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Médias : créateur et ennemi de la banlieue

D’un côté, les journalistes qui détiennent tous les moyens pour forger l’image des banlieues. De l’autre, les jeunes des cités qui ne peuvent contrôler l’information seulement en provoquant l’événement à travers la violence. Une guerre larvée est-elle en cours ? 

« À force de juger nos gueules, les gens le savent, qu’à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards, chaque fois que ça pète on dit qu’c’est nous, j’mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Éric Zemmour ». Cet extrait d’une chanson de Youssoupha a poussé le journaliste Eric Zemmour à porter plainte contre le rappeur le 25 mars 2009, un procès qui symbolise l’inquiétante rupture entre les médias et les banlieues aujourd’hui.

Le mot « banlieue » cristallise l’image de tours gris, de jeunes délinquants et déscolarisés, de chômeurs et d’immigrés, symboles de la misère, de l’exclusion, de la violence. Cette distinction géographique devenu distinction sociale n’allait pas de soi. Il y a eu derrière une construction d’identité reposant sur des discours et des images portés par les médias.

Les grands ensembles, construits au lendemain de la seconde guerre mondiale pour répondre au manque de logements pour les nouvelles classes moyennes, sont d’abord un objet de curiosité pour les médias. La plupart du temps, on les présente comme un progrès, on loue le cadre agréable, la verdure, la proximité des services, le bonheur pour les familles. Cette vision prendra fin avec l’arrivée de la crise économique des années 1970. Les classes moyennes quittent la banlieue, qui se paupérise, et ce sont des chômeurs, des immigrés et des manœuvres qui deviennent majoritaires. Dès lors, les médias vont prendre un ton alarmiste et se focaliser sur les banlieues pour dénoncer les conditions de vie difficiles qui s’y trouvent, le racisme dont souffrent les immigrés, et l’exclusion sociale des habitants des cités. C’est à partir de plusieurs émeutes au cours de l’été 1981 que la représentation des banlieues va glisser d’un lieu d’exclusion social à un lieu de désordres sociaux. Habilement, on fait passer la responsabilité des problèmes sociaux de l’Etat à des individus, les “jeunes de banlieues”. Les périodes de désordre en banlieues, qui se produisent ponctuellement au long des années 80 et 90, seront dramatisés par les médias, et on commence à y rattacher une amalgame confuse des termes de délinquance, de terrorisme et d’islamisme, faisant des banlieues un objet de peur pour le reste de la population. Cette image des banlieues va éteindre son summum avec les émeutes en 2005. Suite à la mort de deux jeunes dans une poursuite policière à Clichy-Sous-Bois, les émeutes se propagent dans toute la banlieue parisienne puis dans les autres grandes villes, se nourrissant des sentiments d’injustice et d’exclusion, de l’hostilité envers la police et l’Establishment en général, de l’ennui et du ras de bol que ressentent ces jeunes sans prospects d’avenir.

La question de la banlieue révèle les limites des médias d’aujourd’hui, et mène à leur rupture avec les populations des banlieues. Le recrutement élitiste fait que la majorité des journalistes sort des Grandes Ecoles, et peu d’entre eux viennent de quartiers modestes. Ils incarnent alors l’Establishment aux yeux des jeunes. Quant aux contraintes de travail, le besoin de rapidité fait que les journalistes se basent sur des sources policières et que les reportages sont peu creusés, les journalistes ont donc tendance à chercher les informations qui rentrent dans un cadre préétabli. Par ailleurs, les médias doivent se vendre, et cherche donc le spectaculaire. Ce sont donc seulement les troubles et désastres de la banlieue qui sont dépeints, et le reste du temps, les banlieues sont invisibles, ils ne servent seulement d’un potentiel de fait divers quand les problèmes éclatent. Cela engendre l’hostilité des habitants de la banlieue envers es médias.

Les médias vont non seulement forger l’identité distincte des « quartiers difficiles », mais dans une certaine mesure contribuent à créer les problèmes qu’ils dénoncent. D’une part, en donnant une mauvaise réputation aux banlieues, ils les rendent peu attractifs .En boule de neige, l’espace se paupérise et apparaît de plus en plus comme un lieu de pauvreté et exclusion sociale, où n’habitent seulement ceux qui n’ont pas d’autre choix. La création de cette identité bien distincte des banlieues tend également à créer une ghettoïsation des problèmes. Les problèmes des banlieues ne seraient pas les problèmes de la France. Le problème de la France serait la banlieue elle-même. En cadrant de cette manière, les médias reformulent le débat politique et renforcent l’exclusion de la banlieue. Quant aux révoltes ponctuelles, les journalistes rajoutent de l’huile sur le feu, puisque leur présence peut encourager les actes de violence. Les jeunes profitent de la présence de caméras pour attirer l’attention sur leurs quartiers délaissés. Certains rentrent en concurrence pour faire le plus de désordre possible. De plus, l’hostilité contre les médias engendre des violences contre les journalistes eux-mêmes, dont des agressions et vols de matériaux fréquents. Apparaît donc une guerre larvée entre journalistes et habitants des cités.

Le fondement de ce conflit peut être lié au déséquilibre dans la capacité à produire l’information et à forger les perceptions de l’espace social. Les jeunes des banlieues et les médias sont en confrontation pour créer une représentation de la réalité des cités, et les médias l’emportent massivement. Ce sont eux qui détiennent les moyens d’expression perçus comme crédibles. La seule façon dont disposent les jeunes pour contrôler l’information est de la créer, en provoquant les événements violents.

Mais l’exemple des banlieues est aussi la preuve de la flexibilité et de la capacité d’adaptation des médias aujourd’hui, et de la façon dont la création des informations est en train de se transformer à l’ère de l’internet. Depuis les problèmes de 2005, les médias ont pris conscience de la rupture qu’il existe entre eux et les populations les plus démunies. La presse écrite, moins contrainte par le besoin de spectaculaire, a pris pour rôle de critiquer la télévision. Des tentatives de diversifier les élites font jour, d’abord pour permettre à des jeunes des banlieues de devenir journalistes, avec notamment la classe préparatoire « égalité des chances » à Lille, qui cherche à donner plus de chance aux jeunes des cités pour rentrer dans l’ESJ de Lille. D’autre part le problème entre médias et banlieues fait désormais parti des programmes d’enseignement de différentes institutions, pour former des journalistes qui ont conscience des limites et des dangers du pouvoir des médias. Enfin, le web donne aux banlieusards une nouvelle plateforme pour faire entendre leur voix, sans passer par les médias traditionnels. Des initiatives telles les blogs Presse et Cité et Bondy blog permettent à des jeunes des banlieues de créer de l’information. Si le journalisme veut garder sa place de « chien de garde » de la démocratie, il ne faut pas que les médias soient une oligarchie. Et ce sont peut-être ces médias alternatifs, qui laissent entendre d’autres voix et donnent une autre vision du monde, qui seront l’avenir du journalisme.

 


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4 réactions à cet article    


  • viva 2 décembre 2013 20:48

    Les HLM de banlieu étaient un vrai progrès sociale, je peux vous garantir que l’on y vivait très bien et l’on était heureux de vivre là.


    Il y avait de la mixité sociale, les enseignants, les ouvriers, les employés, les petits fonctionnaires y vivaient. Beaucoup avaient vécu entassé dans des logements insalubres dans des bidons villes ou des cités emmaus, ils respectaient leur lieu de vie et globalement ne voulaient pas vivre dans la crasse.

    • viva 2 décembre 2013 20:56

      Vous ne devez pas bien connaitre il n’y a pas que des défavorisés dans les banlieues, dans les HLM non plus d’ailleurs.


      Les HLM ont toujours eu mauvaise réputation parmi les personnes vivant dans des pavillons, il y avait énormément de fantasme qui étaient largement injustifiés.
      Esssayez de vous balader tranquillement un soir dans une cité, vous prenez clairement risque de vous faire agresser gratuitement. Cela n’existait pas ...ou alors à la marge. La pauvreté ne justifie aucune agression physique ou crapuleuse.

      • paul 2 décembre 2013 21:24

        Banlieue ->racaille->karcher, cette sentence a été prononcée par un futur président de la république en 2005 à la Courneuve .
        Une fine analyse sociologique que les médias dominants ont largement propagés et qui continue son œuvre dans les esprits « zemmouriens » .
        En cause, les raccourcis journalistiques : le plus court chemin pour montrer un réalité préconçue, c’est ce que montre Jérôme Berthaut, auteur de La banlieue du 20 heures .

         www.acrimed.org/article4210.html 


        • Unevoixoff Unevoixoff 3 décembre 2013 10:20

          Il me semble que nous oublions juste un critère déterminant : il faut surtout que les banlieues restent les banlieues, pauvres, sales et observables à volonté comme un laboratoire sociale. Et les médias doivent leur donner de la matière afin de ne surtout pas sortir des ghettos ainsi créés : Télé réalité, bassesse télévisuelle, exaltation de la violence. C’est la culture du pauvre.

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Auteur de l'article

Eloise Stark


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