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Accueil du site > Actualités > Politique > 18 juin : Napoléon De Gaulle (3/3)

18 juin : Napoléon De Gaulle (3/3)

« La pâle mort mêlait les sombres bataillons. D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France. Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance ; Tu désertais, victoire, et le sort était las. » (Victor Hugo, 1853).
« Rien n’est perdu parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. » (De Gaulle, 3 août 1940).



Ce 18 juin 2015 a marqué à la fois le début de l’aventure gaulliste et la fin de l’épopée napoléonienne. L’occasion de s’attarder sur les deux personnages les plus influents des deux derniers siècles.


Napoléon Bonaparte (1769-1821)

Stratège militaire incontestablement génial et précoce, Napoléon Bonaparte fut aussi un usurpateur cynique qui imita avec outrance toutes les tares de l’aristocratie, en créant sa propre noblesse avec un mélange d’ironie et de sérieux. Comme tout grand "animal politique", Napoléon a transformé son bluff en réalité historique : « Aussitôt que l’adversité qui fait éclater les vertus a touché le faux grand homme, le prodige s’est évanoui : dans le monarque on n’a plus aperçu qu’un aventurier, et dans le héros qu’un parvenu à la gloire. » (Chateaubriand, 1814).

Malgré cette personnification extraordinaire du despotisme éclairé (éclairé par les Lumières), Napoléon m’a toujours fait un effet contrasté. Envoyer des centaines de milliers d’hommes se faire massacrer pour envahir l’Europe par la force m’a toujours paru démentiel, même si lui, au moins, était courageux et présent sur le front des événements.

Et pourtant, il est indéniable que c’est par ses conquêtes (vite perdues au Congrès de Vienne) que les idées de la Révolution française, elles-mêmes issues des Lumières, ont pu se répandre dans l’Europe entière, en particulier les principes de notre devise nationale, la liberté, l’égalité, la fraternité. Que le pouvoir temporel procède des peuples (d’où l’essor des nationalismes) et pas du divin (d’où la laïcité, qui mit encore un siècle avant de s’établir et rien n’est acquis puisque la question de la laïcité se pose encore aujourd’hui, pour une autre religion).

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Napoléon n’a pas été seulement le vecteur des idées révolutionnaires. Il était un excellent organisateur et un créateur original d’institutions qui existent encore aujourd’hui ; c’est grâce à lui que l’État est ce qu’il est, avec des administrations modernes, des préfets, avec la Cour des Comptes (16 septembre 1807), avec un code civil (promulgué le 21 mars 1804) qui perpétue les idées révolutionnaire au-delà des changements de régime politique, avec le code pénal (promulgué le 12 février 1810), avec les cours d’appel et la cour de cassation, avec le franc Germinal (7 avril 1803), avec les chambres de commerces (24 décembre 1802), avec la Banque de France, avec le cadastre du territoire, avec les conseils de prud’hommes (18 mars 1806), avec le baccalauréat (17 mars 1808), avec des écoles prestigieuses qui forment l’élite de la nation (comme Saint-Cyr le 1er mai 1802), avec la Légion d’honneur (19 mai 1802), avec le règlement de la Comédie française, etc. Napoléon a même eu l'audace d'aller voir Goethe pour lui dire de réécrire ses écrits !

La Constitution de l’an VIII appliquée à partir du 25 décembre 1799 (Consulat) a apporté une véritable rationalisation du processus parlementaire, avec un Conseil d’État, bras technocratique de l’Exécutif, chargé de rédiger le texte des projets de lois, et des assemblées chargées séparément de les discuter, de les voter (ou pas) et de valider leur conformité avec la Constitution (rôle du Conseil Constitutionnel sous la Ve République).

Parmi les réalisations architecturales, à Paris : l’Arc de Triomphe de la place de l’Étoile (renommée De Gaulle), l’Arc du Carrousel, la colonne Vendôme, la rue de Rivoli, la Madeleine, le Palais Brogniart, le Palais d’Orsay, le pont des Arts (et deux autres ponts), etc. mais aussi la ville de Roche-sur-Yon, la place Bellecour à Lyon, etc.

Napoléon est donc un tout, et un peu comme la Révolution selon Clemenceau, il est un bloc à prendre ou à laisser.


Charles De Gaulle (1890-1970)

Il est un peu plus facile de se faire une idée de De Gaulle car il est contemporain de bien des personnes qui vivent encore aujourd’hui. On s’est à mon avis longtemps trompé en croyant que le gaullisme était un bonapartisme. C’est vrai que lorsqu’il a "pris" le pouvoir à Londres à partir de juin 1940, il n’avait aucune légitimité démocratique (les nazis n’en avaient pas plus à envahir la France). Mais c’est ce que j’expliquais plus haut, il a représenté la France malgré lui, à cause de l’énorme vide laissé par la classe politique : il aurait voulu que des anciens ténors du gouvernement, à commencer par Paul Reynaud, mais aussi Georges Mandel, alors Ministre de l’Intérieur (du 18 mai au 16 juin 1940), etc. l’accompagnassent et représentassent la France auprès de Churchill et Roosevelt à sa place. Il aurait préféré que des notables de la politique française, avec leur réputation, leur expérience et leur habileté, le remplaçassent. Il n’était qu’un militaire et n’avait aucune vocation à devenir un politique.

On a aussi voulu diviser De Gaulle en deux époques, le De Gaulle du 18 juin (admissible) et le De Gaulle du 13 mai (contestable) et ce dernier, aurait été de la graine de dictateur selon François Mitterrand : « Désormais les minorités violentes pourront impunément et victorieusement partir à l’assaut de la démocratie. (…) Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. » (1er juin 1958). Or, cela n’a jamais été le cas. De Gaulle, bien que d’origine catholique du Nord (et influencé par un certain royalisme à l’époque de sa naissance), a toujours été républicain.

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Et dans sa conférence de presse du 19 mai 1958 au Palais d’Orsay, qui résonne dans le cœur de l’Histoire de France autant que la formule de Pétain sur le don de sa personne à la France, De Gaulle s’est presque énervé à une question : « Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ». Argument d’autorité dit avec l’ironie des pirouettes, et le véritable argument était intervenu quelques minutes avant : « Les pouvoirs de la République, quand on les assume, ce ne peut être que ceux qu’elle-même vous aura délégués. Voilà pour les termes qui me paraissent parfaitement claires. (…) La République, il fut un temps où elle était reniée, trahie par les partis eux-mêmes, et moi, j’ai redressé ses armes, ses lois, son nom ! ». C’était d’autant plus vrai qu’il ne s’est jamais accroché au pouvoir, démissionnant de la tête du gouvernement le 20 janvier 1946 (cela aurait été un peu plus tôt sans le mariage de son fils qu’il ne voulait pas gâcher) et une seconde fois, après son retour, le 28 avril 1969.

Aujourd’hui, De Gaulle doit se retourner souvent dans la tombe. Lui, le pragmatique, on lui fait désormais dire n’importe quoi quarante-cinq après sa mort. Il a même été récupéré par ceux qui l’ont toujours détesté, par ceux qui estiment encore en 2015 que Pétain n’était pas si mauvais bougre que ça. On croit rêver ! Les europhobes aussi l’ont récupéré mais à tort. De Gaulle avait la notion de l’intérêt de la France et c’est pour cela qu’il fut le premier à avoir appliqué le Traité de Rome qui avait été signé un an avant son arrivée au pouvoir.

C’est Jean-Marcel Jeanneney qui l’a convaincu de ne pas remettre en cause le Traité de Rome. Par ses liens historiques avec Konrad Adenauer, et en signant le Traité de Paris du 22 janvier 1963 qui installa dans les textes l’amitié franco-allemande (il avait ressenti de la fascination pour l’esprit allemand lors de la Première Guerre mondiale), De Gaulle a sans doute été parmi les dirigeants français qui ont le plus fait pour la construction européenne. Malgré ses réticences, c’est bien lui qui a fait vivre en France les premières années de la Communauté Économique Européenne dont il a épousé tous les objectifs (lire ou écouter à cet égard son allocution télévisée du 28 décembre 1958).


L’homme (ou la femme) providentiel du XXIe siècle ?

Napoléon Bonaparte pour le XIXe siècle, Charles De Gaulle pour le XXe siècle… On voit bien qu’en 2015, alors que notre siècle est déjà bien avancé, il manque à l’évidence une nouvelle personnalité historique pour façonner la France du XXIe siècle.

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Mais, est-ce une époque à personnalité providentielle, justement ? Peut-être pas. Les temps sont à la transparence, à l’information galopante qui place les citoyens sur le même pied d’égalité que les gouvernants, ce qui renforce les exigences d’exemplarité et d’intégrité, mais qui incite aussi les gouvernants à plus d’humilité et de sobriété.

Et puis, le besoin de personnalité exceptionnelle se fait en période exceptionnelle. Certes, le monde est en crise structurelle profonde dans son modèle économique et social. Néanmoins, cette situation est loin d’être comparable avec la situation d’une Europe voire d’une planète à feu et à sang tant en 1815 qu’en 1940. Jean-Baptiste Duroselle avait décrit ce côté Jeanne d’Arc de De Gaulle : « Cette idée de mission, ce mélange de grandeur et de consciente humilité, donnent une allure déconcertante au personnage dans le jeu des événements ordinaires. Il était fait pour le drame. » (1955).

Finalement, c’est peut-être mieux ainsi, avoir un État moins fort, plus de considération pour les personnes, leurs opinions, leurs initiatives, leurs entreprises, leurs talents, leur mérite, mais cela supposerait aussi une condition : ne pas tout attendre de celui qui sera élu à la prochaine élection présidentielle. Sinon, nous serions condamnés perpétuellement à faire de l’Élysée-bashing, Nicolas Sarkozy avait inauguré cette République électronique et François Hollande continue de servir de cible aux citoyens contribuables salariés consommateurs désabusés. Il est probable d’ailleurs que la personne qui sera élue le 7 mai 2017 sera rapidement contestée par ses propres électeurs quelques mois plus tard…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Congrès de Vienne.
Victor Hugo.
De Gaulle.
Les valeurs du gaullisme.
L’héritage du gaullisme.
Péguy.
Pétain.
Hitler.

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4 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 25 juin 2015 13:28

    Excellent article++++

    Bonaparte fut acceptable...Napoléon par contre fit de l’Europe un immense cimetière pour y piller ses richesses (comme en Egypte et en Espagne..)
    De Gaulle était d’une autre trempe..un pur « Républicain » qui travailla à redresser la France (pari réussi..) mais déplaisait aux USA qui firent tout pour l’évincer....et comme le bon peuple de France est lobotomisé..un certain Pompidou (banquier..) pris sa place pour commencer à détruire notre pays...et depuis c’est un ballet incessant d’incompétents-mafieux qui finissent le travail.. !

    • jef88 jef88 25 juin 2015 15:04

      ben oui !
      De Gaulle et les américains ...
      cela aurait pu être un feuilleton commencé pendant la guerre !
      il tenait à la grandeur de la France !
      il tenait à la grandeur de l’Europe !
      mais il s’est fait avoir par la finance avec Pompidou puis Giscard...
      et depuis les français en pâtissent.
      son défaut ?
      avoir été élevé dans une atmosphère ou la guerre était prépondérante et la finance secondaire !


      • Werner Laferier Werner Laferier 26 juin 2015 12:03

        Faire l’apologie de dictateurs ne vous flatte en rien.
        Hormis d’être un imbécile heureux, qu’est ce qui vous guide ? La propagande ? L’extrémisme ?


        • Analis 29 juin 2015 21:31

          Napoléon fut certes un despote relativement éclairé, mais ce qui veut dire au final, un despote. Et il était animé d’une volonté de conquête militaire inextinguible. Il a voulu amener les idées du rationalisme révolutionnaire (libéral pour l’époque) en Europe, contre le passéisme des monarchies absolutistes, mais par la violence et la contrainte, comme les révolutionnaires qui l’avaient précédé. En fait, il a agi comme les néo-conservateurs qui ont amené par la force leurs idées libérales en Irak contre une dictature fermée. Au bout d’un moment, les européens ont fini par en avoir marre qu’on les oblige par la violence à changer dans le sens des idées des Lumières. Alors, on eut une Europe du congrès de Vienne qui fut certes conservatrice, mais pacifique et relativement éclairée et habitée de l’esprit des Lumières, à l’image de Napoléon, quoi...

          De Gaulle, lui, fut un Napoléon frustré. Encore pourvu d’un empire extérieur, il dut se résoudre à le diriger en sous-main à l’époque des décolonisations. Ce qui fut encore assez réussi, le néo-colonialisme se révélant même à bien des égards plus facile pour le colonialiste. Mais en Europe, il ne fut jamais doté d’aucune influence, et ne joua qu’un rôle très secondaire dans la seconde guerre mondiale. Il ne cessa de récriminer pour qu’on laisse à la France une grande influence, alors qu’aucune ne lui était due sur le terrain, et ne cessa de grandir son influence. Sans les alliés, De Gaulle n’était rien. La France était un pays vaincu en 1940, et qui le serait resté sans le rôle essentiel des USA, tant dans le débarquement que dans le soutien logistique à l’URSS. Que cela plaise ou non, c’était ainsi. La France, et De Gaulle qui avait tendance à se confondre avec elle, n’obtint un strapontin que grâce à l’influence de Churchill craignant de se retrouver isolé face aux deux grands (USA et URSS), Churchill qui pourtant n’appréciait pas De Gaulle et que ce dernier haïssait pour ne pas "reconnaître l’importance de la France". Il pouvait se montrer un peu ingrat. Ne réussissant ensuite pas à faire passer ses idées politiques en France après la guerre, n’appréciant pas de devoir composer avec une Assemblée, alors qu’il estimait que sa seule stature historique lui donnait le droit d’occuper la tête de l’Etat, comme son illustre modèle quoi, il se retira de la vie politique et ne revint qu’à l’occasion d’une grave crise politique qui aurait pu déboucher sur un régime militaire. Cela n’arriva pas, mais à la place on a quand même eu une Vème République aux tendances autoritaires indéniables. 

          Dans tous les cas, les dirigeants français ne se seront pas grandis en ne se rendant pas à la commémoration de Waterloo, et en s’opposant à la sortie d’une pièce belge commémorative. Non seulement ils auront montré qu’ils étaient mauvais perdants, ce qui ne provoquerait encore qu’hilarité sur leur immaturité, certes sérieusement préoccupante, mais plus grave, ils auront semé le doute sur la persistance de sentiments impérialistes chez eux. L’Europe est bien partie... 

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