Trump veut « jeter Nicolas Sarkozy en prison » : décryptage d’une manipulation
Une déclaration tonitruante a rencontré un grand succès sur les réseaux sociaux depuis le début de la semaine. Pourtant, c'est une pure intox. Nous allons ici la décrypter et rappeler quelques règles simples pour ne jamais tomber dans ce genre de piège. Nous allons aussi faire connaissance avec un site assez particulier, à l'origine de la désinformation : AWD News. Un site si déroutant que même un journaliste qui s'était donné pour tâche de le comprendre s'y est cassé les dents. Plongée dans un univers où les propagandistes ne se reposent jamais.
Lundi 14 mars 2016, le site AWD News publie la première occurrence de la désinformation ; il s'agit d'un article intitulé « Donald Trump : il faut jeter Nicolas Sarkozy en prison pour avoir contribué à "l’expansion du terrorisme" ». L'article, comme l'a remarqué Buzz Feed ce mardi, a été supprimé, mais on le retrouve dans le cache de Google. En revanche, ce que Buzz Feed n'a pas vu, c'est que ledit article a réapparu le jour même sur AWD News, et se trouve donc toujours en ligne.
Voici ce que nous dit cet article :
« Donald Trump est un personnage étonnant. Le milliardaire, qui distille les déclarations provocantes, souvent taxées de racisme et de misogynie, a eu un mot négatif pour François Hollande.Interviewé cette semaine par un journaliste de Chicago Tribune lors d'une séance de dédicaces dans la Trump Tower à New York,Donald Trump fustige Nicolas Sarkozy.
A la question : "Que pensez-vous de Nicolas Sarkozy, Le millionnaire réplique:Je vais être très clair : je n’apprécie guère l’ancien président de la République.Je n’éprouve pas de compassion pour cet homme qui se pose aujourd’hui en victime.Si la France a aujourd’hui un problème avec sa classe politique elle a résolument un problème avec la place qu’occupe la prison dans son arsenal punitif.il doit être condamné pour aider les terroristes à s'installer en Lybie et pour avoir déstabilisé le monde. »
Fact checking : les règles d'or
La défiance face à ce genre d'article devrait être immédiate. Pourquoi ? D'abord, pour une simple question de forme : la mise en page est en effet défectueuse ; il n'y pas d'espace après les points et les virgules, on note l'oubli d'une majuscule (« .il doit »), et une faute d'orthographe dans le mot « Lybie », qui s'écrit correctement ainsi : Libye. Cela ne fait pas très professionnel, ou simplement soigné même pour un amateur. Nous sommes, en outre, sur un site à peu près inconnu, et l'article n'est attribué à aucun auteur.
Ensuite, et surtout, l'article ne comporte aucun lien, qui pourrait renvoyer à la source de la déclaration supposée de Trump, en l'occurrence l'article du Chicago Tribune. Un article sensationnel, sans aucun lien, qui permettrait pourtant au lecteur de vérifier par lui-même très rapidement la fiabilité de l'information, c'est très mauvais signe.
Comme l'article nous donne deux indications précises, la source (le Chicago Tribune) et la date approximative de sa publication (« cette semaine »), il est normalement très facile d'y remonter par soi-même. Il suffit d'une recherche sur Google ; par exemple avec les mots clés suivants : « Trump Sarkozy jail Chicago Tribune Libya » (en traduisant de préférence certains mots dans la langue originale, ici en anglais). On peut, en outre, limiter sa recherche aux résultats de moins d'une semaine, ou, pour être sûr de ne rien manquer, de moins d'un mois. Si notre recherche ne donne rien, c'est vraiment très mauvais signe. On est même à peu près certain d'avoir affaire à une intox.
Remarquez que l'opération de vérification décrite ici ne prend guère plus d'une minute (ou à peine plus si on prend vraiment son temps).
Il peut aussi facilement sauter aux yeux que, dans la déclaration attribuée à Trump, deux sujets se juxtaposent, qui n'ont pourtant aucun rapport : d'une part, la place occupée par la prison dans l'arsenal punitif français, et, d'autre part, l'aide de Sarkozy aux terroristes en Libye. On passe du coq à l'âne, d'une phrase à l'autre.
L'aspect très sensationnel et étonnant de la déclaration attribuée à Trump doit nous mettre en garde. Bien sûr, rien n'est impossible, mais ce genre de propos doit provoquer un réflexe en nous, celui de vérifier.
Pour essayer d'aller plus loin, on peut ensuite s'amuser à rechercher dans Google une phrase de l'article, par exemple : « Je n’éprouve pas de compassion pour cet homme qui se pose aujourd’hui en victime ». Et là, quelle surprise lorsque vous découvrez la même phrase dans un article de Rue89, datant du 5 juillet 2014, et intitulé : « Ne jetez pas Nicolas Sarkozy en prison ! ». L'article est signé Samuel Gautier, ancien chargé d'enquêtes à l'Observatoire international des prisons (OIP).
En lisant cet article, on découvre d'autres passages communs avec l'article de AWD News :
« Je vais être très clair : je n’apprécie guère l’ancien président de la République. [...] Je n’éprouve pas de compassion pour cet homme qui se pose aujourd’hui en victime [...]. Si la France a aujourd’hui un problème avec sa classe politique [...], elle a résolument [...] un problème avec la place qu’occupe la prison dans son arsenal punitif. »
On retrouve là, au mot près, la supposée déclaration de Donald Trump. AWD News a donc fait un simple copié-collé, en supprimant, au milieu de ces phrases, quelques passages trop contextualisés, qui ne pouvaient pas être exploités dans l'intox. Seul ce passage a été ajouté, dans un français approximatif d'ailleurs : « il doit être condamné pour aider les terroristes à s'installer en Lybie et pour avoir déstabilisé le monde ». En effet, il eut été plus juste d'écrire : « il doit être condamné pour avoir aidé... ».
Bref, nous sommes là en présence d'un cas d'intox particulièrement grossier et qu'un œil un minimum exercé doit repérer presque instantanément.
Tombés sous le charme de la propagande
Pourtant, combien de sites et d'internautes sont tombés dans le panneau ! Selon Buzz Feed, la phrase attribuée à Donald Trump aurait été partagée plus de 5000 fois sur Facebook. Nous n'avons pas pu vérifier ce nombre, mais, comme l'exemple ci-dessous le montre, la fausse information a de toute façon été beaucoup partagée. Sara Kiani, nous y reviendrons plus loin, est l'une des ambassadrices de charme d'AWD News sur les réseaux sociaux.
Sur Facebook, un relais d'information pourtant généralement pertinent comme Jean Bricmont a ici relayé l'intox. Il a un peu vite partagé la publication d'un autre utilisateur, qui, dans un second temps, alerté par un commentateur, a rectifié son post en signalant qu'il s'agissait d'un « fake ».
Sur Twitter, l'intox apparaît pour la toute première fois, le 14 mars, dans un tweet d'une certaine Maria Luis, qui œuvre clairement pour le compte d'AWD News. La jeune femme se présente comme « journaliste indépendante/un vrai journaliste est un chômeur ». On reconnaît là la pensée d'Alain Soral, selon laquelle « un journaliste français c'est soit une pute, soit un chômeur » ; ce clin d'œil est vraisemblablement fait pour séduire le public de Soral (le propagandiste cherche en effet à créer une complicité avec sa cible). Durant cette journée du 14 mars, le même tweet sera envoyé à différents destinataires, choisis selon leurs profils (contestataires, anti-système), à 74 reprises ! Vérifiez, j'ai compté !
Un matraquage qui porte forcément un peu ses fruits. Parmi les relais de la fausse information, on remarque de nombreux sympathisants du Front national (comme ici), qui cumulent un fort rejet de Nicolas Sarkozy et un goût de plus en plus marqué pour Trump, depuis que Jean-Marie Le Pen a déclaré, le 27 février, que, s'il était Américain, il voterait pour lui. Mais on note tout aussi bien le manque de vigilance d'une journaliste de la radio Africa n°1. Ailleurs, sur la Toile, l'intox est notamment diffusée par Press TV, un média iranien, News360X, Les moutons enragés, ou encore des médias africains : Abidjan TV, Africa Voice, Free Congo, Afropages... ce dernier site semblant avoir un partenariat avec AWD News.
On comprend aisément pourquoi tant d'internautes se sont laissés avoir : ils avaient tellement envie de croire à cette information, c'était si beau, qu'un homme puissant comme Trump, peut-être le futur président des États-Unis, dise ses quatre vérités à Sarkozy et se fasse le porte-voix de millions d'individus qui pensent, sans pouvoir le dire face à un large public, que l'ancien président de la République mériterait la prison pour avoir déstabilisé la Libye et engendré le chaos que l'on connaît aujourd'hui. Mais, en l'occurrence, c'était trop beau pour être vrai. C'est le piège du web et des réseaux sociaux, de nous permettre de relayer à toute vitesse les informations qui nous plaisent... mais qui ne sont pas toujours vraies.
Pourquoi les désinformateurs ont-ils lancé cette intox à ce moment-là ? Peut-être parce que plusieurs articles venaient de paraître, peu de temps auparavant, qui rapprochaient les deux protagonistes. Dans ces articles, on apprenait que Nicolas Sarkozy cherchait à s’inspirer de Donald Trump. Ainsi, Le Monde du 5 mars titrait sur Trump, le « nouveau modèle » de Sarkozy. Quant au Plus du 6 mars, il titrait : « Sarkozy se rêve en candidat anti-système, comme Trump. Pas crédible une seconde ». Les lanceurs d'intox escomptaient peut-être que, l'intérêt des lecteurs étant déjà éveillé par cette actualité, ils allaient, en tapant les noms « Trump Sarkozy » dans leurs moteurs de recherche, tomber avec une plus forte probabilité sur leur article malveillant.
Qui se cache derrière AWD News ?
On ignore tout de l'identité de ceux qui ont monté cette intoxication médiatique. Le site AWD News ressemble en effet à une énigme. On ne sait pas qui l'anime. Vous y trouvez bien cette mention en bas de page : « About AWDNEWS », mais elle n'est pas cliquable. Aucune information n'est donnée sur la nature de ce média, ses fondateurs, ses journalistes, si tant est qu'il y en ait. En effet, la plupart des articles semblent être de simples reprises d'autres sites, du pur plagiat, comme ce copié-collé d'un entretien de Julian Assange avec Ignacio Ramonet (dont la source n'est même pas mentionnée).
Il serait fastidieux de passer chaque article en revue, mais aucun ne paraît être original. On vous propose même un article intitulé « La Turquie menace la France de sa colère », daté du 17 février 2016, qui s'avère être la reprise pure et simple d'un article du Monde intitulé « Coup de froid entre la France et la Turquie » (seul le titre change) et daté... du 12 décembre 2011 ! Ou encore, AWD News publie le 23 janvier 2016 un article intitulé : « Israël menace de bombarder les cargaisons d'armes russes vers la Syrie » ; c'est, au mot près, le même texte qui a été publié sur un autre site... le 30 mai 2013. Et, plus récemment encore, le 9 mars, on nous apportait la preuve que Sarkozy avait touché de l'argent de Khadafi pour sa campagne de 2007... en nous ressortant, mine de rien, un article paru le 13 novembre 2015 dans L'Obs. On pourrait multiplier les exemples. Pour s'en rendre compte, il suffit de prendre n'importe quelle phrase d'un article d'AWD News et de le rentrer dans votre moteur de recherche. Les plagiats apparaissent alors au grand jour.
Tel semble donc être le fonctionnement général de ce site, qui a tous les traits d'un agrégateur d'informations, même s'il le cache à ses lecteurs : dupliquer des articles, ou des débuts d'articles, parus ailleurs, sur une myriades de sites plus ou moins fiables, sans aucun lien, aucune source, et en ne tenant aucunement compte de leur date de première parution. On peut ainsi vous raconter, comme si elle s'était passée hier, une histoire qui date en réalité de plusieurs années. Parfois on prend la peine de changer le titre de l'article d'origine, parfois non. La seule restriction à cette duplication effrénée, c'est que tous les articles doivent s'inscrire dans la ligne éditoriale d'AWD News. Quelle est cette ligne ? Un passage en revue des articles révèle une ligne clairement anti-américaine, anti-israélienne, anti-saoudienne, anti-qatarie, anti-turque, anti-Daech, anti-allemande, anti-Hollande et anti-Sarkozy, pro-russe, pro-iranienne, pro-Hezbollah, pro-Assad. La désinformation que nous avons analysée apparaît étrangement comme une exception, du moins après une première approche des contenus. Le site, en dépit de son indigence, possède suffisamment de moyens pour exister en cinq langues : anglais, français, espagnol, allemand, italien.
Comment savoir qui se cache derrière ce site, et quels intérêts il sert ? Les Debunkers de Hoax ont cru avoir résolu l'énigme, dans un article du 14 septembre 2014 : « Ce site de désinformation appartient au journal "al bayan" basé a Dubaï. C'est un organe de propagande officiel dirigé par le gouvernement en place des Émirats Arabes Unis ». Cette révèlation est censée provenir de cette page : https://who.is/whois/http:/awdnews.com. Une allégation qu'on retrouve dans un message d'un certain Barry Grossman, posté sur Facebook le 31 juillet 2014 : « he AWDNews.com domain is registered to the al Bayan Magazine owned by the Dubai Media Inc, the control of which is associated with the Dubai royal family. At least somebody is trying to make it look like it is connected with al Baya and the Qatar royal family ». Grossman, dont on trouve une biographie en anglais ici, se présente comme un avocat international canadien, et intervient régulièrement pour commenter l'actualité dans différents médias iraniens.
Une enquête mi-figue mi-raisin
Le 29 janvier 2016, un journaliste s'est finalement décidé à enquêter sur cet « intrigant site internet de désinformation ». Il s'agit de Romain Mielcarek, pour Radio France Internationale. Son article, louable dans son intention et porteur d'espoir, commence malheureusement mal :
« Le président Hollande "coupable de haute trahison". Le Pentagone qui "prépare une guerre contre la Russie". Ou encore l'Arabie saoudite et Israël qui seraient "sur la même longueur d'onde". Ce sont quelques-unes des affirmations qu'on peut lire sur le site AWD News. Ses cibles sont systématiquement les mêmes : Israël, les Etats-Unis, l'Europe, la Turquie et l'Arabie saoudite. Et les pays héroïsés sont presque toujours l'Iran, la Syrie et la Russie.
Militant ou manipulateur ? En tout cas, ce site produit des articles particulièrement tranchés qui se présentent comme des enquêtes de presse. Les sources sont toujours présentées de manière floue, peut-être pour que l'on ne puisse pas les remonter. De rapides vérifications montrent qu'elles sont en général largement interprétées ou déformées. Exemple avec cet article du 28 janvier, qui cite Foreign Policy comme partenaire d'AWD News, affirmant que les Etats-Unis préparent des plans de guerre contre la Russie. Sauf qu'en cherchant, on retrouve effectivement sur la source américaine un article vieux d'un an évoquant des "plans", qui sont en réalité des simulations visant à entraîner les forces américaines. Des scénarios qui opposent une équipe "bleue" et une équipe "rouge" et dont les dernières versions sont inspirées des conflits récents en Géorgie et en Crimée. Foreign Policy explique très bien comment de tels scénarios permettent de rejouer des batailles qui ont déjà eu lieu, ou de tester des situations probables allant d'une guerre contre la Corée du Nord... jusqu'à une invasion de zombis.
Les auteurs d'AWD News auraient-ils tout simplement mal compris les propos du site américain ? Peu probable : de telles interprétations sont récurrentes et souvent caricaturales. »
Première remarque : s'il y a bien un reproche qu'on pouvait s'éviter de faire à ce site, c'était bien d'avoir ses cibles systématiques, et ses pays héroïsés, car nos grands médias sombrent malheureusement trop souvent dans le même travers. Et il ne vient alors à l'idée d'aucun journaliste de ces médias de déplorer leurs propres cibles systématiques : l'Iran, la Syrie et la Russie, et leurs propres pays héroïsés, ou, du moins, fortement épargnés : Israël, les États-Unis, l'Europe, la Turquie et l'Arabie saoudite. AWD News ne fait que pratiquer une contre-propagande, certes un peu plus voyante que l'autre.
Plus grave : le journaliste veut prouver que le site déforme ses sources. Et, pour ce faire, il donne un article en exemple. Mais, d'emblée, en écrivant qu'ADW News cite Foreign Policy comme son partenaire, il montre qu'il n'a pas compris le principe même du site, qui est d'agréger des articles, et non pas de les écrire. La première phrase de l'article : « Selon les informations de notre partenaire Foreign Policy... » n'est évidemment pas le fait d'un journaliste d'AWD News, qui n'en compte probablement pas, mais celui du journaliste qui a été plagié par AWD News. Une simple recherche sur Google permet de remonter à la source : un article de Slate, qui se trouve être la traduction d'un article de Foreign Policy, signé Julia Ioffe. C'est donc Slate qui est partenaire de Foreign Policy. L'article, d'aillleurs, est bel et bien intitulé « Comment le Pentagone se prépare à une guerre contre la Russie », et commence par ces mots : « Selon les informations de notre partenaire Foreign Policy... ». AWD News n'a donc pas « mal compris les propos du site américain », comme le pense Mielcarek après avoir lu l'article original en anglais, il ne les a pas déformés ou interprétés, pour la bonne raison qu'il n'a pas eu à consulter ce site américain ; il a seulement recopié le début de l'article en français (que Mielcarek n'a pas trouvé), sans y toucher un mot, ni la moindre virgule.
Évidemment, cette incompréhension étant générale, les deux autres exemples que donne Mielcarek tombent également à l'eau. Le premier articulet sur François Hollande ne constitue que le tout début d'un long article publié par Sylvain Baron sur son blog. Quant à l'article sur Israël et l'Arabie saoudite, il ne fait que reprendre un article du média iranien Sahar. Il est préoccupant, tout de même, qu'un journaliste qui prétend faire une enquête sur le web peine à faire une simple recherche sur Google. Car il n'est pas difficile de remonter à la source de tous ces articles ; il suffit, on l'a déjà dit, d'en prendre un court passage et de le rentrer dans son moteur de recherche. Cela prend environ 10 secondes.
La suite de l'enquête est heureusement plus intéressante. L'auteur relève que « plusieurs personnes relaient la production d'AWD News sur les réseaux sociaux. Côté francophone, il s'agit chaque fois de charmantes jeunes femmes aux photos de profil particulièrement séduisantes, singulièrement exotiques, pour la plupart. » Maria Luis, que nous avons déjà rencontrée, en fait partie. Mielcarek l'a jointe. Membre d'AWD News, elle lui a garanti que le site était totalement indépendant, mais refusa de lui répondre concernant les financements ou la direction de l'entreprise.
Une autre de ces jeunes femmes se fait appeler Sophie Alvarez (voir l'une de ses interventions en commentaire de cet article du site Réseau International). Elle assure à Mielcarek qu'elle est journaliste et qu'elle réside en Turquie, à Istanbul. Originaire de France, elle lui confie son amour de l'Iran, même si elle n'y est jamais allée. Elle évoque aussi son faible niveau linguistique. Le journaliste lui annonce alors avoir des amitiés iraniennes, ce qui va étrangement provoquer chez son interlocutrice un « changement radical de discours ». Elle prétend soudainement avoir vécu en Iran, à Téhéran, durant deux ans, et avoir travaillé comme traductrice en anglais, mais aussi avoir étudié le perse à l'université de Téhéran. « Pourquoi tant d'incohérences dans son discours ? », se demande Mielcarek. « Probablement parce qu'il est en grande partie faux, tout comme ses photos de profil, volées à une certaine Rose-Marie N. et que l'on retrouve sur son CV en ligne ». En effet, celle qui se présente sous le nom de Sophie Alvarez a usurpé sur son profil Facebook la photo d'une autre jeune femme, qu'on retrouve sur le réseau professionnel Linkedin.
Sur Facebook, les petites mains de la propagande d'AWD News ont toutes le même profil : belles nanas aguicheuses, comme Sara Kiani et Mahnaz Hund, qui appâtent les mâles avec leurs photos (et ça marche : respectivement 1762 et 1408 « amis »), et qui distillent ensuite des liens vers le site dont elles sont les discrètes ambassadrices. A noter que, comme Sophie Alvarez, Mahnaz Hund usurpe les photos d'une autre, en l'occurrence la chanteuse iranienne Sahar (qui a l'avantage de ne pas être connue en France, et dont on retrouve les photos ici).
Mielcarek a, lui aussi, farfouillé sur le web pour remonter jusqu'au propriétaire de ce site aux méthodes plus que douteuses. Le résultat de sa quête diffère de celui de Barry Grossman et des Debunkers de Hoax. Il découvre en effet sur les hébergeurs des noms de domaine d'AWD News que le site a été « enregistré à Berlin comme propriété d'un certain Kevin Middelkoop ». Mais, là encore, « il s'agit d'un faux nom, dont l'adresse mail est elle-même reliée à Yavar Sherafat... résidant à Téhéran ». Cet homme serait, selon le journaliste, le propriétaire du site. Nous voici donc désormais à Téhéran, et non plus à Dubaï comme précédemment. Sollicité par le journaliste de RFI, Yavar Sherafat restera muet. « Impossible, à ce stade, de dire si derrière ce site se cache un État ou une officine privée », conclut Mielcarek.
Ces autres petits soldats de l'information
Reconnaissons que nous n'avons pas pu faire le tri entre le vrai et le faux dans ces différentes investigations... Une ultime recherche nous emmène sur la liste des « sites conspirationnistes », grand fatras où l'on retrouve jetés dans le même sac une multitude de sites (1203 à ce jour !) qui, pour certains, ont le malheur de ne proposer qu'une information un peu différente de celle des médias dominants. Les nouveaux inquisiteurs ont même réussi à y placer des sites comme Reporterre de Hervé Kempf, Les Gentils Virus pour la Démocratie, ou encore Semeurs Cueilleurs, une ONG qui s'est donnée pour but de favoriser la préservation de la bio-diversité et des semences reproductibles. Au 115e rang de cette liste effrayante, on trouve notre site. Un nouveau nom apparaît, en guise de propriétaire : Mohammad Ghalamchi.
Une recherche sur ce nom ne nous apprendra rien de plus.
En conclusion : AWD News est clairement un site de propagande, qui fait feu de tout bois, publie tout et n'importe quoi, du moment que cela sert sa cause. L'important, de son point de vue, n'est pas tant l'article qu'il publie (dont il ne recopie souvent que le début, sans lien pour lire la suite) que son titre, qu'il va dupliquer sur les réseaux sociaux. Bien des gens ne lisant que les titres des articles, en particulier sur Twitter, ils les diffusent sans trop réfléchir à leur communauté, simplement parce que ces quelques mots les satisfont, portent un message qu'ils partagent.
AWD News cherche manifestement, comme le note Romain Mielcarek, « à instrumentaliser les colères pour faire passer [ses] messages ». « On les retrouve ainsi, note-t-il, sur des pages traitant du conflit israélo-palestinien, de la guerre en Syrie, d'Afrique ou encore de Dieudonné ». D'où le succès relatif de la désinformation concernant Trump et Sarkozy ; la déclaration choc du milliardaire new-yorkais sur l'ancien président français, haï par une partie de la population, valait bien qu'on la partage ou qu'on la « like » (sa vérité n'avait presque aucune importance). L'intox était l'occasion de communier dans une exaspération et un rejet communs.
Pour servir cette propagande, des jeunes femmes aux profils alléchants, derrière lesquelles se cachent peut-être, allez savoir, des messieurs un peu moins alléchants, et qui twittent, postent et lâchent leurs coms plus vite que leur ombre. Ces autres petits soldats du journalisme manient-ils au moins leur clavier par conviction ? Ou n'est-ce pour eux qu'une mission purement alimentaire ? Quels destins peuvent bien se dissimuler derrière les Sophie Alvarez et autre Maria Luis ? Leurs témoignages sont les bienvenus.
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