Les images de la dispersion(1/2)
Le rôle des images dans la civilisation moderne :
Pour aborder le sujet, nous allons commenter une scène de 2001, l'Odyssée de l'espace, en particulier les tableaux de peinture qu'on retrouve à la fin du film, dans la chambre de l'astronaute.
En contre-champ du personnage principal, un vieillard, qui n'est autre que lui-même à un âge plus avancé, mange un repas sur un mobilier de style dix-huitième siècle, en étant assis face à un tableau de style classique, accroché sur le mur d'un appartement ultramoderne et futuriste.
La présence du tableau signifie l'impossibilité d'imiter parfaitement la nature, et surtout, d'en reconstituer l'unité grâce à des moyens techniques, selon des proportions géométriques idéales. En se mettant dans la lignée de l'art figuratif occidental et de la révolution copernicienne, le réalisateur joue sur un paradoxe de la distance focale, pour montrer que la représentation de tout ce qui est visible nécessite un angle de plus en plus large et donc un point de vue de plus en plus éloigné. D'ici là, l'accession au fondement unitaire de l'existence n'est possible qu'en repartant du néant, où la vue embrasse la totalité du monde céleste.
Près d'atteindre ce bout opposé au point de fuite qui s'est ouvert depuis la Renaissance, notre héros se retrouve isolé en orbite de la planète Jupiter, le corps planté au milieu d'un décor artificiel complètement minéralisé. De même le spectateur assez déboussolé après ce trip intersidéral psychédélique et le survol de planètes rugissantes et suffocantes. Notre missionnaire finit nerveusement son dernier plat, devant ce tableau qui reste un des derniers indices d'une vie terrestre antérieure, et qui entretient la fiction d'un lien direct avec son environnement naturel. À ce propos, le statut que donne Kubrick à l'art pictural ‒ et à l'image en général ‒ est assez ambigu, puisque le tableau marque à la fois le point de départ et d'arrivée de l'Odyssée, comme un passage qui fait le lien entre deux mondes, alors que la position hiératique et l'aspect négatif de cette image en dissuadent plutôt le franchissement. Mais la connaissance de notre propre fin est-elle vraiment souhaitable ? Et même possible ? La signification que la civilisation moderne se donne avec les images ne s'est-elle pas fourvoyée dans une splendide ignorance de notre propre évolution ?
Concernant la vision générale de l'art que défend Stanley Kubrick, l'hypothèse la plus probable est que les œuvres artistiques forment elles-mêmes les contours de l'évolution, et à ce titre elles partagent avec la science la capacité de s'élever au plus haut degré de connaissance, au-dessus de la religion, de l'économie ou de la politique, disciplines relevant davantage des instincts grégaires que d'une ascèse spirituelle méditative. Évidemment, rien de surprenant si la plupart des curieux et des inventifs comme les artistes se revendiquent aussi d'une telle démarche, car la routine écrasante des masses inertes serait mère de toutes les ignorances, se convainquent-ils avec une bonne part de mauvaise foi. L'art, comme la science, donne finalement à chacun le moyen de prendre un peu de distance avec soi-même, de réfléchir, et puis de revenir sur ses actes, de mieux les contrôler et de faire preuve de raison.
L'image est une représentation qui expose les limites du langage. Provenant d'une décomposition résiduelle qui échappe à l'épuisement des interprétations, lorsque les conventions sociales habituelles ne suffisent plus, elle est ensuite synthétisée grâce à des méthodes techniques et artistiques qui lui donnent forme.
Au-delà des sensations produites naturellement, elle est une composition synthétique originale qui articule plusieurs dimensions et crée une relation spécifique entre les mondes virtuel et réel, entre l'imaginaire collectif et les pratiques sociales. Elle est la solution de l'agencement entre une pulsion vitale et organique et la cadence indifférenciée d'un mécanisme.
Conçue et développée avec des techniques expérimentales qui décomposent puis recomposent la matière, la création d'images a pour effet de transformer les limites et les lignes de rupture comme le relief, la différence culturelle ou les interdits moraux, en de nouvelles relations d'échange et de communication. Et quand les images partagent un même réseau, chacune projette et emporte l'ensemble des autres dans son propre reflet, dissolvant ainsi toutes les catégories mineures et artificielles.
Infrastructure conceptuelle de l'organisation sociale, l'image sert à relier les parties de l'ensemble où elle est exposée, mais en les polarisant en dehors de leurs propres écosystèmes et en les assimilant à un réseau de signifiants purement abstraits, comme une série d'affiches publicitaires qui jalonnent les quartiers d'une ville et façonnent un monde artificialisé.
Pour bien vous expliquer ce phénomène, prenons un exemple significatif venant de la fiction : voici une photo tirée du film Brazil, réalisé par Terry Gilliam, sur laquelle on peut voir une route bordée des deux cotés par une continuité de grands panneaux publicitaires vifs et colorés, cachant un paysage crasseux et dévasté, jonché de détritus. Cette disposition signifie que les images dissimulent une séparation avec le monde extérieur, envahi par une nature polluée et hostile. L'environnement de cette société dystopique se réduit à l'exposition d'images artificielles, qui elles-mêmes constituent la scénographie d'une organisation totalitaire post-industrielle, automatisée et renfermée dans sa coquille.
Clos sur lui-même, prisonnier d'une intelligence artificielle que le héros n'arrive pas à défaire, Brazil est l'anti-2001. Contrairement à ce dernier, ici les images sont insignifiantes et n'ouvrent pas de nouvel horizon. Elles fonctionnent comme du solvant qui efface toute trace de lien quelconque avec une forme de vie sauvage et originelle. Dans ce type de régime politique qui exclut toute différence, l'image et la perception ne font plus qu'un et sont donc entièrement confondues. Oubliée la grande ouverture onirique de l'exploration spatiale rythmée par une valse viennoise, ainsi que l'apparition énigmatique d'une grande pierre noire qui sort l'être humain de sa condition animale, car le progrès grâce à la recherche de l'inconnu n'a pas lieu d'être dans cette vie en tanière recroquevillée.
Bien sûr, il s'agit là d'un cas limite très négatif, qu'il faut se garder de généraliser. Néanmoins, actuellement nous avons plutôt tendance à stationner sur la Terre qu'à naviguer au large de Jupiter. Un parallèle entre Brazil et notre civilisation ne serait pas infondé, vu l'influence grandissante d'internet dans nos structures politiques et économiques, ainsi que l'extension phénoménale des espaces naturels pollués. En tout cas, c'était pour vous faire comprendre que les images ne sont pas que des simples expressions individuelles, unilatérales, mais sont davantage le produit d'une construction imaginaire liée à l'organisation d'une société, ou en ce qui concerne cette dystopie, de ce qu'il en reste...
Saturation des médias et décomposition des images :
Avec le développement de la production d'images diffusées en continu par télétransmission, tout se complique. Les frontières se brouillent entre l'actuel et le virtuel, entre passé et futur, ainsi qu'entre image et perception. En plus d'être exposées comme des figures allégoriques et des canons idéals, les images deviennent aussi les normes immanentes à une nouvelle société industrielle faite à leur mesure. Nous plongeons dans une boîte de Pandore où les conditions de production et de diffusion de masse font des images autant des biens de consommation courante que les interprétations d'une réalité sociale qui ne s'inscrivent plus dans la durée. La conscience est alors hypnotisée par le simulacre d'un changement constant qui la bloque dans un présent immuable et perpétuel, complètement indifférent aux cycles naturels.
Prophétisant la fin de l'art moderne figuratif, quelques-uns l’ont déplorée quand tous les autres s'en sont réjouis : les artistes disposaient enfin de la capacité à agir directement sur l'actuel et sur la scène politique, en appliquant leurs propres concepts et non les règles imposées par leur environnement, notamment les désirs de leurs mécènes ou de leurs commanditaires. À l'art dévot et surplombant des cours monarchiques étriquées succède l'artifice mouvementé et performatif des spectacles populaires de masse. Par dérivation, il est souvent dit que nous sommes baignés dans une civilisation de l'image, que la création artistique s'est répandue et démocratisée au point que chacun est libre de choisir la représentation qu'il se fait de lui-même. À la fois dans le réel et le virtuel, en théorie.
Cependant avec l'arrivée récente d'internet, il est probable que la massification démocratique de l'activité artistique grâce au développement des techniques virtuelles aille finalement vers le sens opposé. Où les images reproduites en masse par les réseaux, bien qu'elles augmentent en visibilité, seraient plutôt les reflets de la domination d'une infrastructure dévorante que les expressions sympathiques et spontanées d'individus, d'entreprises et de communautés innovants. Siphonnée par ce détournement incessant de l'activité créatrice, la civilisation moderne ressemble plus à une grande usine de simulacres informatisés et dématérialisés qu'à un atelier de création d'images artisanales bien concrètes. L'art n'est pas tout à fait mort, au sens où il fuit toujours comme jamais.
Le paradoxe avec internet est que pour s'étendre et gagner en surface à travers le monde, chaque image subit une standardisation de masse qui la dénature et l'atomise complètement. En passant dans le moulinet du réseau, ce ne sont plus simplement des images qui s'affichent mais les reflets d'un gigantesque organisme électronique qui mélange, décompose puis rejette tous les contenus dans une décharge virtuelle. (Encore une fois, souvenez-vous des routes du monde artificialisé de Brazil). Tandis que les représentations artisanales et traditionnelles, bien qu'elles varient en qualité selon les conditions de production et de transport, ne nécessitent pas d'être toutes formatées en vue d'emprunter un canal de diffusion unique et subissent moins l'usure causée par une virtualisation de masse à outrance. Celles-ci préservent une parcelle d'autonomie dans l'exclusivité de leur propre mise en scène.
En parcourant le système digestif interminable du réseau numérique global, l'agrandissement et la démultiplication d'une image sont proportionnels à son altération puis à sa dissipation. Plus augmentent, par le biais de sa reproduction virtuelle, les dimensions globales d'une image, plus elle se décompose et se périme rapidement, en dehors de toute relation logique significative. Fragmentées et dispersées aléatoirement par les flux électriques, les représentations sociales et collectives n'expriment plus que des abstractions désordonnées, puis mixées dans une bouillie innommable de déchets insignifiants.
Plus le nombre de médias s'accroît et moins les images sont significatives, ce qui a pour conséquence la stérilisation des idées, désormais formes sans contenus, et une déstructuration globale des sociétés, qui ont perdu ainsi leurs raisons d'être. Au fond, la puissance d'internet est tellement influente que toute parole qui semble être cohérente et raisonnable ne s'avère que pure schizophrénie, très peu en lien avec une représentation d'une vie proche de la nature. Et les images, étant déjà le résultat synthétique d'une décomposition naturelle, ne montrent plus que les reflets fuyants d'une dispersion généralisée.
Recouvert de puces, de transistors et de câbles qui traînent une multitude d'écrans informatiques, un dragon titanesque surgissant des profondeurs éventre le sol et plane au-dessus d'un dédale qui s'étend à perte de vue, où les couloirs sinueux sont plaqués de miroirs électroniques. Foudroyant les regards et brûlant les images, la croissance des médias qu'autorise le développement d'internet a débouché sur l'omniprésence d'un médium unique, celui d'une infrastructure qui s'immisce jusqu'aux moindres interstices de la vie quotidienne, et qui donne aux grandes puissances des moyens de contrôle cybernétiques incommensurables. À l'arrière-plan de ce multiplex intercontinental qui envoûte le public, se dévoilent progressivement les formes d'une image omniprésente, où apparaissent les têtes menaçantes de cette hydre électrifiée, sur laquelle est branché notre monde sensible. Bienvenu dans l'univers Orwellien des télécrans de 1984.
Comme le relevait déjà la Théorie critique, l'usage excessif de la raison instrumentale sous le règne de la techno-industrie aboutit à des résultats de plus en plus irrationnels et autodestructeurs, puisqu'en cherchant à rétroagir sur les interprétations sensibles pour les transformer en de simples variables de calcul, elle exploite un phénomène de résistance mécanique, se traduisant généralement par de la violence et du ressentiment, qui s'auto-alimente indéfiniment et produit des réactions démesurées.
Rendue insignifiante par cette instabilité permanente des interactions et ce dérèglement des sens naturels, le langage est rétrogradé en simple auxiliaire de médication et ne traduit plus que des signaux quantitatifs de flux et de spasmes organiques, qu'exploite la technologie industrielle pour reproduire les catégories d'une esthétique primitive correspondant à son image. Dès lors, l'exception culturelle qui permet aux uns et aux autres de se distinguer, de s'identifier puis de se reconnaître est affectée à des causes réactionnaires et anachroniques, car impuissantes à créer une esthétique nouvelle et authentique, répondant vraiment à l'actualité. Cette opposition entre culture et industrie, qui répercute bien évidemment celle entre travail et capital, entrave la construction collective d'un langage élaboré et complexe du type dialogue social ou bien mouvement intellectuel et artistique.
Par le biais d'internet, les limites formelles disparaissent entre les différentes perspectives et localisations, les images et les objets se déconstruisent en permanence. C'est le règne arbitraire des buzz et des fake news, où la moindre idée tangible est un bien consommable voué à la péremption immédiate. La reproduction virtuelle illimitée de ce tourbillon circulaire préempte les conditions de renouvellement de la création réelle, et de dissidence politique. Implacablement, l'environnement humain est déchiqueté par une mécanique différentielle globalisée, un grand jeu d'échelles à géométrie variable, individualisable et paramétrable à l'infini, dans lequel les perceptions du monde sensible se décomposent puis se dispersent.
Vous voyez ce qu'est un tableau de Jackson Pollock ? Ben... À peu de choses près cela illustre la dynamique spatio-temporelle du monde postmoderne numérisé. Une fuite éternelle empêtrée dans les fils électriques d'une pelote de taille cosmique qui n'arrête pas de s'agrandir. Si cela peut sembler poignant et lyrique dans une vision picturale, comme environnement quotidien c'est plus déprimant et cauchemardesque.
Internet comme singularité technologique et infrastructure du capital :
La séparation parvient à son aboutissement dialectique, en éloignant à l'infini les frontières de son champ d'action, en connexion permanente. Il y a justement de plus en plus de connexion pour permettre l'éloignement. Car l'architecture du réseau unique, si intégré et fluide soit-il, est un manteau qui recouvre le corps démembré et fracturé du monde à l'ère capitalocène. Son extension est concomitante à sa désagrégation.
Invoquée chaque fois pour rassurer les populations qui se sont déchargées de leurs responsabilités, la perfection technique attribuée à internet tient lieu d'édifice sacré, de Kaaba pour une religion postmoderne totalitaire. Alors qu'autrefois les humains imploraient les divinités pour qu'elles agissent en faveur de leur destinée, désormais les pulsations de l'industrie financière automatisée absorbent et neutralisent dans un premier temps toute intention, et donc toute dissidence.
Cette singularité, qui se développe et rayonne autour d'un artefact symbolique, procède par autoréférentialité. Elle s'est universalisée en se divisant à l'infini grâce à l'extension planétaire du réseau cybernétique. Celui-ci offre à la perception et à l'agir un immense terrain vierge pour réaliser une œuvre d'art totale collective, autopoïèsique, omnipotente et vorace, intégrant et désintégrant toutes les possibilités. La grande geste de l'homo sapiens serait un élan vital créatif, qu'il partage avec l'ensemble des forces de la nature, depuis les grottes de Lascaux jusqu'à la conception assistée par ordinateur de la skyline d'une future grande métropole.
La mécanisation du monde, la machine désirante, la société du spectacle, l'ordre spontané, le panoptique, la main invisible, le gestell, le capital enfin... Autant de notions pour définir une singularité technologique qui façonne le réel à son image et artificialise l'environnement depuis les débuts de l'aventure humaine. À l'endroit où les historiens préfèrent admirer l’œuvre d'une grande civilisation, les contemporains subissaient une exploitation despotique qui ne cessait d'épuiser les ressources naturelles de leur pays, que ce soit l'Empire khmer, Babylone ou l'Union soviétique, entre autres.
Aujourd'hui la puissance qui règne via le réseau numérique ne fait que continuer ce que les despotismes féodaux imposaient à l'échelle des sous-continents. Le gros point faible a toujours été le même : le manque cruel d'autonomie énergétique.
L'évolution problématique de la singularité technologique est présente depuis les débuts de l'histoire. Elle est l'histoire même, son moteur en tout cas. Là où la connexion s'implante, se créent de la distance et du désordre naturel. Les câbles du réseau numérique, comme autrefois les routes axiales des empires de l'Antiquité, servent à entretenir des relations à distance. La connexion généralisée s'accompagne d'une immense fracturation du corps social, des espaces et des temporalités, ainsi qu'une perte de signification dans les échanges et la vie sociale.
Le panorama social et naturel se retrouve défiguré et artificialisé, en attendant la venue de la grande séparation, celle de la vie avec la mort, et de l'humanité avec la biosphère. De moins en moins il ne s'agit d'une société de spectacle, représentation figurative traditionnelle qui fait la part belle à la distraction publicitaire et au despotisme arbitraire centralisé, mais d'une organisation asociale réduite à la gestion de son médium interne, à la programmation automatisée de son infrastructure, dans l'opacité la plus totale et en s'épargnant les lourds investissements nécessaires au fonctionnement d'un grand dispositif scénique, destiné à un public de masse. Même si le principe de séparation généralisée s'applique dans les deux cas, en ce qui concerne le régime postmoderne la superstructure est une carapace adaptée au mécanisme interne, et non pas externe à la structure. La scénographie spectaculaire d'intégration des masses a été remplacée par l'organisation d'un holocauste qui rejette et disperse des individus. Faisant de la nature une décharge himalayenne.
Le capitalisme est avant tout alimenté par un réseau sans qui il ne serait qu'une coquille vide. L'image tentaculaire de cette forme de domination fut autrefois facilement assimilable à l'étendue de la diaspora juive, peuple cosmopolite qui aurait secrètement manipulé l'histoire depuis les origines de l'humanité. Après tout, Albert Einstein, les Rothschild et les Marx Brothers ne décidaient-ils pas de l'avenir du monde ? En faisant des juifs les épouvantails des sociétés capitalistes, les nationalismes réactionnaires détournaient les oppositions envers les politiques économiques libérales, au profit d'une militarisation du système productif et de la mise en coupe réglée des masses laborieuses, déracinées de leur environnement social et caporalisées par la division du travail.
Parce qu'en-dessous du recueillement et des indignations spectaculaires autour des grands génocides contemporains, cela ne devrait pas occulter que ces méthodes policières et cette panoplie ingénieuse de sacrifices humains ont été aussi les formes extrêmes de la rationalisation des moyens pour imposer un mécanisme global de domination ‒ celui des États bureaucratiques modernes, dont le préalable a été le règne des empires coloniaux européens.
L'utopie du communisme d'État, qui a eu recours aux mêmes moyens que ses ennemis, ne commet pas ses crimes en l'absence totale de raisons historiques objectives qui l'ont poussée à la surenchère dans la violence. L'étude des relations entre le Parti communiste chinois et les entreprises occidentales est suffisante pour infirmer tout le discours angélique vantant la bienfaisance supposée des réformes libérales, qui provoquent dans toute l'Asie une croissance de dégâts environnementaux calamiteux. En rendant visite aux dirigeants chinois, quel chef d'État au monde, y compris d'extrême-droite ultralibérale, aurait l'audace de rappeler les décisions criminelles de Mao Tsé-Toung, dont le portrait infaillible veille jalousement sur Pékin ?
Les limites s'effacent et la grande construction unitaire d'un ordre fasciste international, taillé pour les oligarques et leurs serviteurs, pourrait enfin se constituer. Cette cité céleste faussement libératoire, que les penseurs officiels espèrent depuis la nuit des temps, se détachera enfin des basses contingences terrestres, où rôdent des pauvres hères débiles ne gagnant même pas deux dollars par jour. Mais comme à chaque fois depuis le mythe d'Icare, son manque d'autonomie énergétique la détruira aussi vite qu'elle décollera, et il est bien inutile de s'affoler à propos du transhumanisme et autres singularités technologiques automatisantes, signes manifestes de dégénérescence globale.
Dans l'attente indéfinie d'une réponse significative au chaos des forces de la nature, internet est érigé comme la nouvelle puissance transcendante qui canalise les croyances utopiques, à la suite des anciennes religions et idéologies. L'idolâtrie envers les modèles audiovisuels a remplacé le culte des reliques sacrées, organisé par les églises et les partis politiques traditionnels. Les animateurs médiatiques sont le clergé des temps postmodernes, qui guident les cérémonies, récitent les prières et négocient les indulgences. Derrière la glorification des nouvelles technologies soi-disant libératrices, se profile une volonté autoritaire de briser la société en plusieurs morceaux, et de les remplacer par un bloc unitaire qui soit enfin conforme à son idéologie.
Le capitalisme néolibéral est l'achèvement d'une histoire qui tente de sortir du mythe. De plus en plus malmenée par les dérèglements climatiques que cette hésitation a finalement engendrés, l'espèce humaine est-elle prête à s'engager pleinement dans une existence alternative ?
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