Libération : le plan Plenel
Petite tentative d’analyse...
Sur la situation du journal Libération, Edwy Plenel livre plusieurs chiffres intéressants : 30 millions d’euros de dettes, 13 millions d’euros de perte annuelle, dans ce qu’il qualifie de « spirale dépressive ». La vente en kiosques de Libé est, quant à elle, « à moins de 80 000 exemplaires ». La situation n’est pas aussi désespérée, puisque, comme il le précise un peu plus loin, la procédure de sauvegarde demandée par le journal lui a permis de gagner du temps.
Qu’est-ce qu’une procédure de sauvegarde ? C’est un dispositif nouveau, mis en place par la loi du 26 juillet 2005, pour venir en aide aux entreprises en difficulté et leur éviter la faillite. A l’issue d’une période d’observation - ici, de six mois - un plan sera arrêté par le Tribunal de commerce de Paris. Un administrateur judiciaire - en l’occurrence Régis Valliot - est nommé par le tribunal, pour surveiller la gestion. Et éviter de nouveaux dérapages. Les dirigeants restent à leur poste, tout comme les salariés. D’après la loi, le plan peut avoir une durée maximum de dix ans. Ce que Plenel interprète, d’une façon un peu hâtive - car rien n’est encore décidé - par : "Les dettes, le problème est réglé, il y a la sauvegarde. Elles sont étalées sur dix ans.«
Les causes, Edwy Plenel les désigne clairement :
»absence de rigueur de gestion, absence de vigilance des actionnaires,
manque de dynamisme collectif". Très politique, il évite de critiquer
uniquement les dirigeants, ou les actionnaires, ou les salariés. On
peut avoir une vision différente des choses et penser que perdre vingt
millions d’euros en six mois - Edouard de Rotschild est entré au
capital de Libération en avril 2005, au point de frôler la cessation de paiements, relève difficilement
de la responsabilité des salariés.
Edwy Plenel dit d’ailleurs, quelques lignes plus
loin : "Puisque la question a été posée de changer la
gouvernance de Libération, je dis ma position : [...] si cela
veut dire que les dirigeants soient rigoureux dans leur gestion et
veillent à la situation financière comme s’il s’agissait de leur propre
argent et non pas de celui des autres [...], je suis pour." Des phrases
tout de même très dures, alors qu’il appelle seulement les actionnaires
à être « vigilants et responsables » et les salariés à être
« rassemblés ».
Le plan que propose Edwy Plenel, il préfère parler de projet, s’articule autour de quatre axes : "un plan
rédactionnel, ensuite un plan commercial, dont découle un plan
d’économie [...] et dont découle un plan de recapitalisation".
Le plan rédactionnel est très clair, pour ce qui est de
l’organisation. Et très flou pour ce qui concerne le fond.
Sur l’organisation, d’abord. Edwy Plenel veut créer une
« plate-forme rédactionnelle » qui produise « plusieurs contenus ». Ces
contenus sont destinés prioritairement au Web, ensuite au quotidien
papier et à un magazine hebdomadaire.
Sur le Web, ils se déclinent sous la forme d’articles, de
blogs de journalistes, il s’agit, si on comprend bien, de créer des
micro communautés autour des journalistes de Libé, "de service,
programme, conso...« et »d’inventions propres au Web", que Libé n’a pas
encore travaillées. On sait qu’une « radio Libé » est d’ores et déjà en
préparation, pour diffusion sur le site.
En ce qui concerne Internet, le mot d’ordre d’Edwy Plenel est
clair : « Le Web doit être un lieu de recette. »
La logique est celle du payant, sur le modèle revendiqué du
Parisien, qui a
adopté toute une gamme de micropaiements, "à l’article, à la semaine,
au nombre d’articles« . Plenel mentionne aussi la possibilité d’un
»abonnement premium", on pense à Salon magazine aux Etats-Unis et cite le modèle d’El
Pais, qui permet d’imprimer des éditions sur mesure, en
fonction des centres d’intérêt.
Le Web serait également rentabilisé par la publicité. "Les
recettes du Web sont devant nous, écrit Plenel. Avec son audience, le
fait que le Web n’ait pas la publicité qu’il devrait avoir est
stupéfiant."
Du quotidien papier on sait qu’il serait "resserré, mobile,
pas figé, très sélectif", délesté de ce qui sera mieux traité sur le Web. Avec une une très souple et très forte, sur le modèle des
quotidiens anglo-saxons.
L’hebdomadaire serait axé sur le "magazine, le long reportage,
le long portrait, le long papier de réflexion", sur le modèle - excusez
du peu - du New
Yorker, de Harper’s, du Times Literary
Suplement ou de la New York Review of Books.
Le plus amusant, c’est qu’Edwy Plenel précise un peu plus tôt que cet
hebdomadaire ne serait « pas très difficile à faire ». Les journalistes
anglo-saxons seront sans nul doute très impressionnés par les immenses
capacités des journalistes de Libé, capables de produire des articles,
des blogs et, accessoirement, sans doute sur leur temps perdu, un New Yorker, "vendu
séparément" ! Une chose est sûre, c’est qu’on n’est pas près
d’aller faire un stage là-bas !
Pour conduire ce projet à terme, Edwy Plenel est très
clair : « Il faudra des sacrifices », c’est-à-dire "réduire la
pagination et réduire les effectifs". Il n’apporte aucune précision sur
le nombre de licenciements envisagés. Mais la logique est claire. Le
seul service épargné sera la force commerciale, qui pourrait même être
renforcé.
Sur le fond... « On a perdu le lecteur de vue », explique
Plenel, qui indique qu’une « place est à prendre », celle de "quotidien
de gauche« . »Ce n’est plus l’image du Monde, ce n’est pas
évidemment l’image du Figaro", poursuit-il. Les
anciens collègues de Plenel au Monde apprécieront...
Cette place, comment l’occuper ? Là, on reconnaît la patte Plenel : en imposant son « propre agenda », en
bousculant sa une, en n’hésitant pas à sortir des scoops ou à
« monter des sujets ». Rien de nouveau par rapport à ce qu’il a fait au
Monde.
Quant à la fameuse petite phrase sur Sarkozy, elle apparaît
dans les questions-réponses entre Plenel et la rédaction de Libé, que
l’on peut télécharger ici.
Voici l’extrait :
"[...] Il me paraît évident vu la définition que j’ai donnée de Libération -je le dis aussi en tant que lecteur- que Libération doit être - il n’y a rien d’indigne à cela - un journal de combat contre Nicolas Sarkozy. Cela ne veut pas dire que c’est simplement un journal d’opinion, un journal qui ferait que du commentaire contre Sarkozy. C’est un journal qui, quand les jeunes meurent le jeudi à Clichy, titre : « Non il n’y a pas la version des jeunes et de la police. Il n’y en a qu’une : c’est la police qui ment. » Et l’agenda de Monsieur Sarkozy, nous le bousculons, parce qu’il y a eu mensonge qui a duré pendant une semaine."
Je maintiens que tout cela ne fait pas une politique
éditoriale... En conclusion, je retiens cette phrase terrible, et très
injuste aussi, restée sans réponse : "Nous continuons à
faire des journaux payants en regardant la télévision, en écoutant la
radio ou en lisant Yahoo News. Sans essayer de répondre à la
question : qu’est-ce qui va légitimer le fait qu’on nous
achète ?"
Car derrière tout cela, il y a un fantôme plus effrayant encore pour Libé, la presse gratuite...
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