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Accueil du site > Actualités > Médias > Le web, sauveur ou fossoyeur du journalisme ?

Le web, sauveur ou fossoyeur du journalisme ?

Cette question qui ne présente que deux alternatives était le thème du débat organisé par le SNJ (Syndicat national du journalisme) au CFPJ (Centre de formation pour les journalistes) le 24 avril.

CFJ

Présentation du débat :
« Les sites de presse, dépendant d’une rédaction "traditionnelle" ou autonome, se sont déployés et multipliés depuis un an, cependant que nos conditions de travail continuaient à se détériorer, quelle que soit la forme de presse, quel que soit le support sur lequel nous travaillons. Comment nous sommes-nous appropriés ce nouveau média ou comment pouvons-nous encore le faire ? Faut-il en attendre le pire ou le meilleur ? »

Etaient présents (de gauche à droite sur la photo) :

- Vincent Nouzille, journaliste à Bakchich

- Philippe Couve, journaliste à RFI, à l’origine de l’Atelier des médias

- Philippe Cohen, rédacteur en chef de Marianne2.fr

- Gérard Desportes, journaliste à Médiapart

La soirée pourrait se résumer en deux thèmes distincts.

Tout d’abord sur des questions et des interrogations sur les aspects financiers liés au web :

G. Desportes - « Nous avons fait un pari un peu différent des autres sites, puisque nous avons choisi de dire que ce qui a un coût a un prix ! Internet même si c’est un peu moins cher que le papier, ça a un prix ! Aujourd’hui installer un logiciel d’édition, installer une ligne et des serveurs qui tiennent le coup, payer des gens qui vont faire la maquette etc., tout cela a un coût. C’est pour cela que nous avons choisi une formule avec abonnement. Chez Médiapart il n’y a que des salariés. On est 29 et il y a 26 journalistes. Tout le monde est en CDI sauf 4 personnes et l’échelle des salaires est de un à trois.

Je vais parler d’autres sites et notamment de Rue89. Ils sont obligés de se payer avec les Assedics ou de vendre le savoir-faire de leur marque pour faire des sites de conseils généraux. Je ne suis pas sûr que la vocation des sites indépendants des pouvoirs politiques et financiers ce soit de fabriquer un site pour un conseil général, fût-il du parti socialiste. Tout cela pour dire qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans la situation dans laquelle on est.

On assiste à un effondrement des masses salariales et des statuts lorsqu’ils existent. C’est d’autant plus problématique que l’on peut considérer que l’émergence de ces sites internet, y compris ceux qui sont adossés à des médias traditionnels, a eu un effet néfaste même sur le support papier. Il est évident que des quotidiens tels que Libération ou Le Monde ont grâce à leur site une diffusion bien supérieure. Autre hypocrisie, c’est que l’article qui se retrouvera sur le site web sera payé par les personnes qui auront acheté le journal. Pour les patrons de presse c’est tout bénéf’, mais cela, c’est fait finalement au détriment du papier. Ce qui m’inquiète aussi c’est de voir que du coup plus personne n’envoie de journalistes sur le terrain pour faire de l’enquête et du reportage.

Nous (Médiapart), on pense qu’un système basé sur l’audience est un système très mauvais car il nécessite d’avoir beaucoup d’audience pour avoir beaucoup de publicité. A ma connaissance un site comme Rue89 a rentré les meilleurs mois 30 000 euros de publicité et c’est très largement moins que ce qu’il faut. Il y a des mois il ne fait que 1000 euros donc il est évident que ça ne peux pas fonctionner. Un jour peut-être que cela marchera mais le risque c’est que l’audience et donc la rémunération se fasse sur une actualité people et peut-être pas sur ce sur quoi on est généralement attendu à savoir une information de qualité. »

P. Cohen - « Je pense que c’est un peu déraisonnable de figer les choses. C’est-à-dire que G. Desportes a décrit une situation qui est celle d’aujourd’hui. Le coût lié à un certain nombre de consultations a un prix aujourd’hui qui n’est pas celui d’hier et qui sera certainement différent demain. Pour donner un exemple, la radio est un média qui a un fort taux de confiance en termes de qualité d’information. Or que je sache elles fonctionnent majoritairement avec de la publicité. Moi ce que j’ai pu constater en ayant travaillé à Marianne1 et Marianne2, c’est que pendant très longtemps on a été sanctionné. On a eu au départ zéro publicité à cause du ton et de l’esprit du journal notamment par la grande distribution. On a été blacklisté ! Aujourd’hui ce que l’on constate c’est que sur le net les choses sont à la fois plus faciles et moins directement liées. On fait à peu près la moitié de l’audience de Rue89 selon Médiamétrie au mois de mars. Rue89 a été coté à 685 000 VU (Visiteurs Uniques) et Marianne à 365 000.

On a passé un contrat avec une régie dont le système tel qu’il est organisé aujourd’hui, ne permet pas aux annonceurs de savoir dans quels médias ils annoncent. Elle propose des "blows", c’est-à-dire qu’elle va voir les annonceurs pour leur vendre du millions de pages vues de "blow cadre", "blow jeune" ou "blow femme". La pression publicitaire telle qu’on l’a connue dans le papier ne peut même pas exister.

A côté de ça je reconnais qu’il y a des problèmes. Par exemple si je fais un article sur la grève du Monde ou sur les Echos, je vais avoir 1500 ou 2000 visites maxi. Alors que si j’écris sur Marion Cotillard, Carla Bruni ou sur le SMS et bien ça va dépoter. Donc il y a un dilemme. Moi je ne suis pas là pour faire des papiers sur le SMS, mais voilà, je suis obligé de jouer un peu sur les deux. Mais je ne crois pas que les journaux papier ne soient pas également fondés sur des compromis entre les aspects séduisants et importants de l’information. Nous sommes aujourd’hui une demi-douzaine à travailler à Marianne2. Après six mois d’activité nous avons un chiffre d’affaires qui doit être entre 15 et 20 000 euros. 70% provient de la recette publicitaire et le reste c’est de la recette de revente. Mais grâce à Marianne2 il y a des gens qui s’abonnent au papier. »

P. Couve - « Je vais ajouter quelque chose qui me semble important. Quand on regarde un quotidien on trouve des pages qui coûtent cher à produire (enquêtes, reportages...) et d’autres beaucoup moins (tiercé, jeux...). Aujourd’hui sur internet on ne produit que des informations qui coûtent cher. Personne ne veut faire des pages de services. Or pour le papier les pages chères et moins chères forment un prix moyen à la page. »

V. Nouzille - « Je vais dans le sens de ce qu’a dit P. Cohen. C’est-à-dire qu’aujourd’hui on ne sait pas trop quel modèle économique va s’imposer. On peut avoir des surprises. Par exemple il y a quelques mois on ne pensait pas trop que l’on allait pouvoir revendre notre contenu. On est gratuit mais on est en accord avec des journaux qui nous demandent de pouvoir reproduire une partie de nos articles. Ce n’est toutefois pas là-dessus qu’il faut compter pour fonctionner. Actuellement cela fait 10% de nos revenus. Tout ça pour dire que l’on n’a peut-être pas encore exploité toutes les solutions possibles de financement. Les journaux en ligne non liés à un grand nom sont d’une fragilité économique extrême. Ça n’est pas les petits sites qui tentent d’émerger qui vont affaiblir la presse. Si elle souffre c’est d’abord de ses propres défauts. »

Et puis sur un plan plus technique, c’est-à-dire sur le traitement de l’information sur le net et sur l’évolution du métier :

P. Cohen - « J’ai l’impression que les sites qui sont adossés à des journaux ont une plus grande liberté de ton. A Marianne moi j’essaye de développer le slogan, qui n’a pas été validé par la direction mais que j’aime bien, et qui est : "Marianne2 c’est Marianne en plus net !" Une idée que je suis amené à moduler un peu, c’est l’interactivité dans les commentaires. On doit recevoir des milliers de commentaires chaque semaine. Il y a de tout ! Le problème c’est qu’ils peuvent être racistes, antisémites ou insultants. C’est un gros problème juridique que l’on peut avoir et qui coûte cher car la modération automatique ça a un coût. Mais en dehors de ça, le journaliste qui fait une erreur, il a une heure ou une demi-heure après un commentaire lui disant : "Ah tu t’es trompé, t’es nul !" De ce point de vue-là je pense que cela peut être intéressant mais en ce moment on n’en est qu’à des constats qui peuvent être contradictoires entre certains aspects que je trouve séduisants et certains aspects que je trouve inquiétants. »

P. Couve - (répondant à une personne dans la salle) « Est-ce que le journaliste doit savoir tout faire ? Je pense que oui ! Je m’occupe au CFPJ de la spécialisation au multimédia. L’idée n’est pas qu’il fasse tout en même temps mais qu’il sache faire de la vidéo simple, des photos, du son et écrire pour le web. Ensuite s’il a un domaine d’excellence et bien tant mieux, il ne peut pas être bon dans tous les domaines.

On parle depuis tout à l’heure d’un journalisme low-cost. Mais je pense qu’il ne faut pas raisonner comme cela. Il faut regarder comment les gens aujourd’hui accèdent à l’information et là il y a quelque chose qui a fondamentalement changé en l’espace de quinze ans. L’univers dans lequel on évolue a changé et donc notre rôle aussi. On n’est plus les seuls, on n’a plus le monopole de l’information. Aujourd’hui n’importe qui est capable de diffuser de l’info sur une web-radio, sur un site ou un blog pour pratiquement rien. On n’a plus besoin d’un journaliste pour être informé. Je ne dis pas que l’on sera bien informé mais je dis que moi je peux aller chercher des informations et les recouper sans passer par un site tenu ou écrit par un journaliste.

Je vais rebondir sur ce que disait tout à l’heure P. Cohen. Je pense qu’aujourd’hui on en est à un âge infantile de la participation. C’est-à-dire que l’on attend de la participation uniquement des commentaires sous les articles. Et là où le journaliste juge de la qualité des commentaires, c’est uniquement en sachant s’il a fait une bonne brève ou un bon papier. Or ce n’est pas ça selon moi la participation. Par exemple on peut trouver des personnes capables d’apporter dans les commentaires un complément d’information à l’article mais ça peut prendre également d’autres formes. »

V. Nouzille - « Concernant les commentaires je pense qu’il peut y avoir des frictions, des frottements dans les opinions mais je trouve cela très sain. Votre papier d’une certaine façon il vous échappe totalement car il continue, il a une autre vie en étant repris sur des blogs et d’autres sites et quelque part vous n’êtes plus propriétaire de ce que vous avez écrit. Il peut y avoir dix fois plus de commentaires ailleurs que sous votre propre article. »


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7 réactions à cet article    


  • Yvance77 1er mai 2008 12:54

    Ils n’arrivent pas a voir les pseudos journalistes (encartes) a papa Dassault, Hersant, Tf1, Lagardere ... qu’ils sont sur le nouveau bateau Titanic ( en papier certes). Ca finira par sombrer.

    Mais pour une raison fondamentale : leurs partisaneries et leurs courbettes au roi en place, sont passees au filtre du net, ou on trouve plus de verite que dans leurs lechages de posterieurs.

    On en apprend plus sur le web, que en 10 ans de lecture du Figaro (sauf a se taper les commentaires des cons de service type hihihi, lerna et consorts ; et oui le net a ses limites aussi ) Vaut mieux dans ce cas lire Tintin au Tibet c’est tout autant formateur.

    Ce qui me fait rire c’est qu’a force d’avoir pris les lecteurs pour des gogos, ils s’etonnent qu’aujourd’hui ceux ci se tournent vers de l’alternatif. Moi je ne m’en etonne pas, et ce qui me sidere c’est du Nice Matin existe encore oui.

    Qu’ils redeviennent de vrais journalistes de la trempe des John Paul Lepers, Denis Robert etc... et pas rester dans le sillage d’un Apathie.

    Dernier point "le Canard Enchaine" est toujours la, et ce depuis 90 piges et pas une pub dans toute son histoire n’a envahie ses pages. Comme se fesse ? Si c’est bon ce sera lu point final.

    A peluche


    • Dimetrodon Dimetrodon 1er mai 2008 14:29

      Le Canard est toujours là, oui, et ne pas oublier Charlie Hebdo, toujours là aussi et sans pub.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 1er mai 2008 13:44

      Merci, ça c’est du reportage. Aperçu très intéressant sur une actualité brûlante !


      • Dimetrodon Dimetrodon 1er mai 2008 14:44

        Profondément déçu par le mouvement amorcé de décrédibilisation d’AgoraVox, je reste persuadé que le vrai journalisme n’est pas mort, et que par le besoin de vérité du public, il reprendra ses droits.

        Le débat rapporté ci-dessus montre un infime aspect de la blogsphère et passe complètement sous silence le mécanisme pervers du nivellement par le bas.

        Je veux dire : même ceux qui n’ont rien à dire éprouvent le besoin de participer, créant ainsi du "bruit", du "parasitage" et n’apportant rien au débat sinon de le rendre plus confus.

        Qu’un commentaire puisse apporter un complément d’information à un article, ça c’est dans un monde idéal. Dans la pratique, les commentaires ne sont que des débat d’opinions personnelles, des affrontements stériles sur le mode du « d’accord pas d’accord ».

        AgoraVox qui est censé être l’exemple d’école, a pour moi, complètement échoué : articles de moins en moins intéressants, suivisme systématique de l’actu (la vraie) fournie par la télé et les agences de presse (les vraies).

        Journaliste bénévole ??? Je n’y crois pas un seul instant, c’est un mythe. Et le mythe est en train de se démystifier lui-même car si n’importe qui peut écrire n’importe quoi sur n’importe quel sujet, qui va donner les clefs au lecteurs pour s’y retrouver ? Les commentaires ? Certainement pas, puisque pour s’y retrouver dans les commentaire, faut encore prendre la peine de les lire.

        Regardez comment ça se passe sur AgoraVox : loin d’apporter de l’info, le pseudo-journalisme d’agoravox ne fait que nourrir les ego de quelques participants, sans jamais apporter une véritable information.

        Depuis un an que je fréquente AgoraVox je n’ai encore rien appris que je n’aie déjà lu, vu ou entendu avant sur un vrai média professionnel. Bref, à part la possibilité d’écrire des commentaires, AgoraVox n’apporte rien.

        Quant aux lecteurs passifs, sauf s’ils n’ont iren d’autre à faire (chômeurs ? handicapé physique ?) je doute fort qu’ils aient le temps, la patience et le courage de lire en entier les 150, 200 et parfois 400 commentaires qui suivent un articles. C’est ingérable et lassant.

        La vérité est que quand tout le monde prend la parole, c’est le chahut, le bordel et la confusion.

        Le succès de la blogmania ne tient qu’à un trait de la psychologie humaine : la glorification du moi.

        Sinon, aucun intérêt.


        • ben_voyons_ ! ben_voyons_ ! 1er mai 2008 17:05

          Oui, oui,

          web fossoyeur

          - du journalisme,

          - des petits commerçants spécialisés, des prestataires de service, des artisans (cf nouvelle loi de "modernisation" de l’économie - déjà gràce à internet, n’importe qui achète n’importe quoi pour revendre, propose ses services afin d’ "arrondir ses fins de mois"),

          - des métiers en rapport avec la fabrication du disque, du DVD, et bientôt ceux en rapport avec l’information diffusée sur support papier (revues, livres, cartes, ...),

          - de la propriété intellectuelle,

          ...

          En contrepartie, web créateur de petits boulots précaires, renforçant compétition forcenée, individualisme exacerbé et mal-être généralisé.

           N’est-ce pas formidable ?


          • Méric de Saint-Cyr Méric de Saint-Cyr 1er mai 2008 21:45

            @ ben-voyons !

            Entièrement d’accord avec toi : web = le retour de la jungle…

            Et j’ajoute ceci : plus les moyens de communication sont sophistiqués et nombreux (internet, blog, courriels, téléphone cellulaire, wap, 3G), moins les humains communiquent. Facile a vérifier dans les stat : de plus en plus de solitaires, de plus en plus de suicide chez les jeunes.

            Je pense que le web est devenu pour certains une sorte de drogue qui leur permet de supporter leur solitude. Les gens qui ont une vraie vie de famille et qui habitent à la campagne, ce qui est mon cas, passent beaucoup plus de temps à s’occuper de la vraie vie qu’à se tuer les yeux sur un écran d’ordinateur.

            Ce matin j’ai ramassé des belles feuilles de blette pour mon bouilli de légumes : le genre de chose impossible à télécharger…

            Heureusement ! Sinon, on me piraterait mes belles blettes !

            Quant au journalisme amateur blogueur, je ne l’ai jamais pris au sérieux et je pense que le vrai journalisme n’est pas en danger. Quel est le journaliste amateur qui a les moyens de partir faireun reportage à l’autre bout de la planète ? Qui va lui payer le billet, le matos ?

            Oui certes, le journalisme amateur peut être local. Mais dans des bleds paumés des hauts plateau andins, où il n’y a ni électricité, ni téléphone, ni eau courante, les gens ont d’autres préoccupations que de faire du journalisme. Faut d’abord croûter, et AgoraVox ou son équivalent latino-américain, le petit peuple pauvre n’en a rien à cirer…

            Ne perdons jamais de vue qu’accéder à Internet est un privilège de bourgeois occidentaux ! En Afrique, en Amérique latine et dans beaucoup d’autres contrées déshéritée, même le mot "internet" est inconnu.


          • lolita lolita 3 mai 2008 12:39

            Les journalistes sont devenus des marchands de lessive,s’ils faisaient leur boulot nous ne serions pas obligés de gribouiller dans le web.Je ne parle pas pour Marianne ou Le Canard Enchaîné qui empêchent et ralentissent l’abrutissement général.Le web ne peut que sauver le vrai journalisme.

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Ceucidit


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