Réseaux sociaux et peoplisation : le mythe de la « vie de star »
Pour devenir une icône populaire avant la massification du web, il fallait donner l’impression, sciemment ou non, de mener une existence tout à fait extraordinaire. Dans ce contexte, les apparitions publiques sont savamment mises en scène et le public s’imagine que les vies trépidantes et torrides des stars ne connaissent aucun relâchement. La radio, les magazines et la télévision apparaissent alors comme des espaces privés, inaccessibles au commun des mortels et réservés à la « classe de loisir ». Aujourd’hui, une « star » se doit d’apparaître sur des réseaux sociaux qui mettent à mal cette possibilité de contrôle de l’image : impossible en effet de prétendre à chaque mise à jour du compte twitter que l’on dîne au champagne en Patagonie avec Slavoj Žižek, Lou Reed et Madonna.
Les premiers médias "électriques", radio et télévision, possèdent un pouvoir énorme sur l’accès au statut de "star" par leur maîtrise totale de l’agenda et l’art du "casting". À quelques exceptions près, l’artiste (au sens large) doit répondre à certains critères standardisés pour "passer à la télé". Au choix, il doit être drôle, bizarre mais pas trop, sexy ou sulfureux. Dans tous les cas, il doit sembler mener une vie absolument libre et exceptionnelle : il ne fait pas ses courses, ne dort jamais, ne prend pas le métro, multiplie les partenaires sexuels, roule vite, ne tombe jamais malade, a des amis à New York, Los Angeles, Berlin et Tokyo. Son inspiration ne se tarit jamais, il peut écrire ou composer ivre mort avec une chemise qui ne se froisse pas et qui reste toujours blanche.
Le maintien d’une telle image, profondément déformée, est rendue possible par l’apparition saccadée dans les médias. Des tranches de vie premium sont prélevées par la machine médiatique et placées sous les projecteurs : la télévision, même "live", relève de l’art du montage. Elle coupe les réveils difficiles, les moments de doute, les angoisses, les pannes d’inspiration comme les pannes sexuelles. Elle possède le pouvoir de dilater la durée des moments de joies et d’effacer les peines. De fait, elle crée un artefact extrêmement puissant et présenté comme réel au public : la vie de star. Comme dans un observatoire peu scrupuleux d’éthique scientifique, on se débarrasse des données ne satisfaisant pas la théorie de la vie de star.
LES RÉSEAUX SOCIAUX SONT DES OBSERVATOIRES DE STARS PLUS SCIENTIFIQUES QUE LES VIEUX MÉDIAS.
Parallèlement, les réseaux permettent à chacun de se starifier. Les tickets d’entrée sur YouTube, Facebook ou Twitter sont gratuits. Chacun peut diriger sa chaîne, avec plus ou moins de bonheur. À ce titre, le web présente une caractéristique tout à fait originale pour un média : il est un espace équitable de cooptation. Je suis l’ami de Demi Moore au même titre qu’elle est mon amie ; les photos de mon dernier barbecue publiées sur Facebook n’ont rien à envier à sa dernière soirée bowling. Ouf ! Les médias me mentaient donc bien !
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