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Les théories déclinistes érigées en dogme

Les théories déclinistes fleurissent depuis déjà de nombreuses années - bien avant la sortie de Nicolas Baverez sur le sujet en 2003 - en France, à gauche comme à droite de l’échiquier politique. Elles sont allègrement colportées et souvent amplifiées par les médias sans que l’on ne saisisse réellement la pertinence de cette idée, érigée en dogme quasi indéniable à l’encontre parfois de la vérité des faits, dans le débat public. Avec la campagne présidentielle, nous assistons à un véritable déferlement des opinions déclinistes, venant presque de toute part et sans qu’elles soient accompagnées d’éléments de compréhension ou de réelle perspective historique. C’est l’enjeu de ce billet un brin polémiste, rédigée il y a déjà une semaine sur mon blog, à la suite d’une intervention télévisée qui m’a fait bondir de stupeur (et de mon canapé par la même occasion).

Si l’on peut constater que la campagne présidentielle ne s’est pas trouvée un thème central, à la différence de 2002, au moins, une litanie déjà ancienne continue à fédérer dans un même élan candidats et commentateurs politiques : "la France va mal, ma pauv’ dame, c’est sûrement bien pire que chez les autres".

Dernier défenseur en date de cette théorie, ô combien iconoclaste et dangereuse à défendre, Jean-Michel Aphatie lors de l’émission Mots Croisés lundi 9 avril sur France 2. Invité à répondre à une question qui n’avait aucun rapport avec sa réponse, voilà que le chroniqueur politique de RTL et du Grand Journal de Canal + se lance dans un one-man-show hallucinant de cinq minutes où, s’écoutant parler, il fait preuve de toute la puissance de sa verve pour nous décrire la décrépitude de la France. On sent presque à l’image les frissons lui parcourir l’échine à l’écoute de ses propos proprement révolutionnaires sur le déclin de notre pays. Lisez donc quelques extraits de cette prodigieuse litanie, c’est édifiant ! La France il y a dix ans était, des nations du G7, le quatrième pays le plus riche du monde ; aujourd’hui, c’est le septième". On imagine aisément comment l’Italie avec sa prodigieuse croissance des années Berlusconi et Prodi et le Canada, doté de ses 40 millions d’âmes et d’au moins autant de caribous, ont fini par dépasser une France moribonde. Fuyez ce triste pays mes amis, bientôt la peste et le choléra hanteront de nouveaux nos villes !

Mais le pire n’est pas là, la Perfide Albion, "l’Angleterre (combien de fois faudra-t-il rappeler à nos chères personnalités publiques que l’Angleterre n’est avant tout qu’une fédération de l’UEFA et du Tournoi des six nations et pas un pays en tant que tel), oui, l’Angleterre, pays avec lequel nous sommes en concurrence depuis trente ans - Ah bon, c’est tout ! - nous a désormais dépassés et réussit à présent mieux que nous".

Et la salle entière, Yves Calvi le premier, de se tenir coi et d’acquiescer tacitement devant ce prodigieux discours ; "Oui, c’est évident, l’Angleterre réussit mieux que nous !". Le plus délirant arrive par la suite : le sieur Aphatie, décidément dans un grand jour, nous déclame, par une explication dont j’ai perdu le fil, que si la France échoue tout ce quelle entreprend, c’est parce que "c’est le pays qui se fait des nœuds au cerveau", parce qu’il a refusé le Traité constitutionnel en 2005 et la Communauté européenne de défense en 1954 (Il y a quelque chose de savoureux à constater que ceux qui ne veulent surtout pas entendre parler de l’intégration de la Turquie en Europe en 2007 reprochent à la France de ne pas avoir ratifié un accord de coopération militaire de grande ampleur avec l’Allemagne moins de dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale)... Bref, Aphatie fait partie de cette catégorie de déclinologues, parfaitement incarné par Nicolas Baverez, qui estime que les Français n’ont de toute façon rien compris à la mondialisation et sont condamnés par l’histoire à la chute.

Il ne s’agit pas de nier les questions que se posent nos compatriotes, les problèmes spécifiques que rencontre notre pays face aux enjeux de la mondialisation, nos difficultés à réformer certains aspects de la société. Mais enfin, si déclin il y a, il est avant tout tendanciel depuis la fin de la Première Guerre mondiale et concerne l’ensemble du vieux continent. Face à un monde devenu ultraconcurrentiel, la France n’est pas le seul pays occidental à se poser des questions, y compris sur son modèle économique ou le contenu de son identité nationale.

Il serait cependant important que pour le débat public aussi l’on modère un peu ce genre de raccourci assez stérile qui consiste à nous frapper le torse d’orgueil dès que l’une de nos locomotives bat un record du monde de vitesse sur rail, sans que cela nous serve à en vendre une seule en dehors de l’hexagone, ou nous traîner nous-mêmes dans la boue lorsque nous constatons que nous avons un revenu par habitant moins important que celui des Britanniques depuis cinq ans, ou que notre dette publique approche les 70% de notre PNB lorsque celle des Allemands effleure les 80% et celle des Japonais dépasse allégrement les 170% !

Et pis, n’existe-il donc que des critères purement économiques pour définir si un pays « s’en sort mieux qu’un autre », M. Aphatie ? Jamais la côte de popularité d’un Premier ministre britannique n’a été aussi faible que celle de Tony Blair à l’heure actuelle. La réussite actuelle et indéniable de certains aspects de la politique économique du New Labour - y compris dans les services publics, n’en déplaise à certains mensonges colportés de notre côté de la Manche - doit-elle faire oublier des milliers de familles britanniques qui vivent dans l’angoisse de voir leur fils ou fille se faire descendre par un milicien chiite irakien ou un pasdaran iranien pour une guerre tout aussi illégale que contre-productive dans la lutte contre le terrorisme ? Ou que certains des kamikazes qui se sont faits sauter dans le métro londonien en juillet 2005 étaient des convertis, nés sur le sol anglais ? Comment mesure t-on le bonheur, la réussite d’une nation ? Commençons par regarder nos problèmes en face, sans hésiter à nous inspirer des expériences étrangères mais en arrêtant de nier que si nous avons des faiblesses, nous avons aussi des forces et que notre pays n’est pas moins disposé qu’un autre à la réforme.

Ah, il y a certes un domaine où les Anglais nous écrasent : ils ont trois clubs en demi-finale de ligue des champions (du football pour les incultes). En même temps, ils n’ont pas atteint une finale de Coupe du monde depuis quarante ans et l’Equipe de France vient de le faire deux fois en huit ans....Cocoricooooooooooooo monsieur Aphatie !


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5 réactions à cet article    


  • ExSam 26 avril 2007 00:00

    Apathie adore sentir le souffle chaud des puissants qui lui caresse le portefeuille.

    Un vrai démocrate cet Apathie ;il a posté nombre de texticule sur AV, mais jamais n’a daigné répondre à un quelconque contradicteur. Oyez les quelconques, la grandeur de l’Apathie !..


    • arturh 26 avril 2007 08:13

      Dire que nous sommes en déclin, ne signifie pas qu’il n’y a plus aucun potentiel de développement en France.

      Au contraire, ces discours sur le déclin de la France sont d’autant plus nécessaires que le potentiel de développement de la France est quasiment intact et qu’il est temps d’arrêter ce gachis et de repartir de l’avant.


      • Vilain petit canard Vilain petit canard 26 avril 2007 11:07

        JM Apathie est bien connu des agoravoxiens, on lit ses articles, qui sont directement repiqués de son blog, c’est normal qu’il ne réponde pas, si ça se trouve, il ne sait même pas que son texte est passé ici, c’est donc une critique un peu injuste.

        En revanche, il a des énervements : quand Alain Duhamel a été suspendu pour prise de position confidentielle en faveur de Bayrou, là, il s’est déchaîné, c’est un grand confrère, un bon ami, etc. La défense pure et dure du gentil confrère. Euh, enfin, courageux mais pas excessivement, peu après, il fait savoir quand même que lui, il votera blanc (au premier tour), il est vachement objectif, Apathie, depuis qu’il taquine insolemment les politiciens (enfin, pas insolemment avec tous), il n’en choisit aucun, on ne sait jamais qui peut se retrouver au pouvoir, faut un peu se protéger, tout çà, la carrière, enfin...

        Mais il critique toujours plus à gauche qu’à droite, c’est curieux, non ? Et quand il donne un avis sur le pays, il reprend la chanson du premier candidat, ça alors, c’est de plus en plus curieux. Et quand Eric Besson dégueule sur sa candidate ex-préférée, il trouve le livre « instructif ».

        Jean-Michel Apathie, l’Homme qui vote Blanc, témoin téméraire, courageux et dérangeant, s’avère être finalement un lamentable fayot.


        • Vilain petit canard Vilain petit canard 26 avril 2007 11:26

          Ah zut, j’ai écorché son nom, c’est Aphatie, comme aphasique et pas comme apathique...


        • Philippakos Philippakos 4 mai 2007 07:40

          Les notions de progrès et de déclin sont toutes relatives en effet. Les Anglais vivent par exemple avec la nostalgie de l’Angleterre victorienne, mais allez demander à cette époque-là ce qu’en pensait un mineur de fond de cette Angleterre coloniale et hautaine. Les fameuses trente glorieuses françaises.Qui en a vraiment profité ? Quelle était la situation ouvrière à cette époque ? Il semblerait que le critère de jugement pour une société soit uniquement économique : savoir quel gain peut générer l’investissement, savoir le chiffre de la dette, savoir le taux de l’inflation. Ne pas oublier que les français ne sont pas tous actionnaires (doit-on s’en plaindre ?) que les pays les plus riches (émirats par exemple) sont des catastrophes sociales, et que, pour être bref, l’argent ne fait pas tout, loin s’en faut. Quand à cette fameuse croissance, dont on nous rebat les oreilles tous partis confondus, elle ne pourra pas être éternellement positive. Ou alors nous serons morts, asphixiés depuis longtemps. Cette croissance est entièrement contradictoire avec la préservation de la planète et entièrement contradictoire avec le développement du tiers monde qui est, qu’on le veuille ou non, la solution de la plupart des problèmes européens, voire mondiaux. La croissance ne fait qu’augmenter le fossé qui sépare les plus riches des plus pauvres, tant au niveau national qu’international. Nous arrivons aujourd’hui, en France, à une échelle de salaire de 1 pour 300. En étant plus explicite, les plus hauts salaires gagnent en un mois ce que les plus bas gagnent en une vie. Là on peut dire qu’il y a déclin, mais social cette fois...

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