Vous êtes tous écoutés, par la police… de la pensée
La NSA aurait écouté des millions de communication et c’est beaucoup, pense John Kerry, mais en France, savez-vous que les gens sont aussi écoutés, sans que cela n’occasionne aucun moment de mélodrame diplomatique. Pas tous les gens, en fait, juste ceux qui le veulent bien, lançant quelques bons mots sur Twitter ou Facebook. Il faut prudence garder et ne pas dire du mal de son patron, sinon, la porte de sortie. Sur des réseaux sociaux, vous parlez pour qu’on vous entende mais vous êtes aussi écoutés. Finalement, ce serait l’organe qui crée la fonction, le réseau technologique qui crée le système des écoutes ? Ou qui ne crée rien, ne dévoilant en l’amplifiant que ce qui est connu depuis des millénaires. L’homme est un animal très communicant. Il écoute tout ce qui est accessible à son oreille sans que cela soit nécessaire d’un point de vue vital, contrairement aux antilopes dont les tympans sont attentifs aux mouvements suspects dans la brousse. De Foucault à Zygmunt Bauman, le panoptique des pouvoirs en place s’est chargé de surveiller les espaces, en quête d’images et mouvement suspects. Les villes modernes ont leurs caméras vidéo. Quelques millions sur le territoire britannique.
Il existe aussi un panoptique qui surveille les sons lorsqu’ils sont vecteurs de paroles, parfois suspectes. Dans l’idéologie sécuritaire des nations occidentales, il est prévu que tout individu est suspect et même potentiellement terroriste ou du moins, susceptible de commettre un délit. Mais pour l’instant, rien ne dit que tous les Français soient sur écoute. Un ami bien au fait de ces questions m’a suggéré un jour un test pour savoir si on est écouté. Il suffit de prononcer quelques mots sensibles, bombe, pistolet, explosif, attentat. L’ordinateur vocal les détectera et vous verrez les inspecteurs de la DCRI débarquer un beau matin. Je ne sais pas si c’est une boutade. Sur le Net, la surveillance se fait aussi grâce à des mots clés. Impossible pour une armée de lecteurs de lire le trafic total sur la planète. On sait à peu près tout sur la manière et les moyens employés pour que des individus puissent en surveiller d’autres en écoutant les conversations ou en lisant les communications écrites.
Maintenant, on trouvera un autre système d’écoute, plus performant et sélectif, c’est le système des médias de masse. En effet, les journalistes écoutent attentivement tout ce qui se dit et émane de gens dotés d’un certain niveau de célébrité. Voilà pourquoi un John Galliano ivre a été saisi par la patrouille après quelques mots plutôt « dégoûtants » prononcés un soir dans un restaurant. Imaginons Jojo prononcer les mêmes paroles lors d’une partie de belote arrosée au bistrot de la gare à Marmande que cela n’aurait aucune incidence médiatique. Ce fait est emblématique de cette société d’écoute et de surveillance. Si les propos du célèbre couturier tombent sous le coup de la loi, il en est d’autres qui sont parfaitement légaux mais n’en déclenchent pas moins des tornades médiatiques. On se souviendra du twitt de la première dame pendant la campagne législative de Ségolène Royal. Une tempête dans les médias. Toute célébrité, qu’elle soit du monde culturel, sportif ou politique, est mise sous écoute médiatique. D’ailleurs, ces célébrités en jouent, sachant pertinemment qu’un mot bien placé, provocateur et vecteur de scandale, sera repéré par la patrouille médiatique. On connaît même un homme politique qui s’est fait une spécialité en jouant sur ce phénomène. C’est Jean-Marie le Pen. Sa fille essaye de l’imiter mais la copie n’est pas à la hauteur de l’original. Les récents propos de Marine le Pen sur les otages ont suscité un tollé. L’intéressée à dû présenter des sortes d’excuses ou du moins des explications. Comme bien souvent. Un pipole ou un politique pris par la patrouille doit livrer par la suite un justificatif, expliquer que ses mots ont été maladroits, ou mal interprétés ou qu’ils ne reflétaient pas sa pensée et qu’il voulait en fait dire autre chose et qu’il regrette.
C’est l’occasion de suggérer un théorème : Derrière tout système d’écoute ou de surveillance, il y a un dispositif policier.
Le système d’écoute médiatique semble alors adossé à un dispositif bien précis, la « police de la pensée ». Il n’est pas le seul dans ce genre. Des associations traquent avec application toute légitime d’éventuels propos passibles des tribunaux, souvent avec exagération et un zèle tout particulier faisant qu’on en deviendrait presque parano, surveillant nos moindres mots. La loi Gayssot n’a pas que des avantages. Un Desproges ou un Coluche auraient eu des dizaines de procès avec les règles de notre époque. Mais comme on l’aura compris, la police de la pensée dont il est question dans ce billet concerne essentiellement le microcosme médiatique avec ses flics zélés, n’hésitant pas à distordre les propos d’un élu ou d’une star pour en faire des délits d’opinion eu égard aux normes de la pensée correcte, à l’instar d’un policier sourcilleux qui vous attrapera en ayant jugé que vous êtes passé à l’orange mais avec un petit coup d’accélération non approprié dans le contexte de circulation, infraction prévue dans le code de la route qui vous en coûtera 90 euros.
Dieu merci, dans le monde contemporain, il n’y a pas de permis de pensée à passer mais des règles encadrant pour une catégorie d’individus les normes de la pensée et surtout de l’expression puisque pour être captée par la patrouille, une pensée se doit d’être exprimée, de préférence sur la place publique et encore mieux, sur un média de masse à une heure de grande écoute. Pour l’instant, il n’y a pas encore de possibilité pour traquer vos pensées à l’intérieur du cerveau mais gageons que si la technique était disponible, les Etats n’hésiteraient pas à l’employer, au non de la sécurité, en étudiant le cerveau des terroristes, puis celui de chaque citoyen qui comme on le sait, est suspect aux yeux de l’Etat policier.
Le système policier use souvent d’une technique éprouvée, celle de l’interrogatoire. Le but étant de faire avouer le suspect, lui faire dire qu’il a commis un délit. Dans le système médiatique, l’interrogatoire a aussi fait son apparition. Pratiqué lors des interview. Le journaliste se pose alors en policier de la pensée et tente de faire répéter à l’interviewé des propos qu’il aurait prononcés, ou alors s’efforce de lui faire dire ce que croit savoir le journaliste, de divulguer quelques intentions, quelques mauvaises pensées, quelques trahisons. Parfois même, on se prendrait à imaginer que le journaliste sait mieux que son interlocuteur ce qu’il pense. L’interview finit par prendre un tour comique. L’élu ne peut plus placer un mot sans être interrompu par le journaliste qui veut le faire avouer et confirmer ce qu’il a écrit sur ses notes avant le talk show. Cette scène cocasse est aussi arrivée à un philosophe sur le plateau de Canal plus. Alain Finkielkraut était passablement agacé par le ton du journaliste, lui faisant ouvertement savoir qu’il n’était pas venu pour répondre à un interrogatoire visiblement censé le faire avouer quelque faute morale contenue dans son ouvrage. Quelque fois, l’interview prend la tournure de l’interrogatoire du maître d’école (rôle de composition médiatique joué par Jean-Jacques Bourdin entre autres). Il faut vérifier alors que l’élu ou le gouvernant connaît bien ses dossiers. Cela peut avoir un certain intérêt aux yeux du public mais sans utilité du point de vue politique. On n’a jamais vu un ministre incompétent se faire remercier au motif d’incompétence.
La police de la pensée surveille de près quelques individus et laisse les autres en paix. Julien Clerc, le gendre idéal (ou le beau père, vu son âge), ne sera jamais inquiété, contrairement à des personnalités régulièrement surveillées dans leur propos, Dieudonné, Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Bertrand Cantat, ou occasionnellement, Guy Bedos avec sa sortie humoristique sur une élue de l’UMP jouant le rôle de la conne. Il y a peu, la journaliste Natacha Polony a dû faire un rétropédalage suite à un trait d’humour sur Léonarda. Bientôt le rire sera proscrit. Et sur Canal, le plus féroce des interrogateurs, Jean-Michel Aphatie, tente d’extorquer des aveux à la personnalité politique invitée, notamment en posant une question droit dans les yeux. Le plateau télé devenu une sorte de confessionnal dans la religion cathodique mais où la confession est extorquée et diffusée.
Si l’on suit le mouvement, alors on va tous finir par se sentir coupable, d’expressions pas correctes, de mauvaises pensées, tous homophobes, tous antisémites, tous racistes, tous mauvais, nous sommes. Nous voilà revenus au péché originel. Non pas à cause de Eve ou de Lucifer mais à cause des mots suspectés de véhiculer des maux, d’exprimer des mauvaises pensées qui nous habitent. Rien de neuf pour ceux qui ont fréquenté Bataille et Blanchot. La littérature était suspecte de maléfice. Maintenant, c’est une vingtaine de mots lancés sur le Net, ou une phrase livrée aux médias de masse. Le poids des mots relève presque de la magie. Avec des intentions diverses. Magie blanche pour les habillages sexy de la fiscalité, genre contribution climat énergie ou écotaxe, magie noire chez quelques humoristes, célébrités, intellectuels et quelques figures politiques dont les procès médiatiques finissent par ressembler à une comique voire pathétique chasse aux sorcières. Nous vivons bel et bien une époque crépusculaire. Nous sommes tous suspects de démonologie sémantique, nous serons tous écoutés, jusqu’à la fin des temps.
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