Libé : le spectateur engagé
On ne peut qu’approuver Edwy Plenel lorsqu’il constate, dans son appel à sauver Libération, que nous
vivons une crise de l’offre et non pas de la demande. S’il y a déclin,
c’est parce que nous ne sommes pas au rendez-vous des attentes des
lecteurs.
Toute la question est de savoir si le projet qu’il propose est susceptible de rencontrer un public, au-delà de l’actuel lectorat en voie d’étiolement. Quel que puisse être le sérieux avec lequel il a été envisagé, et l’investissement réel du personnel dans son élaboration, je ne vois rien qui justifie l’affirmation selon lequel il renoue avec l’identité originelle de Libération, lieu d’invention et de modernité de la presse française.
Car, comme je l’ai indiqué dans une précédente note, là réside la solution pour sortir le quotidien de l’ornière dans lequel il s’est englué.
En 1973, Libé a voulu révolutionner le monde des médias. Avec le succès que l’on connaît. C’est dans ce même pari qu’il lui échoit de s’engager, en faisant de sa faiblesse une force.
A une époque où l’ère du numérique va tout bouleverser, le quotidien dépend bien trop de son support papier. C’est vers Internet que tous les efforts doivent être portés avec bien plus de convictions que les timides pistes envisagées. C’est le pronétariat, pour reprendre une formule de l’ami Joël de Rosnay, qui sauvera Libération.
Dans très peu de temps, l’information se concevra en ligne et en trois dimensions : celles cumulées de l’écriture, de l’image et du son avec une rapidité sans précédent et une interactivité jusqu’ici inconnue. L’édition écrite ne deviendra qu’un complément, voire un accessoire. Cette évolution, quoi qu’on en pense, est inéluctable et transformera considérablement le métier de journaliste.
Elle imposera de nouvelles formes de contenus, une autre façon de traiter l’actualité, tout à la fois dans sa complexité et sa réflexion. Demain, le mouvement totalisateur de l’histoire, sans lequel nous ne pouvons sortir d’une biocœnose d’individualités, se forgera à l’aulne de ce nouveau journalisme impliquant, de sa part, une bien plus grande responsabilité.
C’est autour de cette réalité que doit être composé le nouveau journal. Cela exige certes des financements mais, avant tout, de l’imagination, celle qui a préexisté à sa création. Comme en 1973, le Libé du troisième millénaire doit être en capacité d’entraîner les autres publications dans son sillage. Si nous trouvons un style, nous passerons, avait dit Sartre, son premier directeur. C’est encore vrai aujourd’hui. Un simple rafistolage ne suffira pas. Il faut de l’ambition et des moyens mis à son service.
Toute la question est de savoir s’il existe une capacité et une volonté de tous pour anticiper cette mutation. Mais, à mon avis, c’est la seule voie à explorer pour faire en sorte que le Libération de demain reste dans la fidélité de son histoire, comme le dit si bien l’ancien directeur de la rédaction du Monde.
Sa crise financière est, paradoxalement, l’ultime opportunité d’inverser l’ordre des choses. L’audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions, disait Marcel Proust, et la modestie est la vertu des tièdes, lit-on dans Le Diable et le Bon Dieu.
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