Les frappes militaires
Litote morbide.
Il semble que le vocabulaire aime à se mettre au service de Goliath quand il s'en prend à David, quel que soit le théâtre des opérations, puisque le lexique du spectacle de l'information impose cette formule qui fait froid dans le dos. C'est comme si, il était désormais acquis qu'il s'agit ici d'alimenter l'immonde machine médiatique qui se nourrit ou plus exactement qui se goinfre de la misère, des malheurs, des drames, des monstruosités qu'il convient de mettre en scène sur nos petits écrans.
Alors, après les frappes chirurgicales avec des bistouris mortels, la frappe militaire vient tout simplement préciser de manière subtile que cette fois, c'est au hasard que sont réalisées ces petites répliques que l'on prend même plus la peine de qualifier, de proportionner sans pourtant affirmer haut et fort qu'elles sont l'exact contraire.
Il y avait jusque-là des petites frappes qui semaient la terreur dans les quartiers, des vauriens qui imposaient leur loi par la menace et parfois quelques coups bien sentis (pour l'autre). Maintenant la frappe s'est militarisée pour éviter les mots qui choquent : bombardement, pilonnage, écrasement… comme s'il convenait d'atténuer cette réalité alors que nos chaînes passent leur temps à jouer sur nos peurs.
Pourquoi un fou, un être perdant la raison qui agresse et tue un malheureux dans la rue est qualifié de terroriste, que son geste dément relève de l'attentat alors que manifestement ce n'est qu'une abominable dérive psychiatrique tandis qu'un état qui arrose copieusement des civils de bombes ne pratique que des frappes ? Sans juger les faits, car tel n'est pas l'objet de cette chronique, je m’interroge sur la disproportion du langage.
Il semble indispensable de semer l'effroi d'un côté et d'atténuer l'horreur de l'autre tout en prenant l'habitude systématique de ne plus nommer précisément les choses, mettant la langue au service d'une idéologie, d'une vision déformée de la réalité. Pourquoi ne pas user des termes idoines et surtout comment expliquer la pratique généralisée des qualificatifs ?
C'est à croire que les médias sont aux ordres d'une communication officielle, que les journalistes ne sont que des perroquets reprenant les éléments de langage soigneusement pensés dans les officines du conditionnement des masses. Mais pire que tout, c'est notre capacité collective à avaler ce discours asséné sans nuance.
Les mots portent des valeurs, des intentions sournoises, ils ne sont jamais choisis au hasard quand il y a volonté de manipulation. Pourtant, alors que la manœuvre est évidente, qu'il suffit de réfléchir un peu pour voir les grosses ficelles du lexique employé, la plupart de nos semblables s'approprient le terme à la mode (si l'on ose évoquer la mode dans pareil cas). L'usage imposé devient la règle commune.
La réalité prend alors une grande claque quand la mort venue du ciel n'est qu'une petit frappe si possible ciblée, proportionnelle, chirurgicale, téléguidée… tandis que les victimes civiles passent pour profit et pertes dans la logique capitaliste du vocabulaire. On prétend même qu'elles sont collatérales ce qui constitue une merveilleuse oraison funèbre.
Nos anciens prétendaient qu'il convient d'appeler un chat un chat. L'adage mériterait d'être repris par les citoyens qui dans un élan civique nécessaire, cesseraient d'utiliser les vocables trompeurs, falsificateurs que nous imposent insidieusement nos directeurs de conscience, pardon nos maîtres tandis que les semeurs de la mort du ciel qualifient cette aimable plaisanterie de pression militaire sans que quiconque s'étrangle devant pareille indignité.
Nommer toutes les horreurs est primordiale quel que soit le camp sans jamais s'autoriser la litote ni la périphrase pour désigner l'inacceptable. Il n'est que ça que nous puissions faire.
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