À propos du rêve Français
La politique doit-elle continuer à nous faire rêver ?
On se souvient, en 1981 : François Mitterrand voulait “changer la vie”. En 2007, Nicolas Sarkozy, lui, invitait les français à se rassembler autour d’un “nouveau rêve français” : il faisait alors une promesse de rupture avec la longue “sieste” chiraquienne. On sait la suite. Plus récemment encore, François Hollande nous dévoile une nouvelle version - objectif 2012 - du “rêve français”. Et d’autres encore : ils ne sont probablement pas les derniers à vouloir nous faire rêver des “lendemains qui chantent”.
Peut-on, aujourd’hui encore, continuer de parler d’un “rêve français” dans la situation où nous sommes ?
À la veille d’une nouvelle échéance électorale essentielle, nos hommes politiques donnent parfois l’impression de vouloir promettre le beurre, l’argent du beurre et le seau du laitier. Ils veulent faire rêver..., mais sans les conditions du rêve.
LES GRANDS RÊVES POLITIQUES
Dans l’histoire des rêves politiques, j’allais dire des grandes utopies politiques, celles qui ont su entraîner des masses derrière un vaste projet, ou derrière un grand dessein, sont celles portées le plus souvent par des leaders charismatiques, qu’ils soient républicains, fascistes, voire même staliniens. Il n’en a pas manqué dans l’histoire de notre planète.
Mais, dans tous les cas de figure, il y avait deux conditions à remplir : il fallait, d’une part, que ces rêves soient imprégnés de valeurs transcendantes, c’est-à-dire supérieures et extérieures aux individus. Celles, par exemple, évoquant la patrie (la notion de patrie étant supérieure à la somme des individus qui la composent), ou encore celles des idéaux de la révolution, voire aussi celles exaltées par une religion. Il fallait bien ces valeurs-là pour emporter les masses vers le rêve. Il fallait, d’autre part, que les citoyens acceptent jusqu’à se sacrifier pour le triomphe de ces valeurs auxquelles ils croyaient.
Presque tous les grands leaders charismatiques qui ont su emporter les masses autour de rêves ou d’utopies idéologiques, quelles qu’elles soient, ont donc été des personnages marquants de l’histoire de l’humanité, allant même jusqu’à entraîner ces masses dans des guerres qu’ils suscitaient : il fallait alors se sacrifier pour la patrie, la nation ou les idéaux qu’on voulait ou défendre ou répandre. Pour exemples, la défense des idéaux de la révolution de 1789, face aux anciens régimes féodaux, a été la base des grandes épopées napoléoniennes ; la défense de l’utopie communiste a été le prétexte à des dictatures staliniennes qui ont pesé pendant plus d’un demi-siècle sur des centaines de millions de citoyens. Les grandes croisades reposaient, eux, sur des idéaux religieux. Même au prix du sang versé.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Quand, plus récemment, en 1970, le Général De Gaulle est mort, le Président Pompidou et, dans sa grande majorité, la presse avec lui, ont titré, on s’en souvient : “la France est veuve”. Aujourd’hui, de quel homme politique français contemporain, s’il venait à mourir, dirions-nous “la France est veuve” ?
Alors, le “rêve français” qu’évoquait récemment François Hollande ? Très bien ! Mais si l’on croit qu’on va faire rêver, sans aucune valeur transcendante pour le porter, sans aucun esprit sacrificiel pour le soutenir, on se met le doigt dans l’œil ! On se souvient encore de la promesse, en 1940, du “sang et des larmes” de Churchill face au danger nazi qui menaçait jusqu’à l’indépendance de la Grande Bretagne. Il a su immédiatement cristalliser son peuple autour du projet de libération de notre continent et avec quel courage et quel brio.
Si donc, aujourd’hui, on veut redonner du sens à la politique, ce n’est peut-être pas à partir du rêve qu’il faut s’y prendre.
(Me revient à l’esprit, en reprenant l’expression du “sens”, l’excellent “Droit au sens” - cf/Flammarion - de François Bayrou écrit en 1996 : cet ouvrage n’a rien perdu de son actualité)
LES JEUNES : UNE DONNÉE COMPLÈTEMENT NOUVELLE
Depuis la seconde guerre mondiale, c’est bien la première fois, aujourd’hui, que la situation des jeunes, économiquement ou socialement, régresse. C’est bien la première fois que les générations qui viennent auront un peu plus de difficultés que la nôtre. Ne serait-ce qu’en raison du poids énorme de la dette que nous leur laissons et qu’elles devront longuement et pesamment payer.
Je ne pense pas qu’aujourd’hui les gens croient d’ailleurs que demain sera mieux qu’aujourd’hui. Et ce phénomène est une donnée complètement nouvelle.
En 1981, l’espoir historique de la gauche (qui a conduit à l’élection de François Mitterrand) - on pourrait dire l’espoir de toute la République et de la démocratie en général - c’était alors de faire que le sort de nos enfants soit plus enviable que le nôtre. C’était l’idée de “progrès” qui prédominait. Or, aujourd’hui, interrogez les gens que vous croisez : ils vous disent tous que leurs enfants auront un sort moins bon que le leur, moins bon que le nôtre. L’épreuve de ce grand espoir de 1981 a ruiné toutes les illusions.
L’ÂGE D’OR, C’EST DERRIÈRE NOUS
C’est donc un phénomène complètement nouveau et récemment répandu dans l’opinion : “l’âge d’or”, qui pendant longtemps était “devant nous”, avec cette idée de “progrès” qui n’aurait nulle halte dans son parcours, est désormais “derrière nous”. Il n’est plus “devant nous”.
Dites-moi, aujourd’hui, quel candidat, qu’il soit de gauche ou d’ailleurs, peut encore faire rêver la France ? Quand une Mme Aubry promet la création de 300.000 “emplois jeunes”, plus personne ne la prend au sérieux. Pire : on a le sentiment qu’avec de telles déclarations, elle se tire une balle dans le pied. Quand, plus récemment, une Mme Royal en est à nous ressortir encore des recettes en déphasage complet avec les implacables réalités du monde présent - comme si le monde attendait encore quoique que ce soit de “paroles verbales” ou de discours lénifiants hors du temps - fait-elle encore rêver en dehors des cercles étroits qui l’entourent ?
Mr Sarkozy peut-il encore faire rêver ? L’épreuve de la réalité a tué ses ambitions. Il avait surtout promis de “changer les choses”, pas de changer la vie. Et, aujourd’hui, ce n’est plus avec des thèmes comme le “pouvoir d’achat” ou “l’emploi” (“travailler plus pour gagner plus”) qu’il peut encore faire rêver : les effets de la mondialisation ont fait perdre toute illusion.
Et, quant aux extrêmes, il n’y a plus personne non plus pour faire rêver : Mme Le Pen exprime des ressentiments, elle suscite des volontés de revanche et des redressements de ce qui lui paraît être des décadences, mais il n’y a plus aucun rêve dans ses discours. Et quant à Mr Mélenchon, chacun sent bien la part d’utopie qui est présente dans ses discours : le rêve est déjà brisé avant même d’être né.
REDONNER UN SENS À LA POLITIQUE
Pour donc revenir au “sens”, celui à redonner à la politique, la seule question qui prime est bien : “quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?”.
C’est la seule vraie question qui permet de rouvrir réellement l’avenir politique de toute nation. C’est vrai en France, alors que nous avons une démographie croissante. Mais c’est dramatique dans les pays, tels l’Allemagne ou l’Italie, où la démocratie est décroisssante et où la jeunesse disparaît lentement. Mais c’est là un autre débat.
Et cette question de l’avenir n’est pas seulement celle que pose l’écologie et son souci de l’environnement : c’est donc aussi celle de la dette publique. De notre dette publique qui se creuse chaque jour vers le gouffre où elle nous entraîne.
C’est aussi la question du choc des civilisations et des cultures. C’est aussi encore la question de l’avenir de notre système social : il est aujourd’hui gravement menacé, quoiqu’en disent les uns et les autres dans leurs discours, mais tellement tous hors des réalités de notre temps.
Donc, toutes les grandes questions politiques vont se réorganiser autour du lendemain que nous “promettons” aux futures générations qui nous suivent.
Ces questions-là, aujourd’hui essentielles, sinon prioritaires, sont seules en capacité de redonner du sens et de la profondeur à l’action politique.
LE FLÉAU DE NOS DÉMOCRATIES
Le fléau de nos démocraties, à mon avis, c’est le “court-termisme”.
Si l’on veut redonner du champ à la politique, si on veut aborder des questions à long terme, il nous faut donc nous poser la question que je citais plus haut : “quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?” Et l’on perçoit alors, face à cette question, qu’il nous faut faire, dès aujourd’hui, des sacrifices pour y répondre. Et même la question “brûlante” des retraites, qui agite encore notre société, n’est que broutille face à cette autre ardente obligation.
Dans le cadre de la mondialisation, il va falloir aussi que les peuples européens fassent aussi d’immenses sacrifices, et pas seulement la France. Ce qui est arrivé à la Grèce, peuple aujourd’hui socialement et économiquement oppressé par le poids de ses errements politiques, et qui peut arriver aussi demain à l'Espagne ou l'Italie, voire à la Grande Bretagne, peut aussi nous arriver à nous, français, à tout instant : les récents événements, qui ont tout bousculé de par le monde entier, nous l’ont rappelé comme une gifle propre à nous faire sortir de nos rêves..., si jamais nous rêvions encore.
Mais ce que les gens de droite semblent, hélas, ne pas comprendre, c’est qu’on ne peut pas motiver des sacrifices en disant simplement : “il faut que le budget soit sain et équilibré”.
La “règle d’or” dont on parle soudain, c’est comme si on disait qu’il faut faire plaisir à Bercy, ou au FMI, ou encore aux agences de notation dont on sait aujourd’hui le terrifiant pouvoir de nuisance ? Même si cette “règle d’or” est de simple bon sens et qu’elle est inévitable si l’on veut éviter ce gouffre dans lequel on s’enfonce inexorablement un peu plus chaque jour.
(C’était déjà un sujet de campagne cher à François Bayrou en 2007. Que ne l’a-t-on alors mieux entendu, et plus tôt ? Nous n’en serions probablement pas là où nous sommes aujourd’hui)
LE DÉFI DE NOTRE DÉMOCRATIE
Il faut donc longuement expliquer aux citoyens, et les convaincre patiemment et avec ténacité, pourquoi on doit prendre des mesures restrictives, pourquoi on doit faire aujourd’hui des “sacrifices”. C’est dommage que beaucoup de nos dirigeants actuels ne comprennent pas cette nécessité d’expliquer que le seul motif réel de ces sacrifices est bien de préparer l’avenir de notre jeunesse.
Les français ne sont pas tous sots ou sourds et ont maintes fois démontré dans leur histoire qu’ils étaient capables de comprendre les grands desseins nationaux quand ils s’imposaient à eux.
Alors quelle place reste-t-il aujourd’hui à ces rêves d’antan, à ces utopies du passé, à ces mythes, à ces illusions ?
2012 sera, au delà des ambitions des uns ou des autres, un test grandeur nature de la capacité de notre démocratie de préparer l’avenir des générations qui nous suivent, quel qu’en soit le prix à payer.
Rêvons que notre démocratie soit à la hauteur de ce défi qui fixera l’avenir de notre nation.
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