2007, l’échec des blogs politiques en France ?
Après un an de campagne, on peut essayer de faire le point sur l’impact du Net politique en France. Ma conclusion : il ne se passera pas grand-chose en 2007 (au moins pas pour la présidentielle). Parce que si les internautes sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus « mobilisés » - ils ne le sont pas encore assez. Et parce que les stratèges des partis n’ont pas encore compris comment proposer un message susceptible d’être « viralisé ».
Laissez moi qualifier ça. Il se passe évidemment déjà des choses - et l’impact du Net se fait sentir. Les gens échangent, les blogs (qui ne sont devenus grand public que dans les derniers mois) se créent. Ce billet en est la preuve. Pourtant, tout ça se passe (toujours et encore) dans un microcosme (principalement) parisien. Combien y a-t-il de blogs politiques vraiment actifs en France ? 300 ? 400 ? 500 ? Si on imagine 1500 blogs, ramenés au nombre d’abonnés ADSL en France (mettons 11,5 millions), ça donne 0,1%. Pas de quoi remuer une montagne. Si on fait confiance aux décomptes de Loïc Le Meur & cie, via pointblog, il paraît qu’il y a trois millions de blogs en France. Haaa, ben voyons. Allez faire un tour sur ces blogs pour voir la teneur du contenu (un exemple au hasard, qui vaut pour 80% des blogs français)... Quand on est "au coeur" de la blogosphère, normal qu’on soit porté à l’emphase. Je me méfie de ces chiffres au parfum de 1999 : un blog gratuit chez Typepad, ça compte parmi les trois millions ? Allez, même 15 000 blogs "signifiants", ça ne fait jamais que 1%.
Ou alors, imaginons-nous que les « citoyens » n’ont pas besoin d’avoir un blog pour contribuer, influer, tchatcher ? Je ne le crois pas non plus. Parce que pour contribuer à un blog, il faut oser (on regarde longtemps avant de se jeter à l’eau) et il faut avoir un truc à dire. On ne va pas réagir juste pour dire « ha oui, j’suis d’accord ! » - ou alors le blog où on ne trouverait que ce genre de contribution n’aurait aucun intérêt, et donc (rapidement) aucun impact.
Illusions
Justement, Vincent Feltesse du PS explique à Reuters qu’il a recruté 12 000 cybermilitants grâce à la galaxie Désirs d’avenir. Il veut en faire des « tchatcheurs qui devront relayer les messages du PS dans les forums de discussion ou encore des mondains, qui ouvriront leur carnet d’adresses Internet à la candidate. » Je demande à voir. A l’aune de la teneur des contributions sur Désirs d’avenir, je ne suis pas sûr que ces gens (même s’ils sont pleins de bonne volonté) aideront Ségo.
Quel message ?
Car le message de Ségo est finement construit autour de bribes, de slogans faciles à diffuser par les médias, de mots choisis pour vouloir dire ce que celui qui entend souhaite. Comment les tchateurs vont-ils pouvoir s’en emparer « efficacement » dans les forums de discussion ? Je ne vois pas. M. Feltesse a-t-il déjà participé à un tel forum ? La réalité c’est que la subtilité n’a pas sa place sur la plupart des forums en question. Alors, à quoi ça va servir, tout ça ?
Discipline
Koz s’inquiète d’une armée numérique de petits ségolistes en rangs serrés, qui vont venir placarder des affiches numériques sur les blogs adverses. Mais ça n’arrivera pas. Car personne, ni Feltesse, ni Ségo ni Sarko ne pourra forcer ces nouveaux intervenants dans la sphère politique à la rigueur et à la discipline du militant « pur jus ». Car soyons réalistes : de la même manière que c’est fatiguant de coller des vraies affiches, c’est fastidieux de lire des blogs sans intérêt (enfin : des blogs produisant une opinion clairement contraire à la sienne, pas très bien écrits, avec un contenu souvent copié-collé d’ailleurs) de réfléchir à des réponses, de les poster, de revenir, et de continuer. Ca n’arrivera pas. Servir la soupe. Presque par définition, les nouveaux adhérents, les nouveaux intervenants, les cybermilitants, ceux qui ont des blogs « signifiants », sont des gens qui chérissent leur liberté d’expression. Qui pourra les forcer à « servir la soupe » électroniquement et à répéter des bribes de message avec lesquelles ils ne sont pas forcément d’accord à 100% ? Pour que ces gens soient utiles au candidat qu’ils soutiennent, il faut qu’ils soient convaincus. La motivation est le facteur clé du succès du prosélytisme (numérique ou pas).
Motivation
Je pourrais parler de la mienne. Je blogue d’une manière structurée depuis presque deux ans, et à propos de (plus en plus) de politique depuis quatorze mois. Je fais des suggestions Internet à « mon » candidat (François Bayrou - qui n’en fait pas grand-chose pour l’instant, ni de celles des autres...) depuis le début 2006. Ben, je vais vous dire, ça demande de la suite dans les idées, de l’énergie - et du temps. Mon métier (consultant) me le permet, mais pour le reste... parfois je me dis que je devrais laisser tomber, que rien ne sortira de tout ça, que ça ne vaut pas le coup. Puis je recommence. Combien feront ça parmi les 12 000 de Feltesse ?
Revenons aux idées
Pour que l’Internet soit cet « outil à propager des idées » que nous imaginons tous, il faut que les idées en question soient partagées par les évangélistes. Je crois bien que les stratèges Internet du PS et de l’UMP n’ont pas (encore) compris. Ils ont zappé l’étape « idées » ; enfin, plutôt, ils sont toujours dans un monde où la panoplie d’idées est façonnée par les « stratèges » puis diffusée par les militants. Mais ça ne marche plus comme ça. Et constatons aujourd’hui que ça ne marche pas pour l’instant...
Conditions
Pour que l’Internet devienne « viral » (je transmets, tu transmets, nous transmettons), il faut donc soit que l’idée à diffuser soit simple (« J’ai aimé ce film, tu l’aimeras aussi »), soit que la motivation de l’évangéliste soit forte, très forte. Aussi puissant qu’il soit, l’outil ne peut pas compenser la motivation de l’utilisateur. Aux Etats-Unis, ceux qui utilisent le Net pour faire la différence en politique depuis quatre ou cinq ans sont extrêmement motivés et sont surtout... Américains.
Cette différence culturelle quant au rapport avec un parti, un élu, un candidat, est cruciale. En France, c’est toujours vaguement « mal vu » de s’engager, de soutenir un homme (ou une femme). Ou au moins, ça intrigue. Aux Etats-Unis, c’est normal : dès l’adolescence, tout le monde s’engage pour une cause ou une autre - et en parle autour de lui. C’est là que le bât blesse : en France, surtout au sujet de la politique, c’est plus difficile. Alors cette différence devient un gros problème quand on voudrait que les gens « transmettent la bonne parole. » Selon moi, pour l’instant, les Français utilisent le Net de plus en plus, et bloguent de plus en plus, oui, mais pour râler, pas encore pour construire. Le Web 1.0 de la politique, en quelque sorte...
Alors, et vous, qu’est-ce que vous en dites ?
+
Note 1 : Feltesse explique que, selon lui, les 300 000 voix qui manquaient à Jospin en 2002 auraient pu être « mobilisées » grâce à un appel par e-mail - si la base de données avait existé. Comme aux Etats-Unis, chez les républicains pour Bush en 2004. Possible, car là, le message aurait été simple : « Mobilisez-vous pour Jospin. Tout de suite. » Or je crois qu’en France, aucun parti ne dispose d’une base efficace pour cette élection. La prochaine fois, sûrement.
Note 2 : Un des co-managers de l’effort Net à l’UMP est Claude Malhuret, un des fondateurs de Doctissimo. Comment se fait-il que l’UMP ne capitalise pas son expérience des forums, sachant que les forums Doctissimo sont les plus actifs de France et que le sujet « santé » est le premier sujet sur la Toile ? Surprenant, a priori. Quoique : c’est sans doute la preuve que les caciques de l’ancienne génération ont encore le manche...
Note 3 : Indépendamment de la nature, ou de la structure du message de Ségo, il faut bien admettre que l’effort Désirs d’avenir est un succès indéniable. Mais pas pour ce dont rêve Feltesse. Succès, car cet outil (et le buzz associé) a permis de créer une dynamique sur le terrain de gens qui veulent se mobiliser mais ne savent pas comment s’y prendre. Là, ils ont un truc à quoi se raccrocher. Mais le problème, c’est de transformer l’essai ; et pour ça, il faut un message « diffusable ». Mais pas le même que celui véhiculé par TF1...
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