Vis ma vie de pigiste
L’économie de la presse est un éternel sujet de conversation, d’inquiétude dans les rédactions : quel modèle pour la presse à l’heure du web, des médias gratuits (physiques ou numériques) ? Le sujet est souvent abordé de manière sectorielle, et passe sous silence la situation, souvent peu enviable, de nombreux détenteurs de la carte de presse : les pigistes. Exposés, ils sont sujets aux manœuvres de déstabilisation et peuvent – rarement – compter sur la solidarité de la profession. Erwan Seznec, journaliste-pigiste pour Que Choisir, en a encore récemment fait l’amère expérience.

Le pain – noir – quotidien des pigistes
N’importe quel jeune journaliste, sauf les mieux introduits (merci papa-maman de faire jouer le carnet d’adresses), le dira : préparer un sujet, le faire accepter, être payé à la hauteur de sa peine, et réussir à devenir un régulier d’un média est un long chemin de croix. Beaucoup abandonnent en cours de route, et préfèrent basculer du « côté obscur ». Combien d’attachés de presse, de consultants en communication qui se sont vus grand reporter à la sortie de l’école ? On notera que le comportement passif-agressif des attachés de presse à l’égard des journalistes (qui le leur rendent bien) trouve là une partie de son explication.
Le statut n’a pas non plus que des défauts. Pour un journaliste expérimenté, en bons termes avec les rédacs chefs, c’est la possibilité de travailler pour plusieurs titres à la fois et de choisir ses sujets (certes, en fonction de ce qu’il aura deviné des lubies desdits rédacs chefs). Quelques confrères font donc le choix, parfois après plusieurs décennies dans un même quotidien, de reprendre leur liberté, quitte à continuer de piger pour leurs anciens patrons.
Demeure un point sur lequel jeunes ou vieux pigistes font un même constat : la solitude. Solitude, des revenus en dent de scie, fonction du bon vouloir de services comptables pas toujours pressés. Solitude, face au fisc et à Pôle emploi, lorsqu’on est payé en droits d’auteur (pratique légalement interdite mais largement tolérée). Solitude aussi, dans la profession. Tout le monde n’a pas la chance d’être un salarié d’Edwy Plenel, toujours prêt à dénoncer les éventuelles pressions et intimidations. Le pigiste, lui, est seul. Indépendant, le pigiste est confronté à une situation financière instable, dépendante de ses bonnes relations avec les titres pour lesquels ils travaillent. L’argent est le talon d’Achille de toute la profession, il est une faille béante pour le pigiste. Et cette faiblesse, les détracteurs d’un journaliste aux écrits gênants sont prompts à l’exploiter.
Affaire Seznec 2.0
Dernier exemple en date, le journaliste Erwan Seznec, confronté à une véritable manœuvre de déstabilisation par le portefeuille. Membre de la rédaction de Que Choisir pendant huit ans, il a choisi de devenir pigiste au début de l’année 2016, tout en restant un contributeur régulier du magazine de la fédération de consommateurs. Journaliste connu pour avoir fait grincer des dents aussi bien les milieux du BTP, des syndicats que des médecines « alternatives », Erwan Seznec a toujours gardé la confiance de son ancienne rédaction.
Habitué des sujets polémiques et connu pour son traitement sans concession, là où d’autres journalistes (y compris des « grands » titres nationaux) se limitent souvent au service minimum, Erwan Seznec va au fond des choses. Quitte à remettre en cause quelques idées reçues… Chose qu’il a encore faite en septembre 2016 dans le mensuel Que Choisir avec un article, au titre délicieusement provocateur : « Traitements bio, Toxiques naturellement ». Loin des clichés sur l’agriculture bio, il rappelle qu’un pesticide qu’il soit naturel ou pas demeure un pesticide, avec de possibles effets secondaires pour l’environnement ou les humains.
Travail d’information, factuel et bien documenté, nous sommes loin du pamphlet anti-bio, écrit pour plaire à un supposé lobby de l’agriculture industrielle. Et pourtant, c’est ainsi qu’il a été interprété par des responsables d’Europe Ecologie Les Verts, membres de la commission de l’agriculture biologique. Ecœuré par les attaques ad personam lancées contre le journaliste par plusieurs figures de la cause du bio (dont Jacques Caplat, François Veillerette et Serge Rivet pour ne pas les nommer), un membre du parti a transmis les échanges de mails (400 destinataires tout de même) à Erwan Seznec.
Morceaux choisis des échanges (aussi consultables sur le blog d’Erwan Seznec et dont l’exactitude n’est pas remise en cause par les intéressés, les fautes sont d’origine) :
- « Nous devons réussir à convaincre cette commission puis le CA fédéral du mouvement [ndlr : le conseil fédéral de l’UFC, l’Union Fédérale des Consommateurs, éditrice du mensuel Que Choisir], de ne plus laisser paraître quoi que ce soit de ce niveau sur ces sujets dans la revue. »
Serge Rivet (militant proche de Biocoop, principale chaîne de magasins bio en France, référent régional Environnement de l’UFC-Que Choisir, membre du bureau de la section EELV de la Vienne)
- « Générations Futures s’était fait allume par lui il y a quelques mois. J’avais du faire passer un dossier montrant son parti pris à son redac chef …mais même viré de la rédaction il sévit toujours.. »
François Veillerette (président de Générations Futures, coutumier des sorties dans la presse au sujet des pesticides chimiques)
- « l’article manipulateur d’Erwan Seznec dans Que Choisir »
Jacques Caplat (ingénieur agronome militant dans les associations environnementalistes Agir pour l’Environnement et Réseau Semences Paysannes, membre de la commission Agriculture d’EELV)
Certes, dans la profession, nous sommes habitués aux noms d’oiseaux, mais cette affaire se distingue par la tentative d’utiliser les instances internes de la fédération de consommateurs pour empêcher Erwan Seznec de publier à nouveau. Pour rappel, il est désormais pigiste. La manœuvre est donc simple à mettre en place, il suffit de refuser ses nouveaux articles pour le mettre financièrement à genoux.
Lorsque j’évoque la solitude des pigistes, elle est évidente dans ce cas de figure. Le journaliste a dû mettre en ligne, seul, un blog relatant l’affaire, aucune réaction de la part de la rédaction de Que Choisir. Pire, le numéro d’octobre du magazine prend le parti d’évoquer longuement les avantages de l’agriculture bio, dans ce qui s’apparente fort à une tentative d’équilibrer entre articles vus comme positifs et négatifs par les thuriféraires du bio. In fine, seul @rrêt sur images a fait mention de l’affaire pour n’évoquer que de simples « bisbilles » et « une simple divergence de point de vue – somme toute banale ». Erwan Seznec appréciera. Enfin, ses détracteurs persistent et signent. Jacques Caplat n’hésite ainsi pas à le menacer de poursuite. Après les manœuvres détournées, les intimidations judiciaires : on reste dans le classique.
Erwan Seznec est journaliste. Et comme journaliste, il fait ce qu’il sait faire de mieux : mettre en lumière les basses manœuvres, rapporter des faits, documenter ses affirmations à partir de sources solides. Autant de principes de base qui font de lui un gêneur pour certains. Il n’a pas la protection de l’emploi, il n’a pas la solidarité d’une rédaction, et pourtant il continue. Sourcilleux sur le professionnalisme, il a ainsi noté il y a quelques jours sur son blog « les militants qui ont tenté de me faire virer avaient raison sur un point : je n’avais pas bien fait mon travail » et de publier un nouvel article sur les pesticides bio.
A bon entendeur...
ps : le blog d'Erwan Seznec est dorénavant protégé par un mot de passe... Enième tentatvive d'intimidation contre lui ? Il cherche à se protéger ?
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