger salvateur que la politique commence à traiter en organisant sa reprise en on : d’où qu’Obama ira chercher hamburgers et frites à ses collaborateurs au MacDo du coin, tandis que Nicolas Sarkozy sera nounours-surprise des ’’femmes actuelles’’ venues rencontrées Carla à l’Élysée. Jeux de dupes, à la fine frontière, maintenant, du privé et du public. Mise en scène d’un nouveau genre. On/Off.
La grande force médiatique (je ne parle pas de politique pure) de Daniel Cohn Bendit, face à François Bayrou, fut d’installer le débat dans un espace qui ne soit pas de pure cérémonie. D’intégrer mieux que par la caricature (Obama et ses hamburgers, Sarkozy et les amis d’un jour de Carla) ce déplacement possible de la donne médiatique. Se mettant à tutoyer Bayrou, lors d’un des rares débats politiques médiatiques consacrés aux élections européennes de ce mois de Juin 2009, parlant directement, apostrophant, il a plu parce qu’il a montré ce que c’était, la puissance du off investissant le on.
Les vidéos mentionnées - entre On-Off, et Off-Off - ici.
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON