A grand pouvoir...
Tout le monde guettait les signes. Certains étaient encourageants. D’autres non.
Un jour, on apprend que statistiquement, il y a de fortes chances pour que la tendance s’inverse, qu’une correction s’effectue après un premier mouvement d’humeur. Les listes fusionnent assez facilement malgré quelques accrocs, tous les espoirs sont permis. Sauf à Marseille, ou c’ était foutu d’avance, l’ombre de Guérini étant trop pesante.
Le lendemain, les chiffres du chômage tombent, et ils ne sont pas bons. Pas bons du tout malgré les efforts du gouvernement.
Puis une dernière info tombe. Après une année de baisse, le pouvoir d’achat des Français a remonté. + 0,3 %, insuffisant pour effacer les - 0,9 % de l’année précédente, mais un signe encourageant quand même, un rayon de soleil dans un ciel gris.
Malheureusement, l’info tombe après le second tour. Aurait-il changé quoi que ce soit ? Au vu de la tendance, sans doute pas.

Le pays s’est réveillé avec une quadruple gueule de bois.
Issue de la fête au FDG, qui résiste et qui se paye le luxe de prendre quelques municipalités. Au FN, qui réalise son grand chelem personnel : 15 villes, et plus de 1000 conseillers municipaux.
Marine est contente, cela fait 15 suffrages de grands électeurs faciles à trouver pour 2017. Elle qui se plaint d’avoir du mal à les réunir à chaque occasion…
A l’ UMP aussi, qui n’aurai jamais imaginé un scénario aussi favorable, même si beaucoup disent que le succès du parti est plus une victoire à la Pyrrhus qu’autre chose.
Et au PS aussi, mais pour d’autres raisons. Si les premiers ont fait la fête, au PS, c’est la déculottée du siècle. C’est 1983, 1992, 2002 tout à la fois.
Malgré ce que l’on peut en dire, les socialistes n’ont jamais fait les choses à moitié !
L’étude de l’électorat le montre bien : si l’ UMP l’emporte, ce n’est pas pas adhésion, mais par défaut : l’électeur PS n’est pas sorti de chez lui, ou a choisi un autre parti.
Les médias et les gouvernants le répètent à l’envi : les Municipales sont un scrutin local. En tout cas, quand ils le perdent. En cas de succès, c’est un « encouragement à la politique du gouvernement ».
Les électeurs, eux, ont un autre point de vue. C’est un scrutin local dans les petites localités, et un référendum-défouloir dans les grandes villes.
C’est dommageable car ils vont devoir vivre 6 ans avec l’expression de leur mécontentement. Mais ils sont grands, ils savent ce qu’ils font. En théorie.
Car après la curée, vient le moment des explications. On veut savoir pourquoi, comment, et qui blâmer pour ce résultat détonnant.
Et si on regarde bien, tout le monde a une part de responsabilité. Ce n’est pas qu’ une histoire de colère, de rage, de déception. C’est le résultat de 40 ans de politique intérieure française, tous bords confondus.
Qui est responsable ?
Le Président.
Pourquoi ?
- Il a promis beaucoup, et les résultats n’arrivent que lentement, et incomplètement malgré ses engagements.
Le mouvement de réforme est lancé, mais les mesures pour contrer la montée du chômage ne sont pas suffisantes. Soyons justes quand même : sans croissance, pas d’emploi nouveau. Tous les économistes le disent. Mais nous vivons encore dans l’illusion que l’action politique est déterminante pour lutter pour l’emploi alors que c’est l’action sociale et économique qui peuvent assurer l’inversion de la courbe maudite.
Nous avons notre rôle à jouer, mais depuis 40 ans, nous ne le faisons pas. Pire, nous tirons contre notre camp depuis tout ce temps. Tout a commencé quand l’ouvrier a choisi d’acheter la chemise à 15 francs made in Bangladesh au lieu de la limace à 40 francs faite dans le Nord.
Le pays avait une industrie qui couvrait l’ensemble des biens de consommation. Quand les industriels ont vu qu’ils pouvaient délocaliser et par là même augmenter leurs profits, ils ne se sont pas gênés, vu que les salariés préféraient mettre 2990 francs sur le téléviseur couleur made in Japan au lieu des 4990 demandés pour l’appareil assemblé en Bourgogne au prix de l’instabilité professionnelle.
Bien entendu, à un moment, son tour est arrivé d’aller devoir pointer à l’ ANPE. Mais à ce moment, il était trop tard.
Qui d’autre est à blâmer ?
Le Premier Ministre.
Pourquoi ?
- Il est celui qui met en musique la partition du Président. C’est lui qui conduit la « politique de la nation ».
Il n’ était pas mauvais, objectivement, mais il ne correspondait pas au poste en ces temps troublés. Un bon gestionnaire dans une situation calme n’est pas forcément compétent en cas de tempête.
Surtout, il n’a pas su gérer son personnel, leurs états d’âme, leurs égos et leurs bavures. Sans parler d’un talent rare qui consistait à prendre de mauvaises décisions au mauvais moment, donnant l’illusion d’une navigation à vue, d’une incapacité à communiquer correctement en ces temps ou le paraître est devenu plus important que l’ être.
Qui d’autre peut-on blâmer ?
Les partis politiques.
Pourquoi ?
Ces groupes de personnes, nés au départ pour servir de vivier d’idées et d’incubateur d’idéologies, sont devenus avec le temps des agences de placement de personnalités aux postes électifs.
On peut invoquer une circonstance atténuante : le temps n’est plus aux idéologies. Elles se sont toutes effondrées, victimes de leurs limites et de leur impossibilité de muter sans se trahir elle-mêmes.
Cela est visible dans tout le spectre politique.
La LCR et LO n’existent que par leurs leaders. Même chose pour le FDG. L’idéologie qu’ils professent est cachée derrière les égos de leurs dirigeants.
Le PS est incapable de muter rapidement pour s’adapter aux changements sociétaux. Son guide d’action et de conduite est comme le dictionnaire de l’ Académie Française : périmé avant même de sortir.
EELV est plus connu pour ses querelles de chapelles que pour son action politique. Ce parti nous montre les limites de la démocratie totale.
L’UDI-Modem apparait plus comme un club de notables de province façon Rotary-club que comme un vrai rassemblement. La mise hors-course de Borloo pour raisons de santé livre un boulevard à un Bayrou revenu d’entre les morts mais son hésitation entre la gauche et la droite selon les sujets n’aide pas à stabiliser l’ensemble.
L’UMP, quoi qu’on en dise, est toujours au bord de l’implosion. Le succès du 30 mars est la couche de peinture brillante appliquée sur la tôle rouillée. Le parti souffre toujours de la rivalité Copé-Fillon, toujours sous la menace d’un retour possible de Sarkozy. Surtout, l ‘UMP souffre toujours du grand écart idéologique entre les gaullistes historiques et les néo-libéraux, sans parler des souverainistes et de la micro-faction catholique.
Le FN, enfin, a montré depuis longtemps le caractère familial du groupe. A moins d’entrer dans le sérail familial, impossible de pouvoir jouer en première ligne. Le succès médiatique enregistré porte le groupe aux nues. Au risque d’oublier que la Roche Tarpéienne est très proche du Capitole. Le FN a senti le boulet à plusieurs reprises. Gageons que la chance ne durera pas éternellement.
Il existe bien entendu d’autres partis. Mais soyons lucides. Chevènement, Dupont-Aignant, Boutin et autres ne représentent qu’eux-même.
Mais le principal responsable, c’est quand même le Français. Nous.
Pourquoi ?
On blâme le politique car cela est facile. Personne médiatique, on en voit facilement les manques et les tares.
C’est plus compliqué pour le FM. Français Moyen.
En fait, le politique n’est qu’une image à peine déformée de nous-même. Nous aimons blâmer sa conduite, mais au final, nous savons que si l’occasion se présentait, nous ferions de même. Nous le savons, et cela nous met en colère contre nous-même.
Il suffit de bien se regarder pour cela.
- Nous blâmons le président pour la lenteur des réformes.
Mais quand une réforme est présentée, les syndicats se précipitent dans la rue pour la contester et la rejeter. Parfois même sans savoir ce qu’il y a exactement dedans.
C’est une variante du syndrome NIMBY : Not In My backyard. Pas dans mon jardin.
Un réflexe qui nous pousse à exiger une chose, mais à en refuser les inconvénients pour soi-même. Je veux une nouvelle école pour mon fils, mais pas devant chez moi, ça fait trop de bruit et il y aura les embouteillages. Je veux une nouvelle décharge, mais pas à coté de chez moi, ça va faire baisser la valeur des maisons du quartier. Je veux une gare TGV, mais je ne veux pas de la ligne, les trains font du bruit.
Pour faire pression, syndicats et partis opposés font valoir leur menace du bulletin de vote. Si tu essayes de réformer MON statut, je vote contre toi à la prochaine échéance.
C’est efficace : en 40 ans, le système social est devenu complètement sclérosé. Il continue de fonctionner, mais il est incomplètement financé et il faut recourir à l’emprunt pour garder le système en vie.
Résultat : on passe d’un endettement de 20 à 90 % du PIB.
- Nous exigeons du politique une probité et une honnêteté qui ferait passer une vestale pour une pute en comparaison.
Parce que vous savez, le politique, il doit être un exemple, tout ça.
Et dans le même temps, il vote et réélit le magistrat plusieurs fois condamné pour détournements de fonds publics, malversations financières et fuite des capitaux.
Mais bon, il faut comprendre. Il a permis de trouver une place en crèche pour le petit. Cela compte aussi.
Nous blâmons le politique quand il présente son fils ou sa fille à l’élection suivante. Népotisme, favoritisme, clientélisme, monarchie républicaine, tout ça.
Et dans le même temps nous trouvons normal de voir le fils reprendre la boulangerie ou la charcuterie de son père. Sans appel d’offre, de recherche d’autre boulanger ou charcutier qui pourrait apporter plus au quartier car meilleur dans son artisanat.
- Nous exigeons du gouvernement qu’il protège l’emploi, qu’il lutte contre les délocalisations.
Et dans le même temps, nous achetons une mobylette Dongfeng made in China au lieu d’une Peugeot faite à Sochaux.
- Nous protestons contre les réformes médicales, qui réduisent les taux de remboursement de certains médicaments. Nous nous indignons contre les industries pharmaceutiques qui font des profits avec des molécules douteuses.
Dans le même temps, on demande à notre généraliste plus de ce calmant qui fait du bien, et tiens, une semaine d’arrêt de travail aussi car on se sent patraque.
- Le travailleur qui perd son emploi proteste contre le gouvernement qui ne fait rien contre l’usine qui ferme. Il a une famille à nourrir, un crédit à rembourser, il a peur.
Mais son emploi était menacé par son obsolescence. Est-il normal, utile, moral de préserver la corporation des tailleurs de plume d’oie face à l’imprimerie ?
Ne serait-il pas plus productif pour tous de faire du tailleur un imprimeur ou toute autre travailleur du même secteur ?
Florange en est un exemple parfait : le site était condamné depuis les années 80 et la fermeture des mines de Lorraine. Fallait-il tout faire pour continuer à « travailler et vivre au pays » au lieu de créer des sites sidérurgiques là ou se trouvent désormais les minerais, c’est à dire les ports ?
Le choix de la préservation du local s’est imposé ici. Les Pays-bas et l’ Espagne ont fait le choix inverse.
On voit le résultat : Florange n’est plus, et Rotterdam et Barcelone fondent l’acier jour et nuit.
On m’ objectera que Hollande n’avait pas à en faire une promesse.
Certes.
Mais soyez francs. S’il n’avait pas fait cette promesse, vous le lui auriez reproché !
Il est clairement plus facile de voir la paille de l’oeil du voisin que la poutre dans le sien propre. Ce n’est pas une nouveauté, c’est même une constante.
C'est ce que voient les politiques. C'est ce qui explique en grande partie leur schizophrénie entre paroles et actes. Au fond, ils ne font que se confermer à nos actions, à nos souhaits contradictoires.
Quand nous blâmons ceux qui nous gouvernent, c’est au final nous que nous contestons. Quand nous leur refusons nos suffrages, c’est nous, au final, que nous entravons.
La volée reçue par le PS aura au moins pour mérite de faire taire celles et ceux qui s’imaginent vivre dans une dictature socialo-communiste. Si cela était vrai, le PS aurait réuni 95 % des suffrages ! C’est toujours cela de gagné.
Le choix existe toujours, malgré ce que l’on peut dire ou penser.
Mais il est vrai qu’il n’a jamais été dit qu’une des options devait forcément nous plaire !
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