Les blogs et l’establishment
A en croire les statistiques publiées par l’INSEE, le taux d’équipement des ménages français en informatique a rejoint le peloton de tête des pays industrialisés et l’explosion des abonnements ADSL haut débit confirme l’engouement actuel de nos compatriotes pour Internet.
Au-delà des services classiques comme la gestion des comptes bancaires ou les voyages, Internet voit l’émergence du phénomène blogs, principalement, semble t-il, chez les adolescents. Ce phénomène persistant et de grande ampleur semble inquiéter. Le « microcosme blogosphérique » comme aurait pu le dire Raymond Barre s’agite en tous sens. Regardons le phénomène de près.
L’establishment voit dans l’ouverture de cet espace de liberté que sont les blogs un risque, que ce soient les éducateurs, qui craignent les débordements, que ce soient les medias, qui y voient une concurrence mal ou pas contrôlée, que ce soient les intérêts économiques, qui n’y trouvent pas leur compte. Mais au-delà de la défense des intérêts de ceux qui s’inquiètent, où est le risque ?
On va nous parler de manipulation de l’information, on va nous parler d’excès commis par certains adolescents dans leur expression, etc. comme si l’outil blog était responsable, comme si cette manipulation ou ces excès n’existaient pas sur d’autres supports ? Il faut remarquer que l’interactivité, au cœur même du phénomène blog, est à elle seule, non pas une garantie, mais au moins un garde-fou puissant et que le bloggueur qui s’amuse à raconter n’importe quoi est vite « corrigé » par ses pairs. La question n’est donc pas là.
Le problème posé par ce phénomène relève plus, de notre point de vue, des moyens dont l’environnement économique, l’establishment, va pouvoir récupérer le phénomène blogs à son profit. Et il voit bien que la partie n’est pas jouée d’avance.
Comparaison n’est pas raison, mais tentons un parallèle avec la télévision, autre puissant outil de communication. Les premiers temps de notre bonne vieille TV ont été extrêmement créateurs. Ceux qui les animaient étaient portés par une aspiration un peu utopique consistant à croire que ce canal allait permettre à tout un chacun d’avoir accès facilement à tout un savoir. La télévision de papa s’est développée dans ce contexte, mais la puissance de l’outil a vite été perçue par les politiques dans un premier temps, par les marchands dans un second. Prisonnière des investissements lourds qu’il fallait consentir, aussi bien pour la création que pour la diffusion des programmes, la télévision s’est laissé récupérer par les intérêts économiques et en est aujourd’hui là où nous la voyons, c’est-à-dire, en vérité, bien bas, avec quelques rares exceptions il est vrai.
Le phénomène Internet, et blogs plus particulièrement, est comparable dans son principe. Accès à et diffusion de l’information au sens large, de manière massive. Mais cela se fait dans des conditions très différentes puisque que le phénomène est pour ainsi dire « atomisé » en millions de personnes qu’il est bien difficile de contrôler, d’autant que les opérateurs de réseaux ne se soucient guère du contenu de ce qu’ils transportent.
La blogosphère apparaît aujourd’hui comme un enjeu séparant deux camps aux approches radicalement différentes. D’un côté un groupe, loin d’être la majorité, mais aux leviers politiques mais surtout économiques et financiers très puissants. La présence, voire l’activisme, de certaines catégories socio-professionnelles dans la blogosphère montre, à elle seule, tout le potentiel que ce groupe a perçu dans le phénomène. L’idée doit être qu’il vaut mieux être dans le train pour essayer d’en contrôler le comportement et la direction qu’en dehors, car alors, aucune emprise ne sera possible. Le but, non ouvertement avoué mais si clairement identifiable au regard des comportements, est sans doute la récupération économique à des fins essentiellement marchandes. Tout cela se passe sous couvert de modernité.
De l’autre côté, une masse considérable d’individus qui prennent le nouvel outil à bras le corps dans une approche désordonnée, reflétant souvent le malaise social que nous vivons en ces périodes d’instabilité et d’insécurité mélangées. La nature même de l’outil, sa maîtrise actuelle, relativement facile, autorisée par les progrès de la technologie, et enfin son coût d’utilisation accessible à presque tous, créent les conditions d’un foisonnement créateur extraordinaire et en fait, ipso facto, un outil de subversion bien difficile à maîtriser. D’autant que déçus par les expériences antérieures, les individus n’entendent plus s’en laisser compter et que l’individualisation absolue de son utilisation autorise une liberté peu connue jusqu’à maintenant. Inutile par ailleurs d’insister sur l’impact de la diffusion permise par Internet.
Tout comme les générations des années 70/80 ont été élevées au biberon de la télévision et ont intégré ce media dans leur vie quotidienne, les générations actuelles regardent Internet et les blogs, en particulier, comme faisant partie de leur vie. Mais fortes des expériences décevantes des autres médias - il suffit de regarder l’évolution affligeante des radios dites « libres » de la fin des années 70 - il est probable qu’elles ne s’en laisseront pas déposséder facilement, et c’est probablement ce qui inquiète l’establishment, à commencer par les groupes de presse.
La force des blogs vient de leur utilisation par la jeunesse. Leur faiblesse est contenue dans leur force, à savoir la capacité qu’auront ces jeunes à respecter et à faire respecter une éthique de comportement. Rien n’est joué. Faisons en sorte que ce nouvel espace reste celui de la Liberté.
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