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Wikileaks, la presse et le pouvoir

Comment s’y prend Wikileaks pour mettre ses révélations à l’ordre du jour des médias de masse ? Eléments de réponse.

Tout simplement, Wikileaks contacte les organes de presse qui donnent le la et leur offre l’information.

L’information "mainstream" dans une démocratie, censée être libre et pluraliste, répond en fait à un formatage subtil, disons, organique. Dans tous les pays il y a un nombre très limité de médias considérés comme des médias de référence. Tout le monde reprend par automatisme les informations que ces derniers décident de traiter. Un cran en amont, les agences de presse opèrent déjà un filtrage sévère en décidant de ce qui est important ou pas. Les cabinets de relations publiques participent également de façon très large, en "offrant" des informations à la presse. Selon les études on évaluait en 2003, entre 40 et 70% la proportion de ces informations dans la presse.

1/ Wikileaks ayant su prouver de façon indéniable la solidité de ses informations, on ne peut pas les attaquer sur le mode de la théorie du complot.
2/ Wikileaks offre ses informations aux médias de référence (Le Monde en France, The New York Times aux US) comme le ferait un cabinet de relations publiques.

A partir de là, les médias dominants sont coincés. S’ils refusent de traiter les informations, ils savent qu’un autre le fera : ils perdront des lecteurs et une partie de leur crédit, car on saura aussi qu’ils ont refusé. L’histoire du Watergate est certainement le précédent qui contraint la presse à transmettre les infos. A l’époque le New York Times avait été contacté par Mark Felt et avait refusé de publier les informations. Peu après, elles apparaissaient en une du Washington Post...

Mais c’est à l’évidence un jeu de dupes, puisque les informations divulguées par Wikileaks au sujet de l’Irak par exemple, étaient connues dans des milieux ignorés voire dénigrés par les médias dominants. Si le souci d’informer de façon impartiale était réel, toutes ces informations (Irak, Afghanistan), en réalité disponibles, auraient été rapportées depuis longtemps.

Ce que fait Wikileaks, c’est prendre les médias dominants en tenaille entre la multiplicité des organes qui reste réelle, le besoin d’attirer les lecteurs et les principes de liberté de la presse par rapport au pouvoir, invoqué sans cesse. Même si elle est négligée au quotidien par des moyens subtils, cette liberté ne peut être ouvertement et publiquement bafouée. Tous ces éléments réunis (sans oublier la crédibilité des informations) forcent les médias de masse à relayer. C’est bien joué. Une fois que les médias de référence ont publié, aucune autre rédaction ne peut se permettre d’ignorer le sujet. L’effet de répétition se met en branle automatiquement, comme pour les autres informations abordées chaque jour.

Mais il faut tout de même remarquer que les médias dominants se contentent du minimum syndical en la matière. Par exemple en allant visiter lundi lemonde.fr je trouve autant d’articles "autour" du sujet que d’articles abordant le fond des révélations. Tôt le matin il n’y en avait carrément aucun. L’un expliquait "pourquoi on publie", un autre détaillait l’embarras de Washington, un dernier résumait l’histoire...

Dans l’article qui explique "pourquoi on publie" le quotidien se désolidarise ouvertement de Wikileaks en reprenant la terminologie de Washington.

Informer, cependant, n’interdit pas d’agir avec responsabilité. Transparence et discernement ne sont pas incompatibles – et c’est sans doute ce qui nous distingue de la stratégie de fond de WikiLeaks.
Par cette petite phrase, le quotidien, en même temps qu’il affirme son allégeance au pouvoir, avoue qu’on lui force la main. Dont acte : Le Monde préviendra Washington avant de publier ses articles, et offrira un droit de réponse aux autorités. Emouvant souci d’équité, que l’on souhaiterait voir s’appliquer sur d’autres sujets, en offrant un droit de réponse à Human Rights Watch lorsque l’on parle de "guerre contre le terrorisme" par exemple, où à ATTAC lorsque l’on évoque une énième "modernisation" de l’économie...

Mais il y a mieux, Le Monde explique que

WikiLeaks a accepté de ne pas diffuser dans l’immédiat les 250 000 télégrammes. Seuls les mémos ayant servi à la rédaction des articles des cinq journaux seront, après protection des identités, publiés.

Or Wikileaks fournit sur son site une explication assez différente.

Why not release everything now ?

The embassy cables will be released in stages over the next few months. The subject matter of these cables is of such importance, and the geographical spread so broad, that to do otherwise would not do this material justice. We owe it to the people who entrusted us with the documents to ensure that there is time for them to be written about, commented on and discussed widely in public, something that is impossible if hundreds of thousands of documents are released at once. We will therefore be releasing the documents gradually over the coming weeks and months
.

C’est donc par crainte que les médias n’escamotent le contenu des révélations que l’organisation les distille au long court. Le Monde transforme ce choix en un "cadeau" que ferait wikileaks à la presse, ce qui crée l’impression qu’une forme de collaboration existe déjà entre eux. Si wikileaks cherche à construire de tels liens, avec le dessein avoué de ramener la presse à son rôle de contre-pouvoir, force est de constater que cette dernière agit aujourd’hui sous la contrainte. C’est pour cette raison que la petite phrase du Monde est biaisée : elle transforme en confiance la défiance qu’affiche pour l’instant Wikileaks. Cela appuie l’idée que la presse "libre et indépendante" participe à cette opération de démocratie - mais en même temps elle prend ses distances. C’est un double message que nous venons de décrypter. Aux autorités américaines : nous renouvelons notre allégeance ; aux citoyens : nous sommes les héros de la liberté d’expression.

Pendant ce temps, la pression monte du côté de Washington, qui déclarait hier que ces fuites constituaient un "crime grave". Menace à peine voilée de la violence qui menace les auteurs de ces opérations de transparence...


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11 réactions à cet article    


  • Marina Mars Marina Mars 30 novembre 2010 11:45

    Bravo  !


    • Philou017 Philou017 30 novembre 2010 12:20

      excellent article. Wikileaks renvoie effectivement la presse à son role de contre-pouvoir. C’est drôle de les oir se contorsionner pour savoir que faire de ce cadeau .

      Je remarque que le Guardian n’a pas les mêmes effarouchements que Le Monde et assume pleinement son role.


      • robin 30 novembre 2010 13:44

        Si les médias en général et les médias français en particulier faisaient leur boulot qu’ils désertent depuis longtemps par servilité et par trouille : LE JOURNALISME D’INVESTIGATION FUT IL POLITIQUEMENT INCORRECT, il n’y aurait pas besoin de Wikileaks. Au lieu de quoi les journalistes sont devenus les attachés de com et de propagande de qui les paient.....tant pis pour eux si ils disparaissent ; personne ne regrettera ce qu’ils sont devenus.....il fut un temps où on rasait certains en public pour moins que ce qu’ils ont fait !


        • zelectron zelectron 30 novembre 2010 14:01

          L’administration américaine ferait bien de virer un certain nombre de diplomates qui viennent de faire la démonstration de leur incurie mais il semblerait que ce serait plutôt une tout autre voie qui serait choisie : féliciter et promouvoir les cervelles d’oiseaux qui ont pondu ces billets...


          • Cléandre 30 novembre 2010 14:58

            Si « crime grave » il y a, les cinq journaux sont complices. Le Monde est prévenu !
            Pourtant Le Monde a fait de gros efforts de « responsabilité » en effectuant avec ses acolytes une censure préalable.


            • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 30 novembre 2010 15:26

              Voyez-vous le monde s’ébranler après cette nouvelle supercherie occidentale ? Le deversement d’un énorme torrent d’une information morte ressemble tout au plus au soulagement d’un individu (longtemps bloqué par une constipation) par une abondante diarrhée ! Et voila une nuée de journalistes-scarabées des « grands quotidiens européens » priviligiés pour avoir été servis les premiers, qui se donnent à fond dans la confection des boulettes de la désinformation ! Après une décennie de complots et de terrorisme, l’Occident remis en cause, ne voit aucune issue possible pour pouvoir s’extraire de ses gluantes intrigues ; l’arme de saturation par excellence est alors envisagée comme dernier recours : Informer par l’abondance de l’information morte et en plus dans un incroyable foisonnement de la désinformation !

              Qui ne sait donc pas que toutes les chancelleries espionnent tout et s’espionnent mutuellement ? Qui ne sait pas que la plus active des représentations diplomatiques dans le monde , se transforme chaque soir en cabarets pour « recevoir » et corrompre les responsables politiques et les affairistes locaux par les femmes et par l’argent ?

              Avant ce vomissement de Wikileaks, est-ce que les « révèlations de quelques soldats » américains rescapés d’Irak, étaient-elles plus importantes que la destruction même d’un pays qui n’avait soulevé aucune réaction et est-ce que le numéro de téléphone d’un inutile Ban Ki-moon serait-il une donnée stratégique face à celle qui consiste valider les actions impérialistes occidentales par une Institution faussement internationale, complice et corrompue ?

              Et la merde du 11 septemble de tous les cacas , qui était l’instigateur et dans quel but ?

              Mohammed MADJOUR.


              • David Meyers 1er décembre 2010 12:36

                Assez d’accord avec vous MM

                Wikileaks c’est de l’enfumage. La portée des « informations » est quasi nulle. C’est de la téléréalité version wiki.

                Et qui tire les ficelles ?
                Les pseudos victimes qui se sont laissées « dérober » ces informations redoutables mais soigneusement mises à disposition des farfouilleurs.


              • Petitbois 30 novembre 2010 16:06

                Au vu de la réaction du Département d’État américain, il me semble que le gros des révélations est à venir. Les quolibets décrivant aux dirigeants de ce monde et le numéro de téléphone de Ban Ki-moon ne sont apparemment que de petits amuse-gueule.

                L’analyse de cet article est excellente. La presse est coincée et la diplomatie gigote dans tous les sens. Reste à voir le décalage dans le temps leur permettra de noyer le poisson, ou de recouvrir l’information par des informations encore plus inquiétantes.

                On verra


                • clostra 30 novembre 2010 20:01

                  Déjà : « Penser globalement et agir localement »
                  Imaginons que soient publiés de tels messages « diplomatiques » échangés au sein de PS en pré campagne des primaires.
                  On y apprendrait bien des choses intéressantes pour le grand vote de 2012.
                  Ce qui étonne c’est le « brut de brut ». Les messages ne sont pas regroupés, commentés, ils sont livrés, genre « voyez le désastre, l’imposture, le mensonge, l’hégémonie, la couardise... »

                  Résultat, de deux choses l’une :
                  - soit les diplomates vont faire attention à leurs échanges et se réunir dans des lieux secrets
                  - soit, ils vont diffuser des informations cryptées (autrement que le cryptage numérique), de fausses informations ou leur contraire

                  Pour l’instant, en France, ce qui nous intéresse est la préparation de la diplomatie par un candidat qui se présentera en 2012 et un petit aperçu grandeur nature des petits arrangements entre amis ou rivaux. Quels seront les membres susceptibles de gouverner avec telle ou telle personne du même (grand) parti. Toutes ces choses confidentielles qui ne devraient pas rester secrètes.


                  • pierrot123 1er décembre 2010 10:32

                    On vit une époque formidable...
                    C’est simple : Dans tout les domaines, le pire est à venir...


                    • David Meyers 1er décembre 2010 12:31

                      1/ Wikileaks ayant su prouver de façon indéniable la solidité de ses informations, on ne peut pas les attaquer sur le mode de la théorie du complot.

                      J’ai du mal à croire que cela soit écrit.

                      A part quelques croustillants genre Sarkozy couranr après un lapin, et encore sortis de leur contexte donc sans aucun intérêt stratégique historique ou journalistique, Leaks va finir par nous prouver que :

                      1 les américains sont des méchants gentils
                      2 les iraniens sont des méchants méchants
                      3 que Ben Laden et autres fantômes doivent être pourchassés

                      C’est la stricte réédition des « Armes de destruction massives » version interwiki.

                      Libre à certain esprits d’y voir un « signal fort » d’une liberté disparue. Pour ma part je n’y vois qu’un enfumage provoqué par qui vous savez afin de justifier les interventionismes armés (et donc, plus clairement, de donner l’argent public aux industriels de l’armement et consors).

                      Les révélations sont bien une machination orchestrée par les soi disant victimes.

                      Il est navrant que cette analyse ait été faite par des guignols, en l’occurence les Guignols de Canal + du 30 novembre 2010, où tout est dit en 60 secondes, et qu’aucune critique de la méthode n’ait été déchiffrée par les média(s ?) « sérieux ».
                       

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