16 mars 2008 : à tous les coups, on perd !
L’édition 2008 des élections municipales et cantonales est un véritable retour sur la terre ferme pour la classe politique.
Le soir d’une élection, les seconds (ou premiers) couteaux de la politique française se retrouvent habituellement dans les studios de télévision et s’évertuent à affirmer que leur parti, leurs idées, leurs candidats ont finalement gagné les élections ou, du moins, s’en sont bien tirés.
Et puis, ensuite, ils cherchent à trouver une sorte d’interprétation psychanalytique du souhait des électeurs qui, plus terre à terre, n’ont émis qu’un vote individuel sur des motivations très personnelles (avec des critères parfois très arbitraires et qui n’ont rien de politique), et réussir à dégager de la somme de tous ces votes une philosophie générale relève d’un exercice de style fort élégant, mais un peu vain.
À côté du second tour des élections municipales, ce 16 mars 2008, au taux d’abstention assez élevé pour une telle élection, se tenait également le second tour des élections cantonales qui, dans les communes qui avaient déjà choisi leur maire le 9 mars 2008, ont connu un taux de participation dramatiquement bas.
Et pourtant, les conseillers généraux ont un rôle de plus en plus accru depuis les lois Defferre de 1982 sur la décentralisation. Les Conseils généraux poursuivent ainsi leur renouvellement (par moitié) dans la complète indifférence des électeurs.
Mais que disent les principaux partis politiques ?
L’UMP
L’UMP et ses alliés ont perdu de nombreuses villes, c’est indéniable : Périgueux, Reims, Metz, Amiens, Angoulême, Toulouse, Blois, Noyon, Strasbourg, Roanne, Brive, Thionville, Colombes, Asnières, Caen, Quimper, Saint-Étienne, Valence... sans compter celles perdues au premier tour : Chalon-sur-Saône, Dieppe, Vierzon, Rouen, Rodez, Alençon, Bourg-en-Bresse...
Le succès in extremis de Jean-Claude Gaudin et Renaud Muselier à Marseille, la victoire prévisible de Christian Estrosi à Nice, la résistance face à Jean Glavany à Tarbes, celle d’Antoine Rufenacht au Havre, celle de Serge Dassault à Corbeil-Essonnes, celle de Gérard Millet à Melun, celle d’Orléans contre le retour de Jean-Pierre Sueur... n’enlèvent rien au court échec à Angers ni à l’incapacité patente à reprendre Paris, Lyon, Dijon perdues par inadvertance en 2001 et désormais sous bon contrôle socialiste en 2008, ni au ton résolument rose de la soirée.
Pourtant, Xavier Bertrand, Patrick Devedjian, Roger Karoutchi, Valérie Pécresse, Rama Yade, Roselyne Bachelot, Christine Albanel... tous ont martelé la même chose.
D’une part, il y a rééquilibrage par rapport aux élections municipales de mars 2001, ce qui est évidemment faux pour Paris, Lyon et Dijon par exemple. Un argument qui était déjà dans les studios dès 19 heures hier soir.
D’autre part, ce ne sont que des élections locales, à caractère local, à enjeu local. Ce qui, pour le second tour, est moins évident quand (comme l’ont si bien rappelé des socialistes) un Premier ministre et un ancien Premier ministre font un meeting commun à Périgueux pour sauver le ministre de l’Éducation nationale.
D’ailleurs, le cas de Xavier Darcos, qui est l’un des ministres qui tient le mieux la route au gouvernement, est un peu navrant, car il n’était justement pas de ces maires sortants qui voulaient s’accrocher à leur mandat jusqu’à leur mort. Il ne voulait pas vraiment aller à la bataille, mais on l’a encouragé car il était le seul, par sa stature nationale, capable de ne pas perdre Périgueux qui est sociologiquement moitié à droite moitié à gauche.
L’argument du caractère local est d’ailleurs très vite oublié quand il s’agit ensuite d’interpréter le vote. En gros, selon les orateurs de l’UMP, les électeurs ont toujours confiance dans la politique du gouvernement, mais il faut aller plus loin, faire plus de réformes (« faire des réformes » ne signifie strictement rien : de quelles réformes parle-t-on ?) et avoir des résultats.
Or, c’est une interprétation d’incidence nationale et pas locale. Comment peut-on interpréter ainsi ? Comme il n’existe pas monsieur électeur moyen pour confirmer ou infirmer, toutes les interprétations sont donc bonnes à dire... sans risque de démenti.
En gros, pour l’UMP, ces élections sont donc un grand encouragement pour approfondir la politique gouvernementale. Très fort.
Le PCF
Le Parti communiste français avait vécu un véritable effondrement de son électorat à l’élection présidentielle d’avril 2007, mais déjà en juin 2007, il avait réussi à sauver valeureusement les meubles en préservant son groupe à l’Assemblée nationale.
Hier soir, pas de Calais ni de Corbeil-Essonnes, mais Dieppe, Vierzon... bref, quelques succès et de nombreuses réélections de maires communistes qui montrent une nouvelle fois l’excellent ancrage local et la bonne implantation des communistes.
Pourtant, ils doivent la plupart de ces réussites à l’archaïque union de la gauche (qui date de 1971 !!!) avec les socialistes et les radicaux de gauche (parfois les écologistes).
Et quand leurs partenaires veulent reprendre l’avantage sur eux... ils réussissent parfois.
L’exemple le plus frappant est en Seine-Saint-Denis où Claude Bartolone a affirmé que le Conseil général serait désormais majoritairement socialiste et qu’il serait probablement son président.
Ou à Montreuil où Dominique Voynet réussit avec 55 % à déloger les communistes.
Le Parti communiste a finalement une évolution typique des radicaux si importants entre les deux guerres, mais en lent déclin national : une forte implantation locale, de nombreux élus, mais une baisse d’audience nationale évidente et... définitive (forcément depuis la chute du Mur de Berlin).
Les Verts
Chez les Verts, on se réjouit de quelques beaux scores, comme à Grenoble... et puis de la victoire symptomatique de Dominique Voynet à Montreuil.
Mais, concrètement, les Verts ne représentent plus beaucoup de poids politique au niveau national et ne servent que de caution environnementale aux socialistes.
Ainsi, à Paris où ils passent de 12 % environ en 2001 à 6 % au premier tour, les Verts vont étrangement rester dans la municipalité de Bertrand Delanoë alors qu’ils sont avant tout quasi totalitaires sur les questions de circulation et de stationnement.
Sans assistance respiratoire des socialistes, les Verts ne valent plus beaucoup... mais réussissent concrètement mieux que le MoDem à Paris malgré un électorat nettement plus réduit grâce à l’inévitable jeu des alliances auquel n’a pas pu accéder le MoDem.
Le MoDem
Au premier tour, il y avait de nombreuses villes qui affichaient des scores attrayants pour le MoDem.
Hélas, les seconds tours sont rarement positifs pour le MoDem depuis l’élection présidentielle de 2007.
Certains maires sortants ont réussi, certes, à se faire réélire : Biarritz (Didier Borotra), Saint-Brieuc (Bruno Joncour), Massy (Vincent Delahaye), Fleury-lès-Aubrais (Pierre Bauchet). La victoire prévisible de François de Maizières à Versailles est intéressante aussi.
Mais, parmi les deux villes symboles, il y a deux échecs.
À Paris, devenues nues, les listes du MoDem (trois au second tour) ont à peu près préservé leurs bons scores du premier tour malgré le principe du vote utile, mais, à cause du mode de scrutin, elles ne sont parvenues à n’obtenir qu’une seule élue, Marielle de Sarnez.
Et puis l’autre ville phare, c’est Pau où François Bayrou a raté de peu l’élection. Le maintien du candidat UMP a permis à la candidate socialiste de gagner avec trois cents voix d’avance. François Bayrou avait le ton blafard des mauvais jours.
Il a eu beau dire, hier soir, que tous ces résultats montrent qu’il y a une forte instabilité de l’électorat, il y a dix mois très majoritairement pour l’UMP, aujourd’hui, pour les socialistes qui n’ont pourtant pas changé, n’ayant toujours pas ni projet ni leader, et que cela nécessite, pour réduire cette ‘stérilité’ des institutions, l’existence d’un Centre fort pour stabiliser l’électorat.
Étrangement, il reparlait de centrisme alors qu’il voulait uniquement se faire appeler ‘démocrate’.
Certes, le MoDem est un projet de longue haleine, et a montré sa grande capacité à nuire : à Saint-Étienne avec le maintien de Gilles Artigues, à Quimper avec le maintien d’Isabelle Le Bal, sans doute la cause réelle de l’échec palois de François Bayrou, car ces maintiens au second tour ont fait maintenir le candidat de l’UMP à Pau.
Julien Dray faisait remarquer que là où le MoDem était allié avec l’UMP, il échouait (comme à Pau, Toulouse, Colombes, etc.) et là où il était allié avec le PS, il réussissait (Lille, Lyon, Grenoble, Dijon, etc.). Ce qui est évidemment une lecture tronquée de la réalité car Marseille et Melun, par exemple, ont échoué pour le MoDem. Cette observation n’est que le corollaire d’une vague réelle qui a favorisé la gauche (l’électorat de la majorité présidentielle s’étant peu mobilisé pour ces élections).
L’échec de François Bayrou pourrait cependant le ramener à s’occuper un peu plus d’autre chose que de Paris et Pau seulement. La situation du MoDem à Strasbourg ou à Lyon, par exemple, plongée dans une inextricable confusion, a montré de façon éclairante que François Bayrou s’est peu préoccupé de la situation nationale pour ces élections (le plus frappant fut sa déclaration télévisée du 9 mars 2008, au soir du premier tour, où il n’évoquait que son cas égocentré de Pau alors qu’il est un leader national).
Il reste que le MoDem a maintenant deux années électorales qui pourraient lui être très profitables : les européennes de juin 2009 et les régionales de 2010 car le mode de scrutin proportionnel pourrait redonner au MoDem des élus plus à la hauteur de son audience réelle dans le pays.
À lui de bien les préparer.
Le Parti socialiste
François Hollande, à la diction lente et très hésitante hier soir à Tulle, a voulu faire cocorico : tous ces villes acquises à la gauche et plus particulièrement aux socialistes, et aussi, sept à neuf présidences de Conseils généraux gagnées en plus de 51 déjà sortantes. Il s’y croyait déjà. Il se voyait déjà président d’une République parallèle, envoyant ses ordres aux élus locaux sur les politiques à suivre (mais dans quel État vit-on ?).
C’est incontestablement un succès quantitatif qui pourrait même faire gagner au PS entre dix et trente sièges lors du renouvellement du Sénat en septembre 2008 sans toutefois que cela soit suffisant pour renverser la majorité sénatoriale.
Mais à bien écouter les différents intervenants socialistes, hier soir, qui ont au moins réussi à ne pas évoquer l’avenir du PS, y compris Ségolène Royal (mais pourquoi l’invitait-on alors qu’elle n’était ni candidate ni responsable du PS ?) qui semble avoir encore une forte cote chez les sympathisants socialistes, on imagine bien que cette victoire locale de 2008, au même titre que la victoire des régionales puis des européennes de 2004, ne sont pas forcément un atout pour les élections nationales.
Et cette victoire objective est même un véritable piège pour le PS, un piège qui va le convaincre de rester au statu quo.
Absence de rénovation
Le PS est encore une machine qui fonctionne, à quoi bon la restructurer pour en sortir la réelle substance ? Car un tel débat interne ne pourrait que diviser en deux ce parti. On l’a observé en 2005 sur l’Europe, la confusion est restée totale pour le Traité de Lisbonne en février 2008.
Il y a deux socialismes : le réaliste derrière Dominique Strauss-Kahn par exemple (qui rêverait d’avoir la même destinée qu’un de ses prédécesseurs à la direction générale du FMI, Horst Köhler, actuel président de la République fédérale d’Allemagne, comme quoi, rien n’est impossible), et l’idéaliste altermondialiste d’un Jean-Luc Mélenchon par exemple.
François Hollande, qui est le Guy Mollet du PS depuis plus de dix ans, n’a cessé, très habilement d’ailleurs, de tournoyer autour de cette question.
À mon sens, tant qu’une voie n’est pas clairement posée (entre ces deux tendances), le PS n’arrivera jamais à reprendre le pouvoir au niveau national.
Absence de leader incontestable
Si en fait ! La seule possibilité pour reprendre le pouvoir sans afficher une cohérence idéologique, c’est d’avoir un leader qui transcende toutes les factions. Comme François Mitterrand ou même Lionel Jospin.
Mais il n’y en a plus aujourd’hui.
Au contraire, le succès très relatif de Bertrand Delanoë (il n’a gagné aucun nouvel arrondissement et reste dans une archaïque union de la gauche en se mettant tous les centristes à dos, chose peu raisonnable pour un éventuel second tour d’élection présidentielle) ne renforce pas nécessairement Ségolène Royal qui est toujours aussi creuse dans ses discours.
Le très grand succès lillois de Martine Aubry, qui a tout fait pour éviter de citer Ségolène Royal, la remet évidemment en scelle dans le ‘débat collectif’ au sein du PS.
Et d’autres leaders, plus ou moins nationaux, sont là à guetter pour avoir la part du gâteau socialiste : Laurent Fabius, très offensif, mais souvent de mauvaise foi, Jack Lang, Manuel Valls, Pierre Moscovici, au nouveau look de barbu séguinien, Julien Dray, Arnaud Montebourg, Jean-Christophe Cambadélis...
Bref, le PS est loin de revenir au pouvoir. Il s’aveugle de sa victoire de 2008, pourrait encore s’aveugler aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010, mais que compte-t-il faire donc pour préparer 2012 ?
Aujourd’hui, je ne vois rien se profiler en dehors du sourire autosatisfait de François Hollande.
Tout le monde a gagné ?
Je n’ai pas évoqué d’autres partis aux marges, comme la LCR qui a parfois obtenu quelques beaux scores (Clermont-Ferrand notamment) ni le FN qui aura quelques élus à Marseille et qui a aussi un peu résisté dans le Nord, mais qui n’a plus d’audience nationale (faute aussi de candidats).
Dans ces élections locales, loin de gagner, la plupart des appareils politiques ont en fait perdu.
Il n’y a que les électeurs qui ont gagné.
Forcément. Démocratie oblige.
Sylvain Rakotoarison (17 mars 2008)
NB : si l’UMP est cohérente dans son interprétation ‘locale’ des élections, il ne devrait y avoir qu’un mini-remaniement technique. Si c’était différent, cela voudrait dire qu’il y aurait une interprétation ‘nationale’.
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