En réaction à notre billet sur la publicité pour les jus d’orange Leclerc, un internaute nous a envoyé la réponse de E.Leclerc à son message. Vraisemblablement, cet internaute se plaignait au distributeur du contenu de la publicité Leclerc, que nous vous remontrons ici :
Voici la réponse du distributeur :
<Bonjour Mademoiselle XXXXX,
Merci de l’intérêt que vous portez à E.LECLERC.
Nous avons pris connaissance de votre remarque concernant la publicité sur les antennes télévisées.
Nous avons bien reçu votre courriel concernant notre film « boisson aux oranges » et nous sommes sensibles à votre émotion. Nous souhaitons ici vous expliquer les intentions de cette publicité, afin de dissiper tout malentendu.
Ce film s’inscrit dans une campagne mettant en scène différents produits (spaghetti, crème fraiche, yaourts, boisson aux orange…) avec pour objectif de valoriser le positionnement prix de E.Leclerc sur tous les niveaux de gamme de produits.
Tous les films de cette « saga » sont construits sur une mécanique créative commune qui consiste à détourner des clichés publicitaires et à les répéter 3 fois pour exprimer les trois niveaux de gamme de produits concernés par le discours de l’enseigne (marque nationale, marque distributeur, premier prix).
L’idée même de ces films est donc de parodier un cliché publicitaire déjà exploité par d’autres marques et donc immédiatement évocateur d’un territoire de communication : la campagne pour le yaourt, les tropiques pour le jus d’orange.
Cette volonté parodique s’exprime à travers la caricature : un cadre idyllique, un soleil radieux, une plage paradisiaque, des « bimbos » en maillot de bain, un « monsieur muscle »… Tous les ingrédients « excessivement parfaits » d’un monde Marketing idéal.
Il apparaît, à la lecture de votre courriel, que cette caricature n’est pas été exprimée de façon assez claire, et nous le regrettons. Car cette caricature vise justement à brocarder l’utilisation abusive et parfois ridicule de l’image des femmes dans la publicité. Une publicité qui trop souvent voit dans le corps des femmes un argument de vente, ou de conviction par le désir. Toute l’histoire de la communication publicitaire d’E.Leclerc témoigne de cette volonté de respecter les individus et leurs convictions, quitte à s’appuyer sur la dénonciation de certaines pratiques.
Evidemment, et c’est ici le problème, une caricature qui n’est pas évidente peut renvoyer le message inverse de celui qu’elle visait.
Nous sommes sincèrement désolés de cette incompréhension et vous prions, Madame, Monsieur, de croire en l’assurance de notre considération la meilleure.
Nous vous remercions, Mademoiselle XXXXX, de votre confiance.
Bien cordialement,
EXXXXX XXXXXXX
Votre conseillère
ALLO E.LECLERC
Vous informer clairement, simplement.>
Sans nous exprimer sur l’éventuelle bonne ou mauvaise foi de Leclerc, nous pouvons nous prononcer sur l’intéressant argumentaire déployé ici par le distributeur.
Ce courrier est décomposé en trois phases. Premièrement, par des formules de politesse, Leclerc se montre compréhensif et “sensible”. Il accepte la critique et se place dans un vocabulaire de compassion et d’empathie, ce qui peut désamorcer une posture d’agressivité chez le lecteur. Ensuite, Leclerc explicite clairement ses objectifs à propose de cette publicité, nous reviendrons dans la suite de cet article sur leur argumentaire. Enfin, Leclerc conclut par un aveu de faiblesse, en expliquant que cette “caricature n’est pas été exprimée de façon assez claire”. Leclerc donne raison au plaignant tout en se défendant de toute malveillance par une volonté de bien faire, qui ne serait empêchée que par une éventuelle inefficacité ou incompréhension. Leclerc propose par ce courrier un beau modèle de communication et de relation client, qui se conclue sur une épique déclaration de fidélité militante envers le consommateur : “Toute l’histoire de la communication publicitaire d’E.Leclerc témoigne de cette volonté de respecter les individus et leurs convictions, quitte à s’appuyer sur la dénonciation de certaines pratiques”.
Revenons à notre analyse du message publicitaire.
Malgré l’angélique défense d’E. Leclerc, cette publicité ne contient rien dans son essence propre de caricatural ni de militant.
Pour conférer à un message publicitaire une dimension parodique ou caricaturale, il faut se doter d’une teneur fictionnelle (un message explicitement délivré et construit) ou d’une tonalité outrancière. Les publicités Qui est le moins cher ne se situent dans aucun des deux cas de figure.
Il n’y a aucune teneur fictionnelle dans ces publicités car le message ne se compose que de quelques clichés se déployant sur quelques secondes., sans jamais former une trame scénaristique élaborée. Ces passages sont répétés trois fois, non pas pour “exprimer les trois niveaux de gamme de produits concernés par le discours de l’enseigne”, ce qui aurait été possible sans répéter trois fois une séquence identique, mais pour marteler au consommateur la « vérité » selon laquelle Leclerc est moins cher. Reputation is repetition comme dit l’adage publicitaire. Théoriquement, plus le message est entendu et vu, plus il est mémorisé et intégré.
Leclerc utilise, c’est vrai, des clichés éculés qui se prêtent volontiers à la moquerie. Pour autant, Leclerc n’est pas parodique ou caricatural dans sa démarche. Il accumule des clichés publicitaires majoritairement axés sur le désir et le sexe (même constat pour la publicité sur la crème fraîche) sans jamais les tourner en dérision ni les distancier par la moquerie.
Leclerc ne « brocarde » pas « l’utilisation abusive et parfois ridicule de l’image des femmes dans la publicité ». La publicité réalise trois travellings arrière identiques en partant des seins d’une femme. A aucun moment le contenu narratif de la publicité ne raille explicitement ce procédé. Il s’éloigne même de tout commentaire à ce sujet, en répétant inlassablement le même constat : Leclerc est moins cher. Ainsi, objectivement, le spectateur ne perçoit qu’une scène emplie de symboles sexuels, répétée trois fois et calquée sur un discours conçu sur le principe de la persuasion mécaniste (« Leclerc est moins cher », un constat répété). Cette scène ne s’étale que sur quelques secondes et, placée dans le flot des annonces télévisées, ne permet pas au téléspectateur une prise de conscience aisée des symboles sexuels utilisés. Ceux-ci sont perçus, intégrés, sans pour autant être dénotés consciemment par le téléspectateur.
Si brocardage il y a, ce n’est jamais du fait de la publicité même, mais du spectateur qui, par sa connaissance des symboles sexuels et du langage publicitaire, est capable de mettre à distance le contenu de cette publicité en y décelant des clichés éculés et de multiples références au sexe.
Si brocardage il y a, c’est de la part d’un spectateur attentif et cultivé, qui ne va certainement pas attribuer la raillerie à l’esprit critique de l’annonceur Leclerc mais plutôt à son analyse personnelle de la publicité. Pour sa défense, Leclerc transforme donc la perception probable et très certainement minoritaire d’une frange de téléspectateurs alertes en sa volonté d’annonceur. Il confond bien volontairement l’émission et la réception du message.