Vos gueules, les mouettes !
Si le mari de Liliane revenait au monde et qu’il fût confronté à de ces journalistes qu’on trouve de nos jours en rayons ; qu’il lût les gros titres à la une des hebdomadaires, toujours plus suffisants, plus insultants à l’encontre des dirigeants que le peuple majoritairement s’est choisis, se contenterait-il du fameux « Taisez-vous, Elkabach » ?
Nous ne demandons pas des journalistes confits de déférence, obséquieux à l’ancienne comme le gendarme Cruchot devant l’adjudant Gerber. Non. Nous savons aujourd’hui apprécier les pointeurs de langue de bois, balayeurs de faux-semblants, dénicheurs de contradictions. Au besoin même un brin d’irrévérence courtoise, d’obstination polie peut, en poussant l’interrogé dans ses retranchements, faire surgir du juste, du vif, de l’humain. Quelques journalistes de cette sorte existent encore. Jusqu’à quand ?
Car l’heure est à la surenchère dans le dénigrement, au jeu de massacre, au chamboule-tout. On se paye la tête d’Hollande après celle de Sarko, celle d’Ayrault après celle de Fillon : « Est-il si nul ? », « Le voyou de la République », « Sont-ils nuls ? », « Les apprentis », « On se réveille ? », « On arrête avec les bêtises ? », « Pourquoi il n’y arrive pas ? », sur le ton que prenaient nos vieux profs pour humilier les cancres, (mais de préférence à la forme interrogative, par un restant de prudence et de tartufferie). Peu importe la tendance politique du « fou », du « voyou » ou du « nul » : après la droite visée pendant cinq ans, c’est maintenant la gauche depuis six mois, aussi outrageusement. Il n’y a plus de camp politique, juste le camp d’une petite caste endogène qui prétend se faire l’écho de l’inquiétude des Français, en fait hantée par la concurrence des « réseaux sociaux » ou taraudée par l’envie de dynamiser les ventes en dézinguant les chefs, vieille passion gauloise.
Sur les ondes, le journaliste rivalise d’insolence avec l’histrion à sabots, autoproclamé « humoriste », qu’on invite dans le journal pour mettre un grain de sel, n’est-ce pas ? dans une actualité si fade, un peu de sourire dans une conjoncture si sombre. Jubilation, quand, après le feu roulant de questions perfides et de réponses interrompues, on soumet un ministre à sa vulgaire caricature, on lui demande même d’en rire. Et nos élus de se soumettre aux injonctions de ces bateleurs qui masquent leur médiocrité dans l’abaissement du seul pouvoir légitime, qu’au fond d’eux ils jalousent.
C’est justement parce que la démocratie a besoin d’une presse intelligente, vigilante, et respectable qu’on doit dénoncer la dérive actuelle. Aux emplumés de basse-cour qui prétendent parler en notre nom en ridiculisant les responsables politiques, en montant en épingle la moindre bévue, en extrapolant le moindre lapsus, en zappant les événements au lieu de les creuser, en excitant l’inconstance naturelle de ce peuple au lieu de la tempérer par l’analyse et la réflexion, quelle personnalité (autre que M. Mélenchon) osera surenchérir sur Georges Marchais jadis et lancer en direct à ces palmipèdes infatués : « Vos gueules, les mouettes. »
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