Une publicité radiophonique sur l’enfance maltraitée qui met mal à l’aise
Une campagne publicitaire de l’association « La voix de l’enfant », actuellement en cours sur diverses radios, commence par un sketch.

Dans une cour d’école maternelle ou primaire, du moins on le suppose, trois enfants rivalisent de vanité familiale, comme cela arrive : c’est à qui aura le père le plus prestigieux : « Mon papa est plus fort que le tien, dit l’un en bombant le torse, il est agent secret !
- C’est pas vrai, réplique l’autre, piqué au vif, mon papa est plus fort, il est ceinture noire de karaté (ou quelque chose comme ça) et il bat ton papa ! »
Une fillette intervient alors pour mettre ses deux camarades d’accord : « Mon papa, révèle-t-elle d’une voix blanche, il vous bat tous, même moi, même mes frères et sœurs et ma maman. » On entend alors la voix de l’actrice Carole Bouquet plaidant la cause de l’enfance maltraitée.
Un leurre d’appel humanitaire classique
D’où vient que cette publicité mette mal à l’aise ? Mais c’est précisément son but, objectera-t-on, étonné. Elle vise à instiller un sentiment de culpabilité non chez les bourreaux d’enfants, mais chez les témoins de leurs crimes qui ne doivent pas rester passifs. C’est exact. Le leurre d’appel humanitaire stimule ici le réflexe de compassion envers les victimes les plus innocentes qui soient, des enfants sans défense maltraités par leurs parents qui devraient être les premiers à les protéger. Et cette compassion est ressentie comme stérile si elle ne s’accompagne pas d’une assistance immédiate à personne en danger. Ce peut être d’abord dans son propre entourage par une vigilance accrue. Mais dans l’attente, une association humanitaire offre ses services pour agir dans l’immédiat et il n’est demandé que trois euros pour s’associer à ce combat contre un fléau qui mine la société elle-même. À ce prix-là, il faut l’avouer, c’est donné pour soulager sa conscience et en acquérir une bonne. C’est précisément l’échange attendu de l’opération.
Un mélange des genres incompatibles
Oui, à n’en pas douter, on reconnaît dans cette publicité le fonctionnement classique du leurre d’appel humanitaire. Mais le malaise qu’elle provoque, ne se limite pas à ce seul sentiment de culpabilité insinué. On sent confusément en plus un mélange des genres incompatibles. Ce leurre d’appel humanitaire par exhibition d’une tragédie familiale est mêlé à une scène comique et même à une scène de farce. Le verbe « battre » est l’objet d’un jeu de mots faisant entrer en collision sens figuré et sens propre : au sens de « l’emporter sur ses rivaux dans une compétition pacifique » dont usent les deux premiers gamins, la fillette répond tout à trac par celui de porter des coups, violenter, rosser toute une famille. Et ce n’est pas le réflexe de compassion que cette distorsion entre ces deux sens suscite tout d’abord, mais le spasme indécent du rire pour rétablir l’équilibre : la fillette est hors-sujet, elle n’a rien compris au jeu de matamores de ses deux camarades, d’où sa confusion sur le verbe "battre" !
Sans doute, au vu du contexte tragique, réprime-t-on le rire aussitôt, confus de la bévue. Mais le mal est fait ! Tragédie et comédie ne font pas ici bon ménage : la première est un procédé de proximité qui tente de faire partager au spectateur la douleur des personnages au plus près, tandis que la seconde, au contraire, est un procédé de distanciation qui dissuade l’empathie et tend même à minimiser le mal éprouvé. Est-ce le but recherché ici ? Sûrement pas.
La parodie d’adulte d’un mot d’enfant
On rétorquera que cette ambiguïté est tout de même tempérée par l’humour d’un mot d’enfant. Le paradoxe dont il est constitué est fait pour retenir justement l’attention : le sens propre du verbe « battre », retenu par la fillette, s’oppose par la violence ouverte qu’il exprime, à toute idée de compétition pacifique qu’impliquent les rodomontades des deux autres gamins. L’ennui, c’est qu’on ne risque pas d’entendre ce bon mot dans la bouche d’un enfant maltraité. Ce prétendu mot d’enfant n’est qu’une parodie d’adulte. Il semble que l’enfant victime de maltraitance familiale est le dernier à s’en plaindre. Une double contrainte le paralyse : d’un côté, s’il n’en parle pas, c’est qu’il intériorise le bon droit que ses parents ont de le battre pour son bien parce qu’il a été méchant. Et, de l’autre, pour en parler, il lui faudrait endosser le rôle de l’enfant encore assez fou ou méchant pour oser dénoncer ses parents comme malveillants à son égard. Ce n’est pas possible et encore moins devant des camarades !
Autrement plus inspirée était une campagne précédente de la même association qui exhibait en gros plan l’image d’un poing brandi dans un clair obscur avec pour toute légende : « Voici l’escalier dans lequel Benjamin est encore tombé ». Le paradoxe entre image et texte collait mieux à la psychologie de l’enfant battu, obligé de trouver des leurres de diversion pour expliquer éventuellement les bleus et tuméfactions divers qu’il ne peut dissimuler aux autres, et demeurer à ses yeux l’enfant aimant de parents attentionnés. Paul Villach
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