« Merdias » conchiant la réalité : une télévision malade vouée à soigner le confinement existentiel ?
Les faits sont sacrés et les commentaires sont libres. Ainsi s’énonce cette devise qui serait inscrite au fronton de toutes les écoles de journalisme. Cette formule, attribuée à Beaumarchais, est souvent invoquée lorsque la profession des journalistes s’interroge sur les dérives contemporaines de l’information et la déontologie que devraient respecter les médias. Actuellement, cette profession est dans la tourmente avec l’affaire DSK. Au point que le député Myard s’est récemment exprimé sur une hystérie médiatique, intimant aux responsables de presse de réfléchir à une charte déontologique en les menaçant de rédiger un texte de loi contraignant en cas de refus. Autant dire que la France est dans une situation de crise de nerfs. D’ailleurs, l’affaire DSK n’a fait que dévoiler avec une intensité particulière cette frénésie médiatique dont sont devenus coutumiers les journaux français et notamment ceux des chaînes de télévision filmant et commentant en direct des audiences routinières tenues dans un tribunal de New York tout simplement parce que le présumé inculpé serait un personnage d’une importance planétaire, surtout pour le centre de la planète qui bien entendu est Paris. La frénésie médiatique ne s’est pas uniquement manifestée lors du feuilleton de télé surréalité DSK, un prince déchu à New York. Le phénomène ne suscite plus aucune attention tant il est devenu courant.
Un médiologue averti saura déceler l’inversion de la maxime prononcée par Beaumarchais. Les faits ne sont plus sacrés et les commentaires priment. Pour peu, nous pourrions soupçonner une mise en conformité des faits pour les faire coller en certaines occasions à des commentaires préformés à l’instar des préjugés. Une analyse rapide du cas d’école DSK livre l’évidence d’une profusion de commentaires dépassant largement le cadre des informations disponibles, y compris sur des scénarios possibles de déroulement du procès. Faut-il rappeler en effet que ni DSK, ni la plaignante, ne se sont exprimés dans les médias. Le scénario laisse des zones d’ombre et c’est pour cela qu’il est si bien ficelé, comme dans un téléfilm excellemment scénarisé. Parmi les derniers commentaires, celui de Benoît Hamon décrétant « hypothèse la plus faible » le retour de DSK dans les primaires. C’est la question que tous les présentateurs de JT se posent. Il faut du commentaire. Autre déclaration, celle de Julien Dray, supputant un DSK désireux de bouffer le monde après ce qui lui est arrivé. Histoire de mettre les pendules à l’heure, rappelons à notre collectionneur de montres que la vocation de DSK n’est pas de bouffer le monde mais de participer à la vie politique s’il le désire. Quant au reste, rien ne l’empêcher de bouffer tous les minous du monde si cela lui chante. On aura noté les belles prestations de nos psys de service glosant sur un acte manqué de DSK et maintenant, on attend leur avis sur la reconstruction de l’ex directeur du FMI, après celui prononcé sur la récupération des otages. La télé c’est aussi un étalage du commentaire psychologique. Il faut dévoiler ce qui se passe dans le psychisme du sujet. Quitte à profaner l’intimité.
Ah, au fait, un détail qui vous aurait peut-être échappé. La plupart des commentaires évoquent la candidature aux primaires socialistes de DSK mais jusqu’alors, l’intéressé ne s’est pas exprimé sur ce sujet et n’a jamais officialisé publiquement son intention de se porter candidat à ce scrutin organisé par le PS. L’occasion de rappeler une autre formule extraite d’une œuvre de Beaumarchais qu’on se plaira à paraphraser :
Ah ! [la politique] est l'art de créer des faits ; de dominer, en se jouant, les événements et les hommes ; l'intérêt est son but ; l'intrigue son moyen : toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. (La mère coupable,, Presses-Pocket n° 6168, p.281)
Ah ! [le journalisme ] est l'art de présenter des faits ; de dominer, en se jouant, les événements et les hommes ; l'intérêt est son but ; l'intrigue son moyen : toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui déforme, autant qui assombrit.
La télévision ainsi que d’autres médias ont pris ce pli consistant à donner une place prépondérante au commentaire et à la déclaration. Les déontologistes de service avaient alerté l’opinion et les confrères sur l’usage intempestif des petites phrases mais rien n’y fit. On ne déplore même plus ce phénomène devenu récurrent. Selon un tel, d’après les sources de machin, il se dit, il se passe, il se produit des choses dans le monde ou du moins dans les médias qui ensembles, représentent un monde, leur monde. Pour bien marquer le souci de produire des faits, les chaînes de télévision dépêchent de plus en plus souvent un envoyé spécial dont la fonction officielle est d’aller à la pêche aux informations mais dont le rôle effectif se résume bien souvent à marquer de son sceau un lieu qui devient informatif par le fait même de la présence de l’envoyé. On a pu voir un journaliste filmé avec en arrière-fond un restaurant où aurait été vu Xavier Dupont de Ligonnès. Le même se retrouvera à un péage d’autoroute pour réifier les tracas de la transhumance estivale coincée dans les bouchons.
Et si on émettait l’hypothèse d’une corporation journalistique souffrant d’un problème relationnel avec la réalité ? Oh, rien de bien grave docteur, c’est juste que ces gens-là semblent imprégnés d’un tourment démiurgique, voire d’un désir prométhéen, traduisible par le souci de produire de la réalité. Et finalement, l’affaire DSK, comme d’autres suivis d’événements, relève peu ou prou de la fabrique de télé réalité. Peut-être que l’info du temps de l’ORTF et celle de Pujadas sont dans le même rapport que les premiers perspectivistes de la Renaissance et les peintres maniéristes qui leur succédèrent. Peut-être que la réalité qui sort d’un JT leur semble plus réelle que la vraie réalité du terrain. Même constat pour le quotidien d’une bande de jeunes cloîtrés dans une villa avec piscine, ou bien les aventures d’une parisienne avec un paysan de Lozère, paraissant plus intenses, plus vraies, dès lors qu’ils sont mises en scène et scénarisés. Avec des commentaires à la clé. Parfois inscrits en sous-titre comme dans Secret Story (Maxime ne se sent pas très bien et jalouse Kévin…) ; ou bien déclamés en voix off dans L’amour est dans le pré (« Claude a visiblement un coup de cœur pour Juliette »… Le téléspectateur étant bien entendu un neuneu qui ne sait pas interpréter les images) Que dit ce dévoilement de l’intime sur notre époque ? Peut-être que les gens s’emmerdent dans leur vie et regardent des émissions débiles. Quoique, comme cela a été explicité dans une émission d’Inter, il semblerait que les gens des petites villes ou de la ruralité soient moins imprégnés de cette culture réalité que leurs homologues vivant dans les métropoles ou bien à Paris.
Cette hypothèse pourrait très bien être l’antichambre d’une théorie sociale plus vaste concernant la vie dans les grandes villes et l’idée d’un confinement existentiel poussant les individus vers la télé réalité, voire l’événement réalité, les uns en la produisant, les autres en la regardant. La vie est devenue morne et banale et le souci d’exister plus intensément n’est pas toujours accessible aux urbains qui de ce fait, tentent de s’échapper de la grisaille des quartiers pour déguster une réalité plus pimentée produite par les managers médiatiques. A souligner l’entrée des chaînes publiques dans des programmes conçus comme de la télé réalité, programmes dont l’un des dénominateurs commun est la compétition et au final, la désignation du ou des gagnants, que ce soit pour concocter un dîner, éliminer les adversaires, réussir des prouesses culinaires ou une décoration de jardin. Paf, en plein dans la logique du marché. L’économie avec ses gagnants et ses perdants. Une économie qui dicte ses règles, tout en se mettant en scène d’une manière allégorique dans la télé réalité, genre médiatique tout spécialement adapté pour sa fonction devenue banale, faire sortir l’humain du confinement existentiel dans lequel il se trouve lorsqu’il vit dans un milieu urbain.
Cette télévision qui produit de la réalité a un avenir serein, étant donné que les tendances actuelles vont dans le sens d’une augmentation des populations métropolitaines. Pas plus loin que mon HLM, des élus locaux réfléchissent au chiffre fétiche d’une communauté urbaine bordelaise atteignant le million d’âme. Cette remarque finale permet de signaler un ressort du journalisme qu’on pourra trouver dans cette paraphrase que j’ai proposée ci-dessus. Le journalisme, comme le politique, vise comme objectif la domination des hommes et l’intérêt sectoriel… Il est donc culturel que ces deux pratiques aient fini par converger.
Les journalistes oeuvrent pour soigner ce confinement existentiel des âmes en les confinant dans un autre espace, celui de la média réalité, sorte de parc à thèmes multiples déclinés à l’instar des activités pour jeunes et moins jeunes, proposées pour qu’ils oublient l’ennui et le quotidien. Les informations sont calquées sur ce principe, comme les jeux télévisés, les séries plus belles que la vie et surtout les expériences de télé réalité. Les gens sont enfermés dans cet espace formaté et fabriqué par les médias. Les JT sont conçus presque comme un divertissement qui colle bien avec l’esprit du jeu. Les citoyens sont devenus des esclaves psychiques, acceptant d’entrer dans ce monde artificiel et ludique, déconnecté partiellement du réel, avec ses amuseurs politiques ou intellectuels. Les joueurs ne sont pas maîtres du jeu mais ils jouent, prisonniers de l’espace ludique, parfois inquiétant, avec ses règles, fabriqué par le système médiatique. Les voyageurs tentent une autre route. Nietzsche leur adresse son salut. Et la divine liberté les embrasse ! Alors que se dessine la thèse sociologique assez effarante. L’ennui humain est l’une des principales ressources du système industriel. Un filon qui n’est pas prêt de s’épuiser.
Un proverbe breton dit qu’à force de conchiée culture médiatique, le spectateur finit par bâiller comme une huître et finit par sortir de sa coque pour ne plus entrer dans le moule.
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