A l’aube du deuxième tour, les vrais rapports de force
A quelques jours du second tour des législatives, il est crucial de bien saisir les rapports de force entre les différents partis. Parmi les 572 duels et la seule triangulaire de ces élections exceptionnelles à plus d'un titre, examinons les vrais enjeux locaux en fonction des personnalités en présence.
L'écrasante majorité de la République En Marche !
Inutile de le souligner une fois de plus, tant les chiffres sont impressionnants. Près de la moitié des candidats sont membres des deux alliés du Centre, entre partisans de Macron et de Bayrou (456 REM et 62 Modem). Même les quelques rares candidats sans étiquettes ayant réussi à se qualifier dans quatre circonscriptions (Morbihan, Marne, Manche et Charente-Maritime), sont en réalité des partisans de Macron n'ayant pas obtenu leur investiture officielle.
Mais cette prédominance ne doit pas nous faire oublier les duels qui en découlent. Le Centre majoritaire en train de se constituer affronte essentiellement des candidats de droite (dans 275 circonscriptions), bien plus que contre la gauche, nettement moins présente au second tour (136 duels pour 161 candidats maintenus). Le Centre sera bien le rempart contre le Front National et les autres candidats d'extrême-droite. Dans plus de cent circonscriptions, les candidats du Modem et de la République en Marche ! se retrouvent en face de frontistes, notamment dans la seule triangulaire dans l'Aube. C'est à peine si le Front National peut craindre d'affronter des partis traditionnels de droite et de gauche, largement affaiblis par leur déroute électorale (11 duels contre la droite et 6 contre la gauche).
En bref, on ne voit pas ce qui pourrait ralentir la dynamique du Centre, même si ces derniers jours ont vu fleurir les affaires contre le Modem et d'autres. En réalité, c'est la prédiction longtemps brandie par François Bayrou lors des élections prédisentielles précédentes qui se réalise sous nos yeux. Lorsque les analystes prédisaient une France ingouvernable, à la recherche d'une majorité improbable, son candidat prévoyait déjà que les électeurs lui auraient donné une Assemblée à la couleur de son parti en cas de victoire du Modem. Macron a réalisé ce dont Bayrou rêvait, lui fournissant au passage entre 30 et 50 députés, alors qu'il n'en disposait que de deux auparavant.
Une gauche et une droite en déroute
On le répète à l'envi depuis une semaine, mais le paysage politique français sort en totale décomposition à l'issue de ces élections successives. La première étape a été l'élimination des leaders "naturels" à l'occasion des primaires de droite et de gauche. Hollande, Juppé, Sarkozy, Fillon et d'autres ont été balayés tandis qu'une nouvelle génération apparaissait. Il ne reste plus que des partis déchiquetés qui s'apprêtent à perdre la plus grande partie de leurs sièges, et par là leur financement habituel.
A droite, les partis vont passer de plus de 200 élus, à moins de 100, selon les sondages. Les partis de gauche vont connaître une déroute pire encore, divisant le nombre de leurs élus par trois ! Seulement deux candidats écologistes ont pu franchir le cap du premier tour, alors qu'ils étaient encore douze élus siégeant à l'Assemblée à la fin de la législature en cours.
Le deuxième phénomène qui a accentué cet éclatement des partis traditionnels a été le choix de très nombreux députés sortants de ne pas se représenter. On a lu, ça et là des chiffres donnant environ deux cent départs. C'est en réalité 265 élus qui ont renoncé à se battre pour sauver leur siège, soit près de la moitié de l'Assemblée !
Bien entendu, quelques sortants, principalement socialistes vont sauver leur peau en passant sous les couleurs d'En Marche ! C'est le cas d'une vingtaine de circonscriptions sur les trois cents sièges à renouveler.
Le rapport des forces à droite
Les Républicains et leurs alliés représentent près d'un tiers des candidats encore en lice pour le deuxième tour. Comme à chaque élection, des duels fratricides auront encore lieu dans une dizaine de circonscriptions et des combats traditionnels contre les partis de gauche se dérouleront une quinzaine de fois. Mais quel sera l'effet du départ d'un bon nombre de "petits" élus ou cadres du parti vers le parti d'Emmanuel Macron entraînera-t-il automatiquement l'effondrement tant annoncé ? Si le mouvement se confirme, la droite traditionnel ne peut envisager qu'environ 80 députés dans la nouvelle Assemblée, dont une douzaine d'élus UDI qui seront très naturellement tentés de rejoindre leurs anciens amis de l'UDF au sein d'un Centre pro-européen et libéral.
Pour Les Républicains, tiraillés entre la tendance Wauquiez et une droite "sociale", vivre ensemble sera de plus en plus difficile. Un éclatement du parti unitaire créé sur mesure par Alain Juppé à l'époque de la réélection de Jacques Chirac, est devenu plus que probable. Plus aucun leader naturel ne se dégage du lot, dans un mouvement politique habitué à être dirigé par des "hommes providentiels".
Le rapport des forces à gauche
Le refus permanent de Jean-Luc Mélenchon de partager le pouvoir avec le Parti Communiste et les Socialistes a mené à un Waterloo électoral digne de Victor Hugo. Si les Insoumis se poussent du col en revendiquant une large victoire au second tour dans les circonscriptions où ils se maintiennent, il est fort peu probable que le miracle tant attendu survienne. En réalité, les Insoumis n'ont pas mieux réussi que les autres forces de gauche à survivre au premier tour. Avec le même nombre de candidats socialistes que mélenchonistes, la carte électorale est bien différente de celle qu'ils espéraient. Aujourd'hui les deux camps se valent (68 Insoumis, 13 PCF, 69 Socialistes et PRG et une vingtaine de divers gauche). C'est au soir du second tour qu'on comptera les cadavres.
Au total, on prédit une cinquantaine d'élus de gauche au lieu des 338 actuels ! C'est dans la répartition des sièges et la formation des groupes que tout se jouera. Comment vont se comporter les élus d'En Marche ! issus des rangs socialistes au moment de se grouper au Parlement ? La tentation ne sera-t-elle pas de se retrouver entre anciens amis dès que les premières difficultés apparaîtront ?
L'avenir du Mouvement En Marche ! en question
Certains prédisent une Assemblée "violet" horizon peuplée de néophytes en politique. Comment va évoluer ce mouvement construit autour d'un seul homme ? Aujourd'hui, nul ne peut le prédire avec certitude. Selon les textes qui seront présentés, les mouvements sociaux inévitables à la rentrée et la présence ou non de candidats En Marche ! aux prochaines élections, le parti créé par Emmanuel Macron survivra ou se recroquevillera à l'instar de feu l'UDF.
Nous ne disposons pas de modèle précédent, sans remonter à la IIIe République, quand le Centre et la Gauche siégeaient ensemble. A l'époque, la Gauche Républicaine ou les Radicaux était un peu l'équivalent de notre En Marche !. Les Macron ou Valls s'appelaient Jules Ferry ou Charles de Freycinet. A gauche, les Léon Gambetta ou Georges Clémenceau jouaient les Mélenchon et Hamon. C'était un autre temps, avec une Assemblée élue au scrutin proportionnel, un Président élu pour sept ans.
La solution sera peut-être, lorsque les difficultés menaceront l'unité le mouvement du nouveau Président, de faire voter par sa majorité une nouvelle Constitution plus à même de restaurer le parlementarisme.
Diviser pour mieux régner ?
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