TF1 : le pire et le meilleur
TF1 n’a pas fini de nous fasciner. En se faisant remarquer de façon spectaculaire deux fois dans l’actualité de ces derniers jours, la chaîne a suscité autour d’elle à la fois consternation et admiration.
Avec
la révélation de l’émission bidon à la gloire du Président turkmène en
1996, commandée par Bouygues, d’abord. Avec l’annonce de la nomination
d’Harry Roselmack comme « suppléant » de PPDA, premier présentateur
noir du 20 h, ensuite. Et si les deux étaient liées ?
L’affaire Niazov : jusqu’où peut-on plier l’échine ?
Pour ceux qui n’ont pas suivi l’affaire « Saparmourad Niazov », voir par exemple ici : en 1996, Bouygues demande à sa filiale TF1 d’enregistrer une émission à la gloire du Président autoproclamé à vie, de passage à Paris. L’affaire est révélée le 1er mars à l’occasion de la sortie du livre de David Garcia, Le pays où Bouygues est roi : 40 minutes d’une émission « tapis rouge » présentée par Jean-Claude Narcy, sur la vie et l’oeuvre de Niazov, sont enregistrées.
L’émission n’est bien entendu jamais diffusée en France, mais TF1 signe de juteux contrats : plus d’un milliard d’euros de chantiers au Turkménistan, selon David Garcia. En revanche, elle est bel et bien diffusée en boucle à la télévision turkmène. On peut voir des extraits de l’émission ici.
Consternation, donc. Mais qu’est-ce qui choque, dans cette affaire ? Contrairement à ce que j’avais cru comprendre au départ, il ne semble pas que Niazov ait été victime d’une supercherie en croyant passer à la télévision française : TF1 a agi comme une maison de production pour le compte d’un client.
La chaîne n’opte d’ailleurs pas pour un simple « no comment » sur le sujet et reconnaît les faits. Mais comme le fait justement remarquer Télérama, le problème est alors l’utilisation du logo TF1, voire des journalistes de la chaîne...
Et si c’était juste une conception innovante de la relation client ? Pourquoi pas. Mais ce qui choque, évidemment, c’est la complaisance à l’égard d’un régime dictatorial et corrompu. Télérama écrit « (...) au pays de Bouygues, l’argent n’a pas d’odeur, même si TF1, entreprise cotée en bourse, se targue de figurer dans divers fonds d’investissement éthiques (...) ». (Au passage, méfiez-vous des fonds éthiques, et allez lire ceci sur la question.)
Mais que dire dans ce cas des relations économiques entre les entreprises occidentales et la Chine ? Alors que c’était un sujet d’inquiétude il y a encore quelques années, il semble que ce soit simplement devenu un non-sujet...
Etre choqué par la complaisance de TF1 et de Bouygues à l’égard du Turkménistan, cela devrait pourtant aussi signifier être choqué par toutes les relations commerciales de toutes les entreprises avec toutes les dictatures.
C’est bien entendu un débat qui dépasse le seul cadre de l’affaire Niazov, mais qu’il serait bon d’avoir. La dictature est-elle vouée à se dissoudre dans le développement économique, ou le développement économique cautionne-t-il la dictature ? Ce débat est-il dépassé ? Les réactions à l’affaire turkmène semblent montrer que non.
Roselmack : un arbre qui ne doit pas cacher la forêt (mais un arbre avant tout)
Moins d’une semaine plus tard, le 7 mars, les éditorialistes n’ont qu’un nom au bout de la plume : Harry. Le bel Harry Roselmack, transfuge de Canal +, est privé de vacances : il vient d’être nommé
par TF1 pour prendre le relais de PPDA au 20 h pendant l’été. Le premier présentateur noir du 20 h. Dans une société traumatisée par ses banlieues, cette décision paraît exemplaire, sûrement, salutaire, peut-être.
Un lien entre l’affaire turkmène et la nomination Roselmack ? Impossible à affirmer, évidemment. Impossible de savoir si Harry Roselmack a été choisi uniquement pour son talent, ou pour son talent et sa couleur, ou pour son talent, sa couleur et la restauration de l’image de TF1. Car les trois sont forcément liés, consciemment ou pas, dans l’esprit des éditorialistes comme dans ceux des décideurs de TF1.
Ce dont on peut d’abord être sûr, c’est qu’il ne peut pas s’agir que d’une opération d’image. TF1 ne prendrait pas un tel risque juste pour se donner bonne conscience. Il ne peut en aucun cas s’agir d’une simple question de « quotas de noirs ».
Ce qu’on peut aussi constater, c’est que cette nomination n’a été (pratiquement) perçue que comme celle d’un homme de couleur noire. Roselmack aurait peut-être préféré être reconnu pour ses qualités que pour sa couleur, mais dans l’état actuel de la société française, cette annonce ne peut pas avoir d’autre résonance.
Ce qu’il ne faut enfin pas oublier, c’est aussi la masse d’infâme bouillie télévisuelle que TF1 produit à longueur d’année, et dont l’objectif avoué est d’annihiler les cerveaux.
Faut-il pourtant cracher dans la soupe ? Je ne le crois pas. Ce n’est pas parce que TF1 n’est pas une chaîne exemplaire qu’elle ne peut pas prendre une décision exemplaire (ou au moins « intéressante »). A nous de continuer à voir la forêt derrière l’arbre. Si le service public avait montré la voie avec Rachid Arhab au début des années 1990, la décision de TF1 n’en est pas pour autant facile en ces temps de lepénisation galopante des esprits.
C’est une décision que je crois très maligne. Car elle n’est pas, sur le fond, critiquable. Quiconque s’opposerait à elle ferait aveu de racisme.
On en a récemment parlé
sur ce blog : ras-le-bol des communautarismes en tous genres. La nomination d’Harry Roselmack suscite-t-elle des relents de communautarisme ? Les commentaires liés à cette annonce, en le prenant comme un homme noir plus que comme un homme de talent, relèvent du communautarisme. Mais sa présence installée à l’écran devrait justement atténuer la sensation de communautarisme.
Quand on connaît l’exposition du présentateur de 20 h et l’attachement viscéral que lui portent les Français, on se dit que Roselmack a une lourde responsabilité sur les épaules. Roselmack, l’ami auquel tout le monde veut du bien. Plus que tout Sarkozy, Royal, PPDA ou Noah, l’homme providentiel, celui de la réconciliation, c’est peut-être lui.
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON