Protection des sources
Selon notre ministre de la Justice, le projet de loi adopté en première lecture le jeudi 15 mai « est plus protecteur pour les journalistes [et] permet néanmoins une intervention encadrée de l’autorité judiciaire. C’est un projet de loi qui est équilibré ». Que dit ce texte ? Entre autres, ceci :
« Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement à ce secret qu’à titre exceptionnel et lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ». Pour qu’il y ait encadrement, il faudrait que ce texte spécifie ce que sont une exception, un impératif d’intérêt public et dans quelles circonstances un impératif peut être considéré comme prépondérant. On relève déjà ici trois sources d’incertitude sur la justification d’une atteinte au secret des sources.
On comprend relativement bien ce qu’est une exception, c’est ce qui déroge à la règle. Mais à partir de quelle fréquence de survenance une exception cesse-t-elle de l’être pour n’être plus que l’application d’une règle corollaire ? Tel que le texte est rédigé, il permet à l’autorité de décréter à sa guise quand une circonstance est exceptionnelle. Sur quelle base pourrait-on, et malheureusement seulement après coup, contester la classification d’une situation donnée comme exceptionnelle ? Soulignons au passage, comme l’Histoire nous l’a hélas appris, que justice et exception font rarement bon ménage. Ensuite, avec un souci de précision honorable mais qui rate son objectif, le texte précise qu’il faut non seulement que ce soit exceptionnel mais en plus qu’il y ait un impératif d’intérêt public. Qu’est ce qui est impératif, d’intérêt public et, de plus, prépondérant, et par rapport à quoi ? Ma remarque précédente sur l’impossibilité d’une contestation est toujours aussi fondée.
Poursuivant l’examen de ce texte, on relève ceci : « Au cours d’une procédure pénale, il ne peut y être porté atteinte que si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels (sic) elle porte, ainsi que les nécessités des investigations rendent cette atteinte strictement nécessaire ».
Admirons au passage cette sollicitude : les nécessités d’une enquête rendent l’atteinte nécessaire, et non seulement nécessaire, mais strictement nécessaire. N’en jetez plus ! Selon quels critères appréciera-t-on cette nécessité ? On peut bien accorder crédit à nos gouvernants actuels pour en user avec sagesse. Mais pourquoi donner un tel outil légal de restriction des libertés à un régime qui en serait moins soucieux ? Cet alinéa suscite à son tour un flot de questions : quelles sont les natures de crimes concernées ? C’est comme si l’on disait « il n’est permis de porter un vêtement que si sa couleur le justifie ». On a alors tout loisir d’interdire au choix un vêtement bleu, rouge, ou de toute autre couleur. Ensuite, quelle est donc l’échelle de gravité des crimes et délits et quel est le degré à partir duquel on peut porter atteinte au secret ? Question subsidiaire : quand une infraction cesse-t-elle d’être grave pour devenir particulièrement grave ?
La nouvelle version de cet alinéa stipule aussi : « Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ». On ne peut qu’applaudir à cette précision, qui tranche avec des pratiques encore récentes de pressions exercées sur des journalistes. Mais cette atteinte éventuelle empêche les journalistes d’assurer à leurs sources le secret, ce qui inévitablement tarira ces mêmes sources. En effet, un journaliste étant tenu d’apporter la preuve de ce qu’il avance, il lui faut conserver les éléments permettant de le faire, éléments qui sont à la merci de perquisitions auxquelles il ne saurait s’opposer.
Résumons ce texte en une métaphore : il est interdit de boire, sauf lorsqu’on a très soif.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON