Ulysse Gosset viré de France 24 : la purge continue
Depuis cet été, l’Audiovisuel extérieur français, qui regroupe France 24, RFI et TV5 Monde, opère un grand ménage de printemps... ou plutôt d’automne. Les têtes - qui dépassent - tombent plus vite que les feuilles mortes. Richard Labévière, Grégoire Deniau, Bertrand Coq... Dernière victime en date : Ulysse Gosset, présentateur de l’émission phare de France 24.
"Scandaleux" : c’est ainsi qu’Ulysse Gosset qualifie son éviction de France 24. L’animateur du "Talk de Paris", qui est aussi l’un des fondateurs de la chaîne d’information apparue en 2006, n’a, en effet, pas vu renouveler son contrat, qui arrivait à échéance fin novembre, et ce, sans qu’aucun motif ne lui soit fourni.
"Ni moi ni la direction de France Télévisions [d’où il était détaché depuis deux ans] n’avons reçu de notification écrite concernant le non-renouvellement de mon contrat, confie-t-il au Monde. Je ne comprends pas la stratégie de la chaîne qui cherche à déstabiliser une rédaction alors qu’elle devrait la consolider face à la concurrence. Ce sont des méthodes d’un autre âge". Même type de déclaration à Arrêt sur images : "La façon dont on cherche à m’évincer est proprement scandaleuse. J’ai participé à la création de la chaîne et ne pas avoir l’élégance de me donner les raisons de ce limogeage est stupéfiant." Une amertume qui rappelle celle de Patrick Poivre d’Arvor suite à son renvoi de TF1... Ulysse Gosset dit avoir tenté de rencontrer la direction pour obtenir des explications. En vain.
Par ailleurs, la 100e de son magazine "Le Talk de Paris", qui devait être diffusée le 28 novembre, a été remplacée au dernier moment par une autre émission. La manière est inélégante et Gosset ne semble pas disposé à se laisser faire : "Je conteste formellement cette décision et je proteste contre la déprogrammation de mon émission qui a été décidée sans me prévenir", déclare-t-il encore au Monde.
Qu’est-ce qui peut bien justifier un tel limogeage ? Le manque d’audience, officiellement. Ce que Gosset dément. La réalité pourrait être plus dérangeante. En effet, des journalistes de France 24 prétendent qu’Ulysse Gosset "paie" pour un affront fait à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et accessoirement compagnon de Christine Ockrent, la directrice générale déléguée de l’audiovisuel extérieur, qui comprend France 24, RFI et TV5 Monde. Le 18 juillet 2008, Kouchner était l’invité du "Talk de Paris" et n’avait pas apprécié du tout le portrait qui lui avait été consacré. Le ministre l’avait même fait savoir à la direction de la chaîne qui s’en était excusée.
Voici, en images, la grosse colère de Kouchner :
Colère justifiée de la part de l’ancien french doctor ? Il ne semble pas, tant le portrait paraît complaisant, qui parle à son sujet de "personnalité hors du commun" et de "héros de ces 60 dernières années". Mais il n’était manifestement pas allé encore assez loin dans la flagornerie.
Surtout, juste après ce dithyrambe, de légères critiques commencent à poindre... On rappelle - c’est l’évidence - que le succès politique de Bernard Kouchner demeure "plutôt mitigé", et qu’en 2007 "l’homme de gauche passe à l’ennemi", chez Nicolas Sarkozy. Là, le journaliste s’enfonce en rappelant pourtant une autre évidence, à savoir qu’aux affaires étrangères, "son pouvoir est plus que limité", tous les dossiers diplomatiques sensibles étant gérés de l’Elysée par Jean-David Levitt, le patron de la cellule diplomatique. Puis c’est la gaffe finale, lorsque notre reporter un peu fou lance que "la realpolitik de Nicolas Sarkozy oblige Bernard Kouchner [l’humanitaire] à avaler des couleuvres", faisant référence aux réceptions en grande pompe des dictateurs libyens et syriens à Paris. Le journaliste kamikaze va jusqu’à rappeler une couverture de L’Express qui demandait si le couple Sarkozy-Kouchner était bien à la hauteur !
Malgré un dernier coup de lèche (le "succès incontesté" du récent sommet sur l’Union pour la Méditerranée), Bernard Kouchner en a déjà trop entendu pour contenir sa colère. Dès la fin du portrait, qu’il qualifie de "discutable" et "bêtasse", l’ambiance sur le plateau devient électrique. Kouchner juge les questions d’Ulysse Gosset "offensantes", et le prend à partie. Alors que Gosset lui rappelle qu’il participe à une "émission de dialogue et de confrontation parfois avec des points de vue différents", Kouchner rétorque que ce ne sont pas là des points de vue différents, mais des "erreurs". La divergence d’opinion ne semble donc pas permise en présence de notre apôtre des droits de l’homme.
Voici l’émission complète, avec le reportage incriminé, à partir de 8 min 30 :
Le grand ménage continue donc tranquillement à France 24, où, le 17 septembre dernier, le directeur de la rédaction Grégoire Deniau et le rédacteur en chef Bertrand Coq étaient déjà écartés, pour faute professionnelle. Laquelle ? L’organisation d’un débat sur "les théories du complot autour du 11 Septembre" (débat de très mauvaise qualité, soit dit en passant, trop tendu pour être constructif). Christine Ockrent aurait décidé une "reprise en main brutale au sommet de France24", selon Le Point. La journaliste avait déjà eu l’occasion de montrer, lors d’un salon du livre, son hostilité vis-à-vis des visions alternatives sur le 11-Septembre, en refusant le livre que lui présentait l’éditeur Arno Mansouri...
Le 12 août dernier, c’est Richard Labévière, rédacteur en chef à RFI, grand reporter et écrivain spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, qui était licencié, au motif qu’il n’avait pas demandé la permission de sa direction pour faire une interview de Bachar el-Assad le 8 juillet, juste avant l’arrivée du président syrien en France en visite officielle. Motif surprenant et peu crédible.
Labévière avait à l’occasion de ce licenciement dénoncé l’orwellisation de la presse française. D’après lui, RFI cherchait à imposer une lecture néoconservatrice, américaine ou israélienne, des crises proche-orientales. Une lecture pro-palestinienne ou pro-arabe n’était plus, selon lui, permise. Il avait fustigé "un journalisme aux ordres" et "des intervieweurs formatés répondant aux seuls ordres du lobby sioniste". Il avait encore fait part de "harcèlements professionnels" de la part de la direction de RFI, sur une durée de 4 ans, et de menaces de mort dont il avait été l’objet sur son lieu de travail, "émanant vraisemblablement du Betar" (une milice sioniste), "avec des complicités internes à RFI". L’accusation, fondée ou non, n’était pas anodine.
Labévière notait que sa mise au pas intervenait au moment où Christine Ockrent, épouse du ministre des Affaires étrangères, et Alain Pouzilhac prenaient la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France.
Parmi les faits d’arme de Richard Labévière, qui ont pu contribuer à le faire mal voir, citons son attaque contre Bernard-Henri Lévy dans son livre Bernard-Henry Lévy ou La règle du je, où il présente l’intellectuel comme un "serviteur de l’empire américain et du libéralisme mondialisé, ego médiatique vide et surdimensionné". Il est aussi l’un des deux journalistes (avec Alexandra Richard du Figaro) à avoir rapporté la présence d’Oussama Ben Laden à l’hôpital américain de Dubaï en juillet 2001 et sa rencontre avec un agent de la CIA. Le journaliste a écrit un livre sur le sujet, Les coulisses de la terreur, paru en novembre 2003. Ses ennuis, nous disait-il cet été, ont commencé il y a environ 4 ans...
Pour en revenir au licenciement d’Ulysse Gosset, la direction de France 24 a fait savoir qu’il s’agissait d’un premier changement avant une "refonte de la grille des programmes", prévue pour l’année 2009.
D’ici là, France 24 fêtera son deuxième anniversaire. Ce sera le 6 décembre. Dans un contexte aussi tendu, quel cadeau offrir ? Quand la maison brûle, je ne vois rien de mieux qu’un pompier... Alors bon anniversaire France24 !
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