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Accueil du site > Actualités > Politique > A l’école politique des pirates : Batholomew Roberts

A l’école politique des pirates : Batholomew Roberts

Cruel pillard sans foi ni loi pour certains, fier aventurier épris de liberté pour d'autres, le pirate des XVII et XVIIIème siècles est indéniablement une des figures fortes de notre imaginaire collectif.

Mais la légende flamboyante de ces écumeurs des mers cache, comme toute légende, une réalité que peu connaissent : car qui connaît réellement les pirates ? Qui connaît l'histoire de leurs plus grands capitaines ? Qui connaît le sort réservé par les couronnes de l'époque à ces hommes que le droit nommait hostes humani generis, c'est-à-dire « ennemis du genre humain » ? Qui connaît leurs conditions de vie, leurs coutumes ?

Cette ignorance nous prive de grandes leçons que nous donnent par-delà les siècles les « gentilshommes de Fortune ». Car leur violence et leur cruauté, par ailleurs pas si révoltantes que ça si on les juge avec les critères de leur époque, n'enlèvent rien au fait que chaque équipage pirate constitute une expérience d'organisation de la vie en communauté. Entrer en piraterie implique en effet l'abolition des règles préexistantes à bord : or toute anarchie, au sens de désordre, serait suicidaire à bord d'un navire car tous ses occupants sont de fait « condamnés à vivre ensemble ». L'instauration de nouvelles règles, même tacites, est alors vitale.

Plusieurs équipages pirates optèrent pour des formes d'organisation absolument révolutionnaires pour l'époque et qui portent jusqu'à aujourd'hui un véritable idéal politique trop souvent oublié.

Cet article est le premier d'une série, d'une longueur indéterminée, qui aura pour ambition d'explorer l'apect politique de la piraterie des XVIIème et XVIIIème siècle.

Sujet du jour : Bartholomew Roberts, l'un des capitaines pirates les plus célèbres et les plus talentueux à avoir fendu les flots.

Son histoire nous est racontée dans ce qui constitue « la » source sur la piraterie de l'époque : l' Histoire générale des plus fameux pyrates, publiée au nom de Charles Johnson et attribué avec quasi-certitude à Daniel Defoe. Avec plus de cent pages, Roberts est le pirate qui s'y voit atttribué le plus long récit : aussi, si pour certains équipages le manque d'informations peut rendre ardu de dégager une leçon politique, cela ne sera pas le cas ici, et ce d'autant plus que Daniel Defoe nous livre la « Loi » que s 'était donnée l'équipage de Roberts (qui a, soit dit en passant, inspiré le « code des pirates » de Pirates des Caraïbes, avec lequel il a cependant bien peu à voir), ainsi que de précieux détails tels que la répartition des rôles entre capitaine et quartier-maître.

Tous ces éléments permettent de dégager ici la leçon politique que nous donne Bartholomew Roberts du fin fond de l'Atlantique, où il repose depuis le 10 février 1722, et qui peut être résumée en quatre grands axes : démocratie, égalité, solidarité, et séparation des pouvoirs.

1) Démocratie

Bartholomew Roberts était très loin de l'image de despote cruel traditionnellement accolée au capitaine pirate : la majorité du pouvoir revenait au final à l'ensemble de l'équipage.

Tout d'abord, la « Loi » qui régissait la vie à bord avait été choisie pa l'équipage lui-même, et non imposé par Roberts : Daniel Defoe nous raconte ainsi comment « comprenant qu'ils n'avaient formé jusque-là qu'un troupeau sans cohésion, ils établirent un code que chacun du parapher et jurer de respecter » (1).

En effet, la « Loi » que s'était donné l'équipage stipulait dans son premier article que« Tout pirate a le droit de vote pour les affaires d'importance » (2) : les décisions importantes sont prises à la majorité par l'ensemble de l'équipage. Ainsi, Defoe nous raconte comment les pirates « mirent aux voix la question de savoir s'ils cingleraient vers les Indes orientales ou le Brésil » (3).

On a donc ici affaire à une démocratie, au sens étymologique : le pouvoir (kratos) est exercé par le « peuple » (demos), c'est-à-dire ici l'équipage.

2) Egalité

On l'a vu dans la partie précédente, les décisions étaient prises à la majorité et chaque homme disposait d'une voix : l'égalité politique régnait donc à bord.

À cette égalité politique s'ajoute une égalité économique.

Pour ce qui est de l'accès aux vivres (sujet de la plus haute importance à bord de tout navire de l'époque, et d'ailleurs de toute époque), la Loi stipulait ainsi dans son premier article que « il [tout membre d'équipage] a droit égal, en tout temps, aux vivres frais ou aux liqueurs fortes et en use à sa guise à moins qu'une disette ne rende nécessaire des restrictions effectuées pour le bien de tous. ».

Concernant le partage des prises, sujet également central pour des pirates, la Loi indiquait que « Chaque homme doit être appelé à son tour, selon une liste dressée à l'avance, à bord des navires saisis, pour qu'il lui soit attribué, en plus de sa part de butin, un habit complet. » (article II) et que « Le capitaine et le quartier-maître recevront deux parts sur chaque prise ; le maître, le bosseman ou cannonier, une part et demie ; les autres officiers, une part et un quart. » (article X).

La Loi de l'équipage de Roberts apparaît ici comme une ancêtre du Manifeste des Egaux, où Gracchus Babeuf proclamera que « Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre [dans le cas des pirates il s'agissait plutôt des fruits du pillage] : les fruits sont à tout le monde ».

En effet, chaque pirate se voyait tout d'abord garanti du minimum, avec l'accès aux vivres et à un habit complet à chaque prise : la misère lui était donc étrangère, à moins qu'elle ne touche tout l'équipage.

De plus, si le partage du butin n'était pas absolument égalitaire, il l'était quand même beaucoup : ainsi Roberts, qui commanda jusqu'à trois bâtiments et plus d'une centaine d'hommes, ne reçut jamais plus de deux fois ce que recevait le dernier de ses matelots.

L'égalité, politique comme économique, était donc une composante fondamentale de la micro-organisation politique que s'était donnée l'équipage de Bartholomew Roberts.

3) Solidarité

Assez logiquement, cette attachement à l'égalité était associée à une forte solidarité, qui était organisée directement par la Loi.

Cette dernière prévoyait ainsi que « Celui qui, au cours d'un combat, perdra un membre ou sera estropié recevra huit cents dollars, pris sur la caisse de la compagnie. Les blessures plus légères donneront droit à des indemnités moins fortes, prélevées de la même façon. » (article IX) : ce n'est rien de moins qu'une Sécurité sociale avant l'heure, un siècle avant même les premières « caisses noires » des ouvriers des chemins de fer.

4) Séparation des pouvoirs

Le dernier grand principe de l'organisation politique ayant cours à bord du vaisseau de Roberts était celui de la séparation des pouvoirs : là encore, le mythe du capitaine pirate tout-puissant à bord est sérieusement écorné.

En effet, son rôle se réduit en fait à celui de chef militaire : il est le chef absolu pendant les combat et décide seul du sort des prisonniers. Il est élu par l'équipage, et ne dispose que de quelques privilèges (part de butin plus élevée comme vu plus haut, cabine plus grande) (4).

L'autre homme fort de l'équipage est le quartier-maître, qui occupe lui la fonction de « magistrat civil »,selon le mot de Defoe. Il punit les délits légers non prévus dans la Loi, répartit les prises et gère le butin de la compagnie. (5)

Il s'agit donc d'une séparation des pouvoirs (pouvoir militaire/pouvoir civil), avec qui plus est un équilibre entre ces pouvoirs. Le tout bien entendu sous le contrôle de l'équipage qui reste, on l'a vu, le seul véritable maître à bord.

Démocratie directe, égalité, solidarité, refus d'un pouvoir absolu : avec ces valeurs, nous sommes bien loin de l'image habituellement associée à la vie à bord d'un navire voguant sous le pavillon noir. Ces valeurs sont en effet celles de la gauche libertaire, de l'anarchisme, des Proudhon et des Bakounine, des Communards et des anarcho-syndicalistes espanols.

Et si les pirates étaient, au côté d'autres, des précurseurs, des ancêtres de cette tradition du socialisme libertaire ?

Peut-être pas tous, mais au moins quelques-uns, et Bartholomew Roberts et son équipage en faisaient partie.

 

(1) Daniel Defoe, Histoire générale des plus fameux pyrates, tome 1 Les Chemins de Fortune, Editions Phébus p.279

(2) Pour l'intégralité de la « Loi », voir Histoire générale des plus fameux pyrates, tome 1

Les Chemins de Fortune, p.279-281 ou http://fr.wikipedia.org/wiki/Bartholomew_Roberts#Le_code_des_pirates

(3) Histoire générale des plus fameux pyrates, tome 1 Les Chemins de Fortune, p.263

(4) Histoire générale des plus fameux pyrates, tome 1 Les Chemins de Fortune, p.282-283

(5) Histoire générale des plus fameux pyrates, tome 1 Les Chemins de Fortune, p.282


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4 réactions à cet article    


  • alberto alberto 3 octobre 2013 12:15

    Bien intéressant,

    Tu aurait aussi pu faire référence à celui-ci : il décrit aussi très bien les règlements régissant ls communautés des pirates et boucaniers. 

    Dans tous les cas la règle N° 1 était la solidarité. Mot devenu tabou dans les médias de nos jours !

    Bien à toi


    • gaijin gaijin 3 octobre 2013 12:20

      bon
      forcément je suis obligé de venir hisser mes couleurs dans vos eaux smiley
      juste un petit rappel de ce qui me paraît manquer au préambule : les pirates étaient souvent issus de la marine anglaise dont le recrutement se faisait par enrôlement forcé. leur avenir c’était l’esclavage, la mort ou la piraterie ......


      • vincent 3 octobre 2013 18:34

        Sur les pirates il faut absolument lire « aventuriers et boucaniers d’Amérique » d’Alexandre-olivier EXQUEMELIN .
        Témoignage d’un chirurgien embarqué pendant 20 ans dans le monde de la piraterie.


        • SDM 94 SDM 94 4 octobre 2013 00:11

          deux sites pour compléter la découverte...

          http://www.lavoilenoire.com/Index.html

          https://www.partipirate.org/

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