Rêver en couleurs avec « Question d’éducation » ?
Le premier numéro du journal de l’Éducation nationale, « Question d’éducation », de septembre-octobre 2006, a-t-on écrit ici-même sur AgoraVox, avait donné dans l’édifiant, façon « réalisme socialiste », avec jolie professeure, sereine et inspirée, à son tableau devant une classe qu’on devinait pendue à ses lèvres - le rêve ! - et scène de gamins se taquinant gentiment pour illustrer la violence scolaire : bel euphémisme !

Voici que le numéro 2 de novembre-décembre 2006 a choisi en couverture d’illustrer la « formation profondément rénovée » des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) par une photo pour le moins inattendue : un jeune homme noir en buste, lunettes à monture d’écaille, sourire rayonnant, envahit tout le champ de la photo, tandis qu’apparaît floue à l’arrière-plan, derrière son épaule, une jeune femme blanche qui sourit un peu jaune. À oser s’interroger sur le message que ce journal ministériel veut délivrer, on sait qu’on prend le risque de déclencher un tir de barrage de vigiles mal éveillés enclins à voir du « racisme » partout. Qui sait d’ailleurs si le journal ministériel ne compte pas sur leur manque de discernement pour dissuader d’avance toute interrogation sur son opération ? En quoi cette photo choisie vous gêne-t-elle, objecteront-ils ? Si elle représentait un blanc, poseriez-vous la même question ?
Un paradoxe
Assurément et rigoureusement la même ! Car pour capter l’attention, ce journal use du leurre de l’insolite et même du paradoxe : est-ce que la photo en gros plan d’un individu, quel qu’il soit, est de nature à illustrer la réforme d’une institution ? Quel surplus d’informations la photo d’un jeune homme ou d’une jeune femme peut-elle donner sur cette prétendue rénovation des IUFM ? Pourtant, si le journal a choisi tel type de jeune homme plutôt que tel autre, n’entend-il pas livrer ainsi des informations supplémentaires ? Le paradoxe a donc une solution.
Une métonymie et un symbole
Cette solution réside-t-elle dans la métonymie qu’on trouve dans cette image, puisque toute image est une métonymie présentant la partie pour le tout et/ou l’effet pour la cause : ce jeune homme est-il donc l’effet provoqué par la cause que serait la rénovation des IUFM ? Faut-il, en outre, voir en lui le symbole de la minorité noire française et donc en déduire que cette minorité est la grande bénéficiaire de la réforme des IUFM ? Le personnage donne, en tout cas, l’impression d’en être convaincu par son sourire éclatant et par son regard planté dans celui du lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme qui feint de créer une relation interpersonnelle pour rendre le message plus persuasif. Un contraste violent tend à confirmer cette lecture : le deuxième personnage, une jeune femme blanche, est rejeté délibérément, flou, en arrière-plan, tandis que le jeune homme noir rayonne au premier plan. Et les deux personnages ne s’opposent pas seulement par la qualité de leur sourire mais aussi par leur apparence physique : la prestance dynamique du jeune homme tranche avec la grâce un peu éteinte de la jeune femme.
Une contradiction entre photo et texte
Or, cette lecture n’est nullement confirmée par les deux pages intérieures consacrées à la réforme des IUFM. On y apprend qu’elle comporte quatre volets principaux : le rattachement des IUFM aux universités, des stages obligatoires en entreprise, une formation bivalente pour enseigner deux disciplines, et un suivi pédagogique des nouveaux professeurs. Qu’est-ce que ces projets ont à voir avec la signification possible de la photo de première page ? Rien ! La photo choisie paraît hors-sujet.
Un leurre de diversion sous forme de métaphore ?
Puisqu’on ne saurait soupçonner le journal d’ avoir commis pareille bévue, on en déduit donc qu’il assigne à cette photo une autre fonction
. - S’agirait-il, dès lors, d’un leurre de diversion ? Le journal n’aurait-il pas usé d’une simple métaphore pour faire croire à une rénovation profonde des IUFM, dont la radicalité serait identique à l’opposition entre l’image de ce jeune homme noir à lunettes d’intellectuel et l’image stéréotypée que l’on a, par intericonicité, d’une minorité noire identifiée à tort à des jeunes de banlieue à capuche ou aux joueurs majoritaires de l’équipe de France de football
? - Mieux, le journal n’aurait-il guère emprunté, aux personnages qu’il exhibe, que leur couleur de peau ? Les idées de « visibilité des minorités » et de « discrimination positive » étant à la mode, le journal s’en serait servi aussi pour signifier que « la formation profondément rénovée des IUFM » opposerait à l’avenir les IUFM d’hier à ceux de demain... comme le blanc au noir ! Histoire de faire croire que les fameux IUFM tant décriés reprennent des couleurs !
- Mais, intericonicité aidant, on est amené à se demander si ces couleurs ne s’apparenteraient pas un peu à celles des universités américaines, non seulement dans leur diversité ethnique - ce qui est éminemment souhaitable - mais surtout dans leur fonctionnement particulier - ce qui l’est peut-être beaucoup moins.
On ne voit pas, en tout cas, ce que l’enseignement a à gagner avec des professeurs « bi-praticiens », quand la maîtrise d’une seule discipline requiert déjà tant de temps et d’efforts pour un enseignement décent : on voit plutôt ce que l’enseignement va y perdre. Dès lors, "chassez le naturel, il revient au galop ! " Trahi par son inconscient, le journal ministériel aurait-il donc commis un « lapsus imaginis », au point d’illustrer sans le vouloir le projet de rénovation des IUFM en renvoyant le lecteur à la charge symbolique traditionnelle du blanc et du noir dans la culture occidentale, après l’avoir fait rêver en couleurs ? Frantz Fanon, psychiatre antillais, avait excellemment analysé, en 1952, le mal-être de ses compatriotes dans un essai intitulé Peau noire et masque blanc. Viendrait-il maintenant à l’idée du journal ministériel d’inverser les ingrédients de ce mal-être et de promouvoir la norme d’une « peau blanche à masque noir » ?
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