Qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ? (suite)
Dans un précédent article je m’étais intéressé - avec espièglerie - à plusieurs programmes de « télé-réalité » diffusés durant les vacances de l’été 2007 : « Secret Story », « L’Île de la tentation », « Koh-Lanta »... je pensais avoir touché le fond... je me trompais.
A l’époque, oh ! pauvre innocent que j’étais encore, je ne recevais que les six chaînes hertziennes... mais depuis quelques mois, grâce à mon fournisseur d’accès à internet, j’ai accès à un bouquet de nouvelles chaînes de télévision, issues du câble et de la TNT... et j’ai pu découvrir tout un univers de programmes encore plus visqueux, débiles et avilissants, que je ne pouvais sincèrement pas m’imaginer. La première réaction (le mépris), face à ces nouveaux shows de télé-réalité trash, serait de retourner la télé contre le mur, comme le portrait de la belle-mère, et de se plonger dans un bon bouquin. La seconde réaction (la colère) serait d’écrire aux dirigeants des chaînes que ce n’est pas du boulot, quand même, de la part de gens aussi instruits qu’eux. La troisième réaction (la mienne) a été de prendre quelques notes sur ces nouveaux programmes, afin de tenter de comprendre ce qu’ils peuvent nous apprendre sur notre société contemporaine. Nous allons donc passer en revue plusieurs de ces shows TV.
La plupart de ces programmes sont diffusés par des chaînes de la TNT (télévision numérique terrestre). Si toutes ces chaînes de télévision sont soutenues par de grands groupes industriels, elles reposent souvent sur une économie sans commune comparaison avec les chaînes hertziennes (TF1, France 2, M6, etc.). La manne publicitaire est beaucoup plus faible pour ces petites chaînes, qui recueillent souvent une audience modeste (mais en développement constant, cependant.). Ce qui conduit les patrons de ces chaînes à mettre à l’antenne des émissions à faible coût de production, qui seront susceptibles de capter une large audience. Les programmes de télé-réalité et tous les programmes de dating (de rencontres) répondent idéalement à cette équation : ils occasionnent peu de frais de production (participants peu ou pas rémunérés, décors minimaux, réalisation reposant sur un modèle très structuré et répétitif, etc.), et de par leur thématique (centré, nous allons le voir, sur la sexualité) ont l’objectif de ratisser très large en termes d’audience - avec les adolescents, ces éternels consommateurs de télévision, en ligne de mire.
« Next » / « Next made in France » (Virgin 17, groupe Lagardère). Il s’agit d’un ahurissant programme de 25 minutes, issu de la station de télévision américaine MTV. Virgin 17 diffuse à la fois des épisodes américains (doublés en français), et des épisodes « made in France » produit par la société Coyotte de Christophe Dechavanne. La version française reprend strictement les mêmes codes que la version américaine. Le plus simple est de se délecter de l’introduction, scandée par une voix-off féminine volontaire : « Les rencards pourris qui s’éternisent ? C’est fini ! Tu as cinq rendez-vous ! Si le premier est nul, tu peux lui dire "suivant" ! Arrête le cauchemar et recommence avec quelqu’un d’autre ! Ne t’inquiète pas pour ceux que tu élimines ! Ils toucheront de l’argent pour chaque minute passée avec toi ! » Ouch. Il s’agit donc d’un programme mêlant télé-réalité (on filme de « vrais gens ») et speed-dating (rencontres-éclairs). Le principe est simple : une brochette de candidats doivent séduire une charmante créature se distinguant la plupart du temps par ses impressionnants atouts les plus subtiles (poitrine ou pectoraux). Les candidats, du genre « as de la déconne », joyeux drilles, extravertis professionnels, attendent leur tour dans un gigantesque auto-car frappé du logo « Next », et sortent les uns après les autres pour aller à la rencontre de la jeune fille ou du jeune garçon à séduire. Ce dernier, entraîne alors ses prétendantes dans des « activités » censées révéler leur attirance. Evidemment on pourrait dire : c’est un programme amusant, destiné à un public d’adolescents décérébrés, c’est un programme pour le fun, pour le second degrés. Certes, ces arguments sont parfaitement recevables. Et le visionnage d’épisodes de « Next » ne donne pas la nausée. Mais il faut regarder ce qui se dégage de cette émission de télé. D’abord la jeunesse est systématiquement réduite à un « certain type » de jeunes : souvent très sportifs, déconneurs, extravertis (s’inscrire à un programme de ce genre n’est pas un mince signe...), parfois vulgaires (dans leur langage, leurs attitudes, leur relation au sexe opposé, etc.). Ne prenons qu’un exemple de descriptif : « Je m’appelle Anthony, j’ai 22 ans, je suis sauveteur en mer. Si t’as envie de passer un moment chaud avec moi, y a pas de soucis je te passe de la crème partout sur ton petit corps ; par contre si t’es gamine et t’es frigide je te nexte (sic) de suite ! ». Ensuite cette émission est une glorification de la rencontre amoureuse « kleenex » : si ta copine ne fait plus l’affaire, jette-la ! Si ton copain ne te plaît plus : séduit son petit frère ou son meilleur ami ! On savait déjà que la société de consommation avait exacerbé le libéralisme jusque dans les relations amoureuses (Michel Houellebecq a bien souligné cela, notamment dans L’Extension du domaine de la lutte), mais cette émission fait une apologie (fun, je sais...) de la rencontre sans lendemain. Enfin, ce programme s’amuse à réduire la vie des jeunes à une longue succession d’« activités » festives. On sent poindre l’obsession du plaisir et de l’amusement, la vénération du ludique... les jeunes candidats passent leur temps à faire des activités sportives ou passablement crétines, façon « centres aérés ». Ca se mange de la crème chantilly sur le corps du partenaire, ça barbotte dans une piscine de boules (comme au Mc Do !), ça s’exerce à différents sports amusants, ça flirte avec le jonglage et les arts de la rue. Dans l’univers de la TNT, où la zappette est reine (je serai incapable de dire combien de chaînes de TV sont à ma disposition actuellement), un programme qui traite les humains par le zapping était tristement prévisible...
« Dismissed » (MTV / MTV France). Dismissed est l’émission de « rencontres » qui a précédé « Next » sur l’antenne de MTV. Les épisodes, tournés de 2001 à 2005, sont cependant toujours rediffusés par la célèbre chaîne musicale. Dans chaque épisode, un garçon ou une fille a rendez-vous avec deux prétendants, qui s’opposent pour réussir à le/la séduire. Pour cela, ils proposent chacun une activité pour partager un moment et faire connaissance. Proche de « Next » dans sa facture et son (mauvais) esprit, ce programme américain paraît outrageusement caricatural et « Côte Ouest ». Ce que MTV a cherché à faire, à travers cette émission, c’est l’apologie du modèle californien cool, branché, sportif, etc. La plupart des épisodes font la part belle au surf (mais si, ce sport qui a accouché des Beach boys et n’a plus jamais fait parler de lui...) et à l’éclatant soleil de Los Angeles, qui fait les filles bronzées et les garçons torses nus. On notera, au passage, que l’émission « Next made in France » a transposé comme elle a pu ce cachet californien, en faisant émerger des candidats aux accents du sud de la France... Dans le même esprit que « Dismissed », il faut évoquer rapidement « Total in love » diffusé par la chaîne NRJ 12, qui fonctionne sur le même principe et les mêmes codes : plein soleil, couleurs pastelles, décors méridionaux (cette Californie de la Méditerranée), lutte darwinienne pour l’être aimé, etc.
« 12 cœurs » (NRJ 12). Il s’agit d’un jeu, tourné en plateau et en public, où douze célibataires (six garçons et six filles), cherchent à trouver l’âme sœur sur la base de leur signe astrologique, à travers une série d’« activités » ludiques. (Ah l’ « activité »... ce nouveau concept de l’occupation codifiée... quand on est en « activité » on ne va pas voter ou penser, hein...). Adapté d’une émission américaine, ce programme tout en lumières agressives, en musiques tonitruantes et en couleurs flashy fait la part belle aux « jeunes » les plus abêtis de l’Hexagone. C’est une succession continue de strip-tease (et que c’est laid un strip-tease dans ce contexte...), de danses érotiques, de baisers concédés à des inconnus pour le succès du show et des armes de NRJ 12. La « love-machine » va-t-elle obliger les candidats à l’activité « Vérité », « Défilé de mode », « Massage » ou « Love Dance » ? Suspense. Et qu’en pense « Miss Astrolove », la créature blonde furieusement « Pythie » ? Piteuse. Alors « kiff ou pas kiff ? » comme dit la bande annonce ? Pas kiff. Mais c’est fun, je sais.
« Catch me si tu peux » (Virgin 17, groupe Lagardère). Il s’agit à nouveau d’un programme de « rencontres », proche de la télé-réalité dans son dispositif et son univers. Cinq jeunes femmes célibataires, outrageusement stéréotypées (la gogo danseuse blonde très branchée « sexe », la fille sérieuse à lunettes qui veut devenir DRH, la petite poupée rock qui fait un stage dans une maison de disque - de loin ma préférée, etc.) tentent de trouver l’âme sœur à travers l’émission. Et nous suivons, d’épisode en épisode, les rencontres de ces jeunes femmes avec des prétendants très divers. Inspiré du succès de sites de rencontres tels que Meetic.fr (l’habillage de l’émission fait des références incessantes à internet, et les prétendants envoient leurs messages d’amour par mail...), ce programme repose aussi sur cette idée si tristement moderne que l’amour est un bien de consommation... (Reconnaissons, tout de même, que ce programme se détache des autres, tant sur le plan de la qualité de la réalisation - il s’agit de petits reportages très bien faits sur chacune des jeunes femmes, que sur le plan « moral » : elles cherchent l’âme sœur, ces nanas... à ce qu’il paraît).
Arrêtons là. La liste serait encore longue, notamment sur MTV... épuisant pourvoyeur de programmes de télé-réalité (« Parental control », « Kiff ma mère », etc.). Mais notons que ses programmes sont toujours très politiquement corrects (il y a toujours une place, dans toutes ces productions, pour le bon « minoritaire », le gentil « black », le « latino » sympa, le joyeux « gay », etc. et toujours dans la plus subtile des représentations... le black avec le rythme dans la peau, le gay efféminé et la lesbienne outrageusement « camionneuse »). Ces programmes sont donc parfaitement formatés pour la modernité.
Passés sur la « TNT », ils sont toujours aussi froids et enlacés, ces « reptiles » de la néo-télévision. Mais où sont les vrais gens ? Maman, dois-je mettre mon poste de télévision au clou ou le jeter par la fenêtre ?
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