Pascal Sevran, rideau sur l’opérette

Pascal Sevran est décédé. La nouvelle était attendue. Afin d’éviter un second couac, la dépêche du 9 mai fut doublement certifiée, par ses proches et par France Télévision, sa seconde famille pour ainsi dire. Le soir, sur France 2, pas moins de dix minutes pour cet événement placé à la une avec en direct Monsieur le gendre idéal, Michel Drucker, évoquant la carrière du second gendre idéal du PAF, Pascal, grand ordonnateur des émissions consacrées à la chanson française dite de terroir et aux danses de music hall et autre bal musette d’antan. De quoi donner du baume au cœur à toutes les ménagères de plus de soixante ans, celles d’une autre époque, qui allaient guincher alors que Moulinex n’avait pas encore libéré la femme et qui parfois, se trouvaient un époux pour la vie, un homme fidèle comme on en fait plus et d’ailleurs, ces dames avaient aussi juré fidélité à cet amuseur de télévision dont la mort suscita une nécrologie digne de celle d’un grand homme de la politique. Il faut dire que Sevran n’était pas n’importe qui. Il faisait partie des saints apôtres du mitterrandisme qui tous les ans, gravissaient la roche de Solutré, sans toutefois porter une croix sur l’épaule. Voilà sans doute une évocation de l’importance accordée à la proximité entre gens du pouvoir et célébrités de la télévision. A l’occasion de cette nécrologie, on constate d’une manière édifiante comment sont hiérarchisées les priorités médiatiques, comment sont choisies les personnalités qui comptent pour la société et surtout, la nation française. Ainsi que ces mœurs de connivence entre stars et politiques, récemment décriés à l’occasion de la dernière campagne présidentielle mais qui remontent tout de même à plus de vingt ans. D’ailleurs, un autre apôtre de Solutré, Jack Lang, savait cultiver la proximité avec la cour des stars et autres célébrités le plus souvent portées par les médias vers un pinacle pas toujours mérité.
Qu’a apporté au juste Sevran ? Rien de vraiment essentiel si ce n’est la promotion d’une chanson française à des heures de grande écoute sur une chaîne très regardé. Un rendez-vous indéboulonnable, comme Drucker, pour entendre toujours les mêmes rengaines mais ça plaît. Pendant ce temps, les enfants du rock ont été décapités du PAF et l’art du rock banni d’un accès pour grand public. Sevran, un brave gars, caractériel, coléreux, mais pas plus qu’un Leymergie ou un Ardisson, un type en phase avec la France, celle qui va voir Amélie Poulain chez les cht’is ! Celle qui va là où le disent des clichés trop faciles qu’on ne déclinera pas. C’est sans importance. Sevran, comme Martin, ressemblait à la France des années Mitterrand et Chirac vue par la petite lucarne. Il chantait, il écrivait, il avait une personnalité et un talent reconnu. Sans plus.
Le téléspectateur critique et soucieux de citoyenneté médiatique sera sans doute pointilleux sur cette nécrologie en une pour un événement somme toute important mais moins que d’autres choses qui se passent dans le monde. Comme notamment la situation au Liban et ce qui s’avère être un coup d’Etat conduit par le Hezbollah à Beyrouth, avec derrière sans doute la Syrie et qui sait, l’Iran. Des militants druzes pourchassés, des morts. La partie ouest de la ville a été prise d’assaut par les milices chiites si bien que la ville est maintenant scindée en deux comme naguère Berlin. Un événement inquiétant mais sans doute jugé moins important que la mort de Pascal Sevran.
Ce croisement de deux infos rappellera un emblématique journal télévisé de 13 heures, lorsque ce 14 septembre 1982, Bernard Langlois alors aux commandes sur Antenne 2 annonçait deux événements. L’un concernait le Liban et déjà ces jeux de pouvoir et ces coups de force. Le Président Bashir Gemayel était assassiné. Quelques jours après, un horrible massacre sera perpétré dans les camps de Sabra et Chatila. Entre 700 et 3000 morts selon les sources. Bernard Langlois avait raison, mais il fut licencié pour avoir relativisé un autre événement, le décès annoncé le même jour de Grâce de Monaco. Langlois avait jugé que ce qui se passait au Liban était ô combien plus important que ce décès advenue sur la descente de La Turbie près de Monaco. « Une histoire de royaume d’opérette sur un caillou cossu » pour reprendre les termes de Langlois. Ce 9 mai 2008, le journal télévisé a choisi de privilégier non pas les événements inquiétants au Liban mais la mort d’un chanteur d’opérette qu’on voyait sur un rocher près de Tonton.
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON