Le relativisme du journalisme citoyen
L’émergence d’un nouveau type de média suppose d’un même élan deux réactions sinon opposées, du moins en conflit. Tentative de résolution !
Sans prétendre à l’originalité ni à l’exhaustivité, si tant est qu’il soit possible de parler d’un média depuis lui-même, en boucle - et cela l’est, bien entendu, au point que la plupart de nos médias autorisés semblent ne plus s’intéresser qu’à eux-mêmes ! - j’aimerais développer la contradiction inhérente à ce type de média interactif, citoyen et populaire, afin d’en manifester l’intérêt, dans une résolution quasi tragique.
La première réaction est bien entendu très positive ! Je fus, il y a de cela bien des années, très désireux de faire entendre ma voix, certes imparfaitement et sans réelle humilité ; empruntant au jeune Henri Béraud (me semble-t-il) le titre des billets qui le firent connaître d’abord anonymement, j’envoyai ici et là des notes d’humeur, les Carnets d’un banlieusard. Ma préoccupation était aussi citoyenne : je m’y insurgeais, je m’y passionnais, j’y exerçais ce droit à la parole ; du moins tentais-je de le faire, car j’appris bien vite d’une part, qu’on ne devenait pas journaliste, qui plus est d’humeur, sur un coup de tête, mais que c’était un talent qu’il fallait avant tout développer patiemment, d’autre part, que mes espoirs d’être publiés étaient plus que minces : même plus talentueux, ma frontalité naïve et mon irresponsable passion m’eussent plus facilement fermé qu’ouvert les portes d’une profession très protégée. Je songeais un moment à devenir journaliste en passant par les fourches caudines d’une quelconque école, mais je songeais alors à Béraud, et à d’autres, qui n’avaient eu besoin que de talent pour être entendus. Je regrettais cette liberté et pris le parti d’un autre avenir - sans aucun regret depuis ! Or, soudain, bien des années plus tard, cette liberté tant espérée renaît ! Lueur d’espoir ! AgoraVox, parmi d’autres voies, comme les blogs, permet enfin au citoyen de faire entendre sa voix ! Le rêve d’un adolescent devient réalité.
La seconde réaction est celle, plus mesurée, de l’homme qui, vingt ans après l’adolescent, apprit à se garder des dérives et autres confusions. N’est-il pas étrange et significatif que le même Béraud, jeune banlieusard accueilli au Canard Enchaîné finisse sa carrière à Gringoire, avant de ne manquer la guillotine que de très peu - y laissant seul aller Brasillach abandonné ? Ah, le voici le risque du journalisme passionné ! Que dans sa passion, il manque d’écoute et de sagesse ! Qu’entrant dans la confusion, il croie poursuivre un combat dont il a trahi la cause ! Aussi, poussant le parallèle, m’interrogé-je sur la capacité d’un média libéré à ne pas l’être trop ! Quelle est la capacité d’AgoraVox à vérifier ses sources ? Bien entendu, j’ai lu et accepté que l’écrivant en soit responsable ; cependant, quelle que soit la qualité des filtres mis en place, dont j’admets volontiers la capacité à interdire l’abus grossier, décrit largement dans la politique éditoriale, ceux-ci peuvent-ils éviter une dérive populiste insidieuse ? Je précise ; certains articles en témoignent : il est extrêmement aisé, particulièrement à l’homme exercé, de transformer un fait isolé en un faisceau de preuves, de déduire d’une sensation une vérité tranchante, de faire d’une position particulière la seule autorisée !
Bien sûr, la repartie est évidente : un article n’existe que par la possibilité qui est donnée d’y répondre, affirmativement ou négativement. Là aussi, pourtant, subsiste un risque, double : la polémique ; d’une part, celle-ci nuit parfois à une vue dépassionnée de l’événement, quel qu’il soit, et d’autre part, elle donne avantage au plus talentueux des bretteurs ! On sait fort bien qu’une vérité mal dite peut laisser toute la place au mensonge bien annoncé, quoi qu’en pense Boileau (ou bien ainsi qu’il en témoigne, après Lacan : ce qui s’énonce bien, on le conçoit clairement).
Alors, c’est encore là que s’opère une résolution cathartique : entre ces deux ciseaux, il convient de se laisser couper ! Nouveaux médias, masses en parole, risques divers, faits et parodies d’analyses, mais nouveaux garde-fous, à inventer, à partager ; acceptation de la parole de l’autre et de sa propre parole comme sujettes à caution.
Le relativisme est-il cependant la solution ? Il ne saurait suffire, créant lui-même le risque d’éviter l’abrupte et tranchante réalité. Toutes les paroles sont-elles équivalentes ? Théoriquement, idéalement, elles le sont ; dans les faits, concrètement, des hommes ou des femmes sauront toucher le but, d’autres passeront à côté. Il est ici question de talent, d’honnêteté et d’humilité. Alors ?
J’ai envie de parier que le lecteur qui émerge au contact du média naissant apprendra avec lui à faire le tri. C’est le défi qu’il me paraît juste de relever.
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