À propos d’un scrutin tronqué
Qui sont les vrais vainqueurs du 7 juin ?
Il est de coutume d’affirmer que toute consultation électorale est un sondage en “grandeur nature”. Certes, quand plusieurs millions d’électeurs se prononcent sur un choix, cela vaut mieux que quelques centaines de coups de fil passés par des sondeurs suivant un panel préalablement bien établi.
QUI SONT CES FRANÇAIS ?
En ce qui concerne le scrutin des européennes du 7 Juin, leur résultat nous pose cependant plus d’interrogations que de vraies réponses. Quand 6 français sur 10 ont préféré rester chez eux plutôt que de dire leur choix, on peut s’interroger sur le panel de ces 6 français-là : qui sont-ils, quelle est leur sensibilité, que pensent-ils réellement des choix proposés, pourquoi ont-ils préféré ne pas choisir ? Quant aux 4 autres qui ont voté, on peut se poser la même question, qui sont-ils, quelle est leur sensibilité, qu’est-ce qui a motivé leur choix, surtout dans un débat qui n’a pas eu lieu ?
Ni vous, ni moi n’avons de réponse à ces questions. Ce qui oblige à beaucoup relativiser ces résultats sortis d’urnes tant désertées. Mais quand certains s’appuient sur de tels résultats pour claironner ici et là leur propre vérité, on sombre fatalement dans une sorte d’irrépressible ridicule. Un travers qui n’a spécialement rien de bien nouveau dans notre ciel politique....
Alors, même si nous restons sur des interrogations sans réponses, nous ne pouvons que nous pencher sur ce qui traduit quand même certaines tendances, même si très relatives et paradoxales, dans l’opinion des français.
Paradoxe ? Oui, j’en perçois plusieurs.
PARTI SOCIALISTE
Le P.S. ? Il parait soudain agonisant. Est-il un mort en sursis ? Quoique je n’appartienne nullement à ce parti, je ne le crois pas. Le P.S. est peut-être mort en tant que grand parti centralisé, il reste cependant un grand parti. Il y a un an, (c’était hier !) il avait gagné les élections municipales et cantonales. Le 7 Juin, il a pris une sévère raclée. Rien ne permet de penser que demain il ne puisse faire un bon score aux futures régionales. Le problème du P.S. c’est pourtant que personne n’incarne en son sein le vrai grand parti réformiste, démocrate (au sens américain du terme, comme Obama), qu’il devrait être, un peu comme hier Mitterrand l’avait fait.... en éliminant, il est vrai politiquement, un à un tous ses concurrents. Comme un Cohn-Bendit a su s’imposer chez les “Verts”, ou un Bayrou au "Mouvement Démocrate". Il y avait bien au P.S. un Strauss-Kahn : il a brûlé bêtement ses cartouches. Il y avait un Fabius : mais il a fait le pari stupide de devenir anti-européen. Aujourd’hui, quoique regorgeant de gens intelligents - il y en a autant à gauche qu’à droite ! - le P.S. recherche désespérément un leader, mais dans une guerre fratricide entre courants inconciliables.... En attendant, le P.S. reste inaudible.
COHN-BENDIT
Les écologistes ? Ils seraient les surprenants “vainqueurs” du 7 Juin. Mais ils n’ont pas, malgré les apparences, complètement gagné. Le vrai vainqueur n’est pas l’idéal écologiste mais Daniel Cohn-Bendit. Entre les 2% des voix de Mme Voynet lors du dernier scrutin européen et les 16,5% de Cohn-Bendit, il y a un tel écart qu’on peut douter. Y aurait-il eu une récente Pentecôte écologiste où des langues de feu seraient soudain descendues sur la tête des français et les auraient tous convertis à l’écologisme pur et dur ? C’est sombrer dans le ridicule que de l’imaginer. Et encore plus ridicule que d’en tirer les conclusions délirantes comme on en entend ici et là ces derniers jours.
Soyons sérieux ! Ce d’autant que la personnalité même de Cohn-Bendit est en contradiction avec les clivages habituels des “verts” : il a clairement choisi le camp du réformisme et de la démocratie (nous voici loins du fondamentalisme obtus des verts historiques). C’est un vrai libéral qui ne crache ni sur le marché, ni sur le capitalisme, même s’il se revendique pourtant “homme de gauche”. La victoire de Cohn-Bendit constitue donc un tournant significatif au sein de la gauche, même s’il incarne si peu nos “verts” français qui sont, idéologiquement, son contraire.
(Même si, enfin, à titre personnel, c’est un personnage très contestable pour certaines de ses prises de position sociétales qui sont parfaitement ignobles. Mais c’est là un autre débat....)
BESANCENOT
Besancenot ? Où donc est-il passé ? Devenu ces derniers mois la coqueluche des médias, avec la bénédiction tacite de l’Élysée, une sorte de chouchou chéri des bobos gauchistes, celui qui faisait trembler toute la gauche, voici notre facteur ramené brutalement dans la norme trotskiste : lui-même n’est pas parvenu à être élu. Une comète de plus dans le ciel politique, comme hier on a connu la comète Laguiller, puis celle Hulot, aujourd’hui celle Cohn-Bendit, voilà notre Besancenot rangé à sa vraie place, devenu une bulle médiatique, celle de ceux qui n’ont pas de solution à proposer dans la crise que nous traversons et ne se contentent que de lancer des slogans décrochés de toute réalité.
MÉLENCHON
Mélenchon ? Une nouvelle étoile de grand talent qui a su incarner un Parti Communiste en voie de totale disparition et qu’il a su dépouiller de son gauchisme désuet et son langage sorti du 19° siècle. Il incarne désormais un communisme non stalinien : il le fait d’autant plus facilement qu’il n’est pas lui-même communiste mais.... issu du P.S.. Un parcours original et plus qu’intéressant. Mais a-t-il pour autant un avenir ?
L’EUROPE
L’Europe ? Malgré les apparences, l’Europe a bien gagné cette élection. Seuls ceux qui l’ont incarnée sont ceux qui ont gagné : • Sarkozy, se reposant sur ses 6 mois d’une présidence flamboyante (et même si l’UMP n’avait pas un réel programme à proposer) • Cohn-Bendit qui en a fait son acte de foi et son engagement. Les anti-européens, les "nonistes", eux, ont tous perdu : avec ou sans programme, ils sont disparus au tréfonds des résultats où on cherche en vain leur nom, là où ils étaient cependant bien présents il y a 5 ans.
BAYROU
Bayrou ? Est-ce que sa déroute électorale s’explique par le succès de Cohn-Bendit ? Certes la malheureuse altercation entre les 2 hommes sur un plateau de télévision a joué un rôle dans ce résultat. Mais faut-il l’accabler là-dessus ? D’abord parce que cela peut arriver à tout le monde de s’énerver quand on utilise à son égard des mots difficiles à entendre. Mais ensuite, parce que Bayrou, humainement, a bien réagi et a été capable aussitôt d’une belle autocritique, ce qui est très rare dans le monde politique. Il a su aussi présenter ses excuses aux sondeurs.
Par contre, son erreur a été de croire que la critique de Sarkozy, même si souvent bien fondée, ne peut constituer un projet ou une ambition politiques. Son dernier ouvrage, qui concentre surtout cette critique, a eu un succès de librairie tel qu’il a masqué que son mouvement politique avait bien un projet européen très élaboré. On a vu - ou plutôt ses adversaires ont voulu ne voir et ne faire savoir à l’encan - que cette critique systématique et ont occulté totalement le projet européen de son mouvement. Ses propositions européennes n’ont pas été perçues des français. Les médias n’ont parlé que de la critique de Sarkozy, pas du tout du reste. Cette tactique d’une non-information, voulue et dirigée “de là où on sait”, a réussi au delà de toute attente, faisant mentir tous les sondages sortis peu de jours avant le scrutin.
SA FRAGILITÉ....
La vraie fragilité de Bayrou est que, dans son parti, même avec plusieurs de dizaines de milliers de militants conquis à sa parole, Bayrou est un homme seul. Là où certains partis voient en leur sein des courants se battre pour faire accéder leurs leaders - trop (?) nombreux - au plus haut niveau de leur hiérarchie, Bayrou, lui, reste seul parmi les siens. Le Mouvement Démocrate, son ambition de créer une troisième force politique pour rompre le monotone binone complice PS-UMP, repose sur la seule personne de François Bayrou. Non que cela constitue un handicap dans la rédaction d’un projet à proposer aux français - loin de là, tant l’homme est brillant et d’une richesse de pensée rarissime - mais Bayrou est seul à pouvoir le porter. Un coup de fatigue, un emportement sur un plateau de télévision, et voici des milliers d’électeurs qui posent un autre regard sur l’homme, son projet, son mouvement. C’est d’une effrayante fragilité. Ainsi est la dure loi politique. Le Mouvement Démocrate de Bayrou devra se préoccuper de ce problème-là s’il ne veut disparaître avec l’homme qui le porte.
SARKOZY
Sarkozy ? Les moyens ne manquent pas au pouvoir en place pour le proclamer “le” grand vainqueur du scrutin du 7 Juin. Qu’on aime ou non l’homme vibrionnant, qu’on sait fort habile, c’est une victoire personnelle incontestable. Ce ne sont pas les listes qu’il a présentées aux européennes qui l’ont assurée, ni sa médiocre campagne, ni son programme.... vide de tout réel contenu. Pas même les groupuscules associés qui se sont greffés sur son nom pour recueillir quelques miettes du partage des voix obtenues.
UNE VICTOIRE À LA PYRRHUS....
Par contre, cette victoire paraît aux observateurs être plus que jamais une victoire “à la Pyrrhus”. Il ne faut pas masquer que le score de l’UMP laisse à ses côtés un immense vide : le réservoir de voix nécessaires pour gagner toute future élection est quasiment vide. Sarkozy n’a plus de majorité.... si l’on s’en tient aux résultats de ce scrutin tronqué.
L’OUVERTURE OBLIGÉE....
Sarkozy n’a plus donc d’autre ressource que d’accentuer sa stratégie d’ouverture s’il veut enrichir un tant soit peu une majorité devenue fort restreinte. Les débauchages de personnalités issues d’autres courants politiques, y compris de courants dits “de l’opposition”, vont se multiplier. Même si ces débauchages ne sont précédés d’aucune négociation quant au programme à mettre en œuvre avec leur collaboration.
Les “grandes manœuvres” vont donc se poursuivre de plus belle pour nous livrer le spectacle de la mise en scène de la prochaine élection présidentielle de 2012. Telle est l’urgence qui va se dégager chez Sarkozy suite à ce scrutin tronqué du 7 Juin. La bataille va être rude.
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